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Avec Miossec à Brest : boire, écrire, s’enfuir

Quand la programmation du Quartz à Brest est arrivée dans nos boîtes aux lettres, papier glacé revendiquant avec insolence le droit au spectacle de briller en cette période bouchée, les cœurs se sont mis à battre un peu plus fort. Serait-il donc possible de balayer un temps les injonctions contradictoires et de vivre à nouveau un moment d’émotion collective ? En tournant les pages, on croise une tête connue, un regard magnétique. Miossec.

Pour le Brestois moyen, Christophe Miossec est un marronnier qu’on aime. Un cliché dont le seul nom évoque pêle-mêle la grisaille, les grues, une silhouette chancelante sur le pont de Recouvrance, une forte odeur de bière et de sueur à la sortie de Francis Leblé. Une voix dont le timbre représente à lui-même toute la mélancolie d’une ville. Lorsqu’une date est annoncée, le Brestois moyen n’hésite donc guère : il est au rendez-vous.

Pourtant, j’ai hésité. L’avant-dernier concert, au moins le vingtième auquel j’assistais, m’avait laissé un goût amer : l’ambiance de la Carène en mars 2019 avait fini de me convaincre que l’on avait dénaturé l’artiste, que l’on en avait fait un symbole teinté de chauvinisme, celui du chanteur Ty Zef qui finit forcément ses concerts par un hommage à sa ville natale. Or, on ne devrait pas aller à un concert de Miossec comme à l’inauguration d’un téléphérique, dans un entre-soi gênant de politiques et de notables à SUV. Ce soir-là, alors qu’il avait été particulièrement bon, j’avais fait le deuil de l’homme de Boire. La palpitation brûlante avait laissé la place à un certain conformisme auquel je n’adhérais pas. Dès lors, un spectacle au Quartz, assis, avec la bonne société brestoise masquée, ne provoquait guère de remous intérieurs.

C’était sans compter les amis qui n’ont pas les mêmes griefs mal placés, ainsi que la soudaine mélancolie qui s’abat sur celle qui doit souffler une nouvelle bougie. Finalement, quoi de mieux pour célébrer le temps qui passe que d’aller voir celui qui a flingué mon adolescence (et peut-être aussi mon rapport aux hommes). Le 24 Septembre, les têtes blanches ont répondu à l’appel, les trentenaires déprimés et les quadras fringants également, les plus jeunes aussi. Des étudiants de Maistrance sont assis à côté de vestes en cuir aux voix éraillées. Impossible de ne pas esquisser un sourire sous le masque. Ce public, à mon grand bonheur, n’a aucune cohérence. Comme au théâtre, nous sommes assis, nous éteignons nos portables, nous sommes masqués. Je n’y crois toujours pas.

Boire

Nerveusement, alignés, Christophe Miossec, Mirabelle Gillis, Seb Hoog, Laurent Saligaud et Guillaume Rossel attaquent « Non non non non (je ne suis plus saoul) ». Un assaut des cœurs et des corps auquel je ne m’attendais plus. Boire, putain. Pas une sélection, non. Boire, à la lettre. Le papier glacé promettait une relecture, mais c’est en réalité un retour à la palpitation originelle, à ce mouvement qui sort des tripes. En acoustique, avec la hargne et le souffle de la jeunesse encore possible, chanteur et musiciens enchaînent un à un les morceaux. Et le corps se souvient. Malgré le masque, on entend discrètement chantonner des paroles tatouées dans l’âme.

Le public est intimidé mais fidèle et chaque note provoque une excitation profonde. Le cadeau qui est fait au public est d’une générosité qui émeut : par l’interprétation de cet album, Miossec permet à chaque strate de ce public incohérent de faire son propre voyage dans le temps. Il y a ceux qui découvrent Boire et sa rudesse, ceux qui sont peut-être un peu gênés – comme l’étaient d’autres en 1995 – par le jeu sec et la voix franche, ceux qui comme moi connaissent l’album par cœur et le récitent comme à la messe. Depuis quelques années déjà, la qualité de l’orchestration comme du jeu de scène, la présence magnétique de Mirabelle et le rock électrique des musiciens, tout cela avait permis une certaine réconciliation du public avec Miossec. Là, c’est encore différent. Il s’est manifestement entouré de ceux qui, en plus de le porter par la justesse et la force de leur talent, l’admirent et l’apaisent.

« Vous êtes bizarres… », nous lance-t-il. Et pour cause, la première partie du spectacle est une claque en pleine gueule masquée. Sans trêve, dans une tension maîtrisée, le quintet nous a tous plongés en nous-mêmes. Nous sommes prêts.

 

Écrire

Quand la voix de Mirabelle surgit sur scène, tout s’arrête. La lumière se teinte de rouge. Les yeux des amants se cherchent, les voix se mélangent. Ils nous sortent de nous en célébrant le repli sur soi, expérience commune de confinement. Leur amour nous explose en pleine figure.

« En » résonne ainsi en nous comme en eux. Le morceau magnifie cette période d’exil forcé en nous-même et surprend. Miossec ne nous avait pas habitués à l’espoir.

Il n’est plus seul en scène, mais porté par Mirabelle Gillis, solaire et géniale. La nervosité de Boire a laissé place à une mélancolie sereine, plus ronde. Avec les quelques morceaux de leur EP Falaises, elle nous offre une fuite bienvenue et nous autorise à nouveau à croire. La réécriture de Boire promise est finalement là : « Écrire » nous attrape à un autre point du temps : celui où l’on constate que l’écorché peut panser ses plaies.

Impossible de ne pas faire un lien avec la situation du public. Dans cette salle, nous sommes aussi hors du temps confiné : nous avons aussi envie de croire, grâce à eux, que la cérémonie du spectacle – cette expérience collective – nous permet un temps de mêler nos individualités. Et d’oublier.

S’enfuir

Tout s’enchaîne ensuite. Le troisième volet du concert est consacré aux tubes. Et ça fait autant de bien que tout le reste ; Miossec et sa clique permettent à chacun de se rappeler pourquoi on l’aime. J’avais ma dose de nostalgie, avec Boire, celle d’espoir avec Écrire, j’ai eu l’illusion d’un concert au Vauban avec S’enfuir.

Le public assis n’avait qu’une envie : se lever, chanter à tue-tête, crier « Miosseeeeeeec » d’une voix de groupie de festival. On n’a pas le droit, alors on se réinvente, en suivant l’exemple que le groupe nous donne. Tapons du pied et des mains, prenons-nous en pleine face cette énergie qui nous a tant manqué. Ainsi, ce n’est pas le traditionnel « Brest » qui emporte la foule, mais « Montparnasse », jouée avec tellement de force et de rage qu’on la gueule à pleine voix. Nous ne sommes clairement plus au théâtre.

Quand la scène se vide après plusieurs rappels et une pensée pudique pour Madame Gréco, un état second s’empare de moi. Quelle étrange sensation que d’entendre ces applaudissements à l’unisson, de voir tous ces corps debout, comme réanimés après le concert. De voir quelques yeux humides aussi.

Le temps d’un spectacle vivant, Miossec s’est réinventé. Ses chansons ne pouvaient que faire écho avec notre propre solitude de re-dé-confiné·e, elles nous ont rappelé cette brute énergie vitale que seul un concert peut insuffler. A la sortie, il pleut – terrible cliché brestois qui rappelle que l’été, comme le concert, est fini. Cependant, le public semble vouloir prolonger la parenthèse. Figés dans une image à la fois drôle, émouvante et improbable, les étudiants de Maistrance, alignés en rang, font face aux portes du Quartz. Tout autour, un peu moins raides, des gens enlèvent brièvement le masque et se cherchent, se sourient, partagent leur joie d’être là.

Puis, dans un mouvement collectif, quelques-uns traversent la rue, attirés comme des mouches par les lumières bleues du Vauban, pour aller boire un dernier verre dans la plus pure tradition brestoise, et pour se rappeler – encore quelques minutes – que « nous sommes ».

Crédits photo en une : Yann Orhan

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2 commentaires

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D 03.11.2020

Bel article sur une Belle soirée. Juste dommage que le son un peu brouillon n’aie pas été à la hauteur des performances de Miossec et sa bande…

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Loul 27.10.2020

Super article

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