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Gui Boratto : « Je connais absolument tout de Black Sabbath »

Ceux qui attendaient un album sombre et profond de Gui Boratto ont sûrement déchanté. Le musicien brésilien vient de sortir un disque de pop-dance nommé « Abaporu » et s’éloigne de l’ombre pour la lumière. Si certains le voient comme une référence de l’électro mélodieuse, d’autres juste comme un DJ qui traîne à Ibiza. Lui se voit comme un artiste fan de rock. Et n’allez surtout pas dire à ce fan ultime de Laurent Garnier qu’il est DJ. Voici notre entretien qui porte sur le cannibalisme, son désintérêt pour Détroit, son nouveau label et ses idoles Black Sabbath.

Qu’est ce que « Abaporu » donne sur scène, en gros ?

L’année dernière, j’ai décidé de faire un live spécial que j’ai appelé simplement « Machines », sans ordi, avec un séquenceur, une MPC, une 909, des modules… Mais, c’était tellement lourd de tout déplacer, surtout dans les aéroports, avec six flightcases de 30kg chacun. Donc, pour cette petite tournée à Paris, Lyon, Caen, je vais jouer léger. Toujours pas d’ordi, ma MPC complètement reprogrammée, des fragments et des morceaux d’ « Abaporu », un petit Moog et un mélangeur. C’est super improvisé, ce sera bien plus marrant que d’être seul derrière un ordi.

Dans « Abaporu », il y a un côté dance-pop complètement assumé. Tu reviens à tes premiers amours musicaux ?

Je crois que c’est mon album le plus heureux. Le plus solaire. Alors qu’on me connaît beaucoup pour mes tracks très dark. Ça m’a pris 8 ans pour revenir au même état d’esprit que « Chromophobia » qui était aussi un album heureux. « Abaporu » est mon album préféré. C’est le plus complet. Il y a beaucoup de guitares, c’est très pop mais sans plus.

L’album est plus fun parce que tu te marres plus dans ta vie qu’avant ?

Je n’étais pas triste quand j’ai composé mes précédents albums. Mais, je suis sûrement dans un état d’esprit plus détendu, aujourd’hui.

La prochaine étape, c’est le retour à un groupe de pop / rock électronique ?

En 2011, j’ai eu un groupe complet, au Skol Beats un gros festival brésilien. C’était marrant. Donc, OK pour le one shot, mais ça m’épuise rien que de penser à faire des répétitions avec un batteur, un bassiste, un guitariste. Mais je ne suis pas contre avec un chanteur ou une chanteuse. Dans la majorité de mes morceaux avec des vocaux, c’est ma femme qui chante [dans Beautiful Life, No turning back, Like You, This is not the end, It’s Majik / NDLR]. Mais, elle n’est pas chanteuse et ça serait impossible pour elle de chanter en live. Si je prenais une chanteuse sur scène, les gens ne retrouveraient pas la voix qu’ils ont entendue sur les albums. Mais ça pourrait être intéressant. Par exemple, Massive Attack avait de nombreux vocalistes sur ses disques mais en live, juste une. J’y réfléchis.

« Je connais absolument tout

de Black Sabbath »

“Abaporu” est d’abord le nom d’une peinture brésilienne célèbre de Tarsila do Amaral, en 1928. Ta pochette en est inspirée. Tu est un fan ?

C’est plus comme un hommage pour elle. Pas parce que j’adore la peinture, mais le processus de création de mon album était assez similaire à ce que Tarsila faisait. Pas seulement avec Abaporu mais avec toutes ses peintures. Pas seulement avec Tarsila non plus mais aussi avec des écrivains, compositeurs, comme Villalobos ou les artistes de la Modern Art Week en 1922.

Villalobos ? Ricardo Villalobos ?

Non, pas Ricardo, ah ah. Je parle de l’un des plus grands compositeurs brésiliens du XXeme siècle : Eitor Villa-Lobos [1887 – 1957/ NDLR]. Sûrement le compositeur n°1 au Brésil. Comme Chopin pour les Polonais ou Satie pour les Français.

Ah oui, j’étais un peu perdu… En quoi te rapproches-tu de ces artistes ?

Ils se nourrissaient complètement des européens. Pas du cannibalisme littéral mais du cannibalisme culturel. Dans mon cas, mes références ne sont pas seulement européennes, elles viennent de partout. Par exemple, dans mon morceau Get the party started, c’est un hommage au morceau Just an illusion d’Imagination. C’est assumé. Je les adore. Tous ces mélanges me rapprochent de Tarsila. C’est comme si j’avais un « UPDATE » de sa peinture. Pour revenir à l’artwork, il fait totalement référence à la peinture mais il s’intègre aussi dans la suite logique de mes précédents visuels. Les formes, les couleurs, ne sont pas si éloignées de mon second album « Take my breath away ». Pareil pour ma musique, elle a beau être plus dance-pop, ça n’empêche qu’elle porte la signature qu’on retrouvait dans mes disques précédents.

« Rhythm & Sounds, Plastikman et Mike Ink

sont les pionniers de la minimal techno »

Le retour aux sources de la techno lo-fi de Détroit chez les jeunes producteurs, ça te parle ?

En fait, je n’ai jamais vraiment suivi les artistes de cette branche-là de la musique. J’adore Carl Craig et Jeff Mills, mais ces mecs font la même musique qu’il y a 20 ans. De plus, ce sont des producteurs techno, je n’en suis pas un. J’adore Laurent Garnier, qui est un bon pont entre Détroit et le reste du monde et de la musique. Mais je n’ai pas ce background, je viens du rock. Je connais absolument tout de Black Sabbath. J’adore les boleros, la pop, la musique classique.

Tu aimes rappeler aux gens que tu n’es pas un DJ. Ça te saoule de devoir répéter aux gens qu’électro n’est pas forcément égal à DJ ?

Un producteur et un DJ, c’est comme comparer un écrivain et un peintre. Les bons producteurs qui sont aussi de bons DJs se comptent sur les doigts de la main. Pour moi, le maître, c’est Laurent Garnier. Richie Hawtin, c’est un DJ. Un bon producteur est un mec qui doit savoir tout connaître sur les techniques d’enregistrement. Je connais un dieu du DJing, il s’appelle DJ Marky. C’est le Jimi Hendrix des platines. Il a développé des techniques hallucinantes. Pas que du scratching mais aussi de mix. C’est un putain de DJ. Et puis, il y a Ricardo Villalobos, qui peut jouer un The Cure en plein set et rendre les gens dingues. Lui a un gros background musical. Quand j’étais petit, je ne diggais pas de vinyles chez les disquaires, je jouais de la guitare. Un DJ actualise constamment sa connaissance des derniers genres, des dernières sorties. Moi, non. Je préfère la composition – les mélodies, les harmonies. Quand j’ai fini, j’essaie de faire des bonnes productions – le son. Je ne suis pas capable de faire un set de 5 heures avec des transitions de dingues qui te transportent loin.

Tu peux me parler de ce label que tu diriges depuis un an ?

Mon label s’appelle D.O.C. La première sortie date de 2013. Un maxi d’Elekfantz, un duo, qui comporte des remixes de Solomun et moi-même. Puis, un maxi de Shadow Movements, [dont le titre I.D. qu’on a filmé à Dour / NDLR]. Et le troisième est l’album d’Elekfantz. Ensuite, je compte sortir un single de Mixhell, qui est le projet du batteur de Sepultura et sa femme. J’ai déjà produit leur album « Spaces » (2013) qui est sorti sur Boysnoize Records et on va intégrer l’un des morceaux sur le label. C’était un album très lourd, massif, avec beaucoup d’énergie, typique d’une sortie de Boys Noize. Mais ce morceau en particulier sonne plus comme moi parce qu’on l’a fait ensemble.

J’ai une idée assez naze d’Ibiza. C’est le public de branleurs riches que j’imagine ou non ?

La plupart des publics d’Ibiza n’est pas très intéressée par la musique. Mais il y a de très bons endroits. C’est comme partout, même si l’île devient de plus en plus chère à cause du tourisme. Il y a bien sûr de gros événements avec de la musique de merde où les gens sont là pour voir et être vus et dépenser leur argent dans du champagne trop cher. Evidemment, je préfère jouer pour ceux qui écoutent. Mais, regarde, Paris. Paris est la ville la plus touristique au monde, et aussi l’une des villes les plus chères que j’aie jamais vue. Il y a un tourisme de luxe à Paris aussi. Si tu compares à Montpellier pour louer un appart, boire un café, aller au restaurant, c’est à peu près quatre fois moins cher.

« Il est plus sain de rapprocher les labels

en terme d’idéal

que de musique ou de business »

Kompakt a 21 ans. Tu veux leur envoyer des mots doux ?

Au départ, Mike Ink [un des premiers pseudo de Wolfgang Voigt, le fondateur de Kompakt / NDLR], faisait du 4/4 , ce qu’on appelait la minimal techno. C’était un kick, une snare, un hat et une basse. Ils n’étaient pas beaucoup à le faire, Rhythm & Sounds [nom de scène de Moritz von Oswald et Mark Ernestus / NDLR], Plastikman et Mike. Ce sont les pionniers. Wolfgang a ensuite décidé de diriger sa propre enseigne. Il a lancé Kompakt, label qui ne sort pas de la techno, mais ce qu’il a appelé « pop ambient ». Ils n’étaient pas du tout concernés par les ventes mais par le bon goût.

Le but était de sortir quelque chose de plus accessible ?

Non, pas forcément accessible. C’est même l’opposé, parce que lorsqu’une musique est trop accessible, elle est souvent trop pop. Ils ont fait confiance à des tas de mecs complètement inconnus. Ils m’ont fait confiance à moi. Je sortais de nulle part. C’est pour ça qu’ils resteront dans la légende pour toujours. Ça fait plus de 20 ans, et j’en ai vus des labels en faillite. Et des bons. Ce qui les as sauvés, c’est le côté famille.

Comparer Kompakt au label Innervisions, ça paraît plausible ?

Innervisions [label de Âme et Dixon / NDLR] est comme un coéquipier de Kompakt. A plusieurs reprises, des disques sont sortis avec sur la face A, Kompakt, sur la B, Innervisions. Et ce n’est pas la fin. Sur mon précédent album, mon morceau This is not the end a été remixé par Âme et Michael Mayer. On se fait des clins d’œil réguliers. On est cousins. Même s’ils sont plus jeunes. Minus [le label de Richie Hawtin / NDLR] a le même fonctionnement, même si leur son n’a rien à voir avec le nôtre. Warp, aussi, a le même idéal. Il est plus sain de rapprocher les labels en terme d’idéal que de musique ou de business.

Interview réalisée le 17 octobre, à Paris, avant la release party de son album au Zig Zag

Gui Boratto

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