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Gojira : « C’est dur de sortir du néant une idée fédératrice »

Il se passe quelque chose autour de Gojira. Articles à répétition sur Télérama, Une du supplément culturel de Ouest-France, apparition au Petit Journal, un Olympia à venir, etc. On parle quand même d’un groupe de death, les amis. Seulement voilà, les Basques, aussi intelligemment qu’humblement, sont en train de révolutionner le genre et d’amener les plus réticents à tendre l’oreille, bien au delà de la seule communauté métal. La reconnaissance est désormais mondiale et « Magma »,  leur monstrueux dernier album, enfonce le clou : Gojira compte bien désormais parmi les artistes français les plus influents de la planète. Rencontre avec Mario Duplantier et Jean-Michel Labadie, respectivement batteur et bassiste d’un groupe qui vient de mettre les publics du Download et du Hellfest à ses pieds.

Avez-vous le sentiment que ce disque peut-être plus clivant que les précédents au sein de votre communauté de fans ? Quand Stranded est sorti, on a senti votre public parfois désorienté.

Mario : Tout dépend si on parle de la communauté métal en général ou si on parle de la communauté de fans de Gojira. Il y a plusieurs catégories de musiciens dans le métal. Il y a ceux qui développent une forme de rigidité comme Cannibal Corpse ou Slayer. On n’attend pas forcément d’eux un changement, on a plutôt envie d’entendre un son assez figé. Imagine si Slayer, demain, se mettait à chanter ou à explorer autre chose, même moi je me sentirais désorienté. Ensuite, il y a une autre catégorie, qui une une marge d’évolution différente, et dont nous faisons partie. La communauté de Gojira a, elle, l’habitude du changement. Les gens qui suivent ça de loin diront encore : « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?« . Mais mon intuition est que les fans vont nous suivre. Même si on ne maîtrise pas ça. C’est tellement difficile de le savoir. Mais oui, il y a eu une prise de risque dans cet album.

Lors de chaque interview, un groupe nous dit qu’il est plus mature pour la sortie de son nouvel album. En quoi est-ce vrai, ici ? Cela se manifeste comment ?

Mario : On tire les leçons de chaque album qu’on sort. Après L’Enfant Sauvage, on s’était posés tous les quatre pour s’interroger sur les zones faibles du disque. Chaque disque est un palier et nous permet de progresser, de ne pas refaire les mêmes erreurs et faire attention aux longueurs et aux humeurs. Autant de paramètres qu’on ne travaillait pas avant, car c’était plus spontané. Là, c’était un travail acharné.

Cela se traduit par des passages plus atmosphériques, et ça c’est inédit.

Mario : Oui, ça l’est, mais on a aussi appris à épurer pour servir davantage une chanson plutôt que nous éparpiller dans des trucs trop techniques. On avait ce désir de faire des entités de morceaux très fortes, focalisées sur un riff. Mais on voulait que ce riff soit le sommet du morceau. Comment mette en valeur ce riff ? Comment faire en sorte que les guitares se taisent pour mieux revenir ? On a travaillé sur ces dynamiques.

Jean-Michel : On souhaitait plus de respirations. Le groupe a désormais vingt ans, on a tiré tout le jus de ce qui a été tenté. C’est comme de la cuisine, on essaie jusqu’à trouver la bonne recette, mais il n’y a pas de recette magique, il y en aura toujours une autre. Mais il fallait extraire le pur jus.

Ce travail a quand même dû être conforté par le statut que vous avez acquis. Vous avez moins de choses à prouver, aujourd’hui. Notamment sur le plan technique. 

Mario : En fait, on doit surtout se prouver à nous-mêmes qu’on peut encore faire un disque de qualité. La pression vient donc d’abord de nous. C’est dur de sortir du néant une idée qui va être fédératrice. On se pousse entre nous, pour sortir le meilleur de nous-mêmes. Il y a quand même eu beaucoup d’appréhension. On a peur du flop. Mais on a tellement bossé comme des acharnés, tous les quatre, et on est cette fois heureux de toutes les nouvelles chansons. Et ça, c’est rare chez nous ! D’habitude, on était certes satisfaits, mais pas pleinement. Là, on kiffe.

Mario : Tout a été pensé au millimètre, même le silence entre les chansons. On s’est beaucoup pris la tête, plus que sur les précédents disques.

L’influence de Tool est-elle consciente ? Visuellement, on l’avait déjà senti. Mais là, c’est musicalement plus visible. Est-ce vraiment une référence commune ?

Mario : C’est plutôt les journalistes qui nous l’attribuent et font le parallèle. Et on adore ça. Il n’y a pas plus classe que Tool. C’est le Radiohead du rock métal, un groupe mystérieux. Ils sont à la fois nuls et géniaux en communication. On a une admiration sans bornes pour eux. Après, mon frère et moi, qui avons été très actifs dans la composition, sommes moins fans de Tool que Christian, le guitariste. Mais ça fait quand même partie de nous quatre, notamment la période Aenima. On est charmés par cet univers où tu deviens complètement fou.

Le tracklisting semble mieux maîtrisé. The Shooting Star a-t-il été pensé d’emblée comme un titre d’intro, par exemple ? Il y a aussi des interludes et une clôture à contre-pied.

Mario : Vers Noël, quand les compositions étaient figées, j’essayais tous les jours une nouvelle setlist en me réveillant. Mais j’avais une intuition. On avait ces morceaux avec les voix claires. Soit on les mettait au fond et on ne les assumait pas. On commence alors par du métal pour rassurer nos fans pour les emmener progressivement vers un univers plus clair. Ou alors, on avait l’audace de marquer le changement dès le début, en plaçant The Shooting Star d’entrée. Tout a été pensé au millimètre, même le silence entre les chansons. On s’est beaucoup pris la tête, plus que sur les précédents disques. Et on a placé Magma au milieu, car il est le volcan, le cœur de l’album.

Vous avez assuré vous-mêmes la production et le mixage. Était-ce lié à un sentiment de frustration par rapport aux disques précédents ou simplement un besoin de maîtriser à nouveau toute la chaîne, comme à vos débuts ?

Jean-Michel : Sur les précédents disques, on voulait tenter quelque chose de nouveau pour nous. Au final, il y a toujours des frustrations qui traînaient avec des co-producteurs à nos côtés. Cette fois, c’était une évidence de fonctionner à l’ancienne. On savait ce qu’on voulait et comment on voulait l’entendre. C’est beaucoup de travail mais on est revenu aux sources.

Mario : Oui, c’est cyclique. On est allés vers le gros son US, qu’on fantasmait. C’était une belle expérience. Mais on est revenu à quelque chose de plus artisanal, pour garder le charme. Rien ne remplace le travail de voix que tu peux faire à la maison. Joe (Duplantier, le frère de Mario, NDLR) a passé deux mois sur l’enregistrement de ses voix. On peut donc entendre une richesse qui a ramené une forme d’ humanité, moins présente auparavant.

Jean-Michel : Avec un co-producteur, tu comptes aussi le temps. Chaque journée coûte hyper cher. Là, on a pris le temps, ce qui a permis a l’album d’être plus posé, enrichi de détails.

Mario : Après, ça n’est pas la plus facile des voies. C’est comme le travail d’une peinture : à quel moment tu décides qu’elle est finie ? Et si je mettais du noir ou du jaune ?

Ça a été si éprouvant d’y mettre un point final ?

Mario : Oui. Heureusement que la maison du disques nous donnait une date pour le rendu du master. Mais bon, on l’a repoussé deux fois (rires).

Gojira3

Le métal est conservateur. On a nos idoles et on ne veut pas y toucher. Metallica et Black Sabbath, tu ne les remplaces pas comme ça. Ce sont des entités trop fortes et trop puissantes.

On parle beaucoup de maîtrise et de maturité autour de ce disque, mais que vous reste-t-il à apprendre du secteur musical ? Sur quels points vous sentez-vous encore encore étranger à votre milieu ?

Jean-Michel : On doit encore apprendre beaucoup  de choses. C’est sans fin.

Mario : Oui et sur une vastitude de branches et de métiers. En tant que musiciens, on doit s’adapter. Mais on reste des pinailleurs, sur la promo, les teasers, les visuels, les photos de nous, on fait attention à tous les détails, on travaille beaucoup avec notre webmaster. On est constamment au téléphone avec lui.

Vous estimez donc être des control freaks ?

Mario : Oui. Car tu peux créer ta propre image et on est soucieux de ça. Mais pour revenir à ta question, on a encore plein de trucs à apprendre. On est toujours un peu fébriles même avant de monter sur scène, même après vingt ans de carrière, on a toujours le trac. Et ça creuse le bide. Pour toutes les autres étapes, c’est pareil : communiquer avec nos fans, réussir nos interviews, etc.

Gojira est également reconnu pour le soin accordé aux textes. C’est toujours Joe qui a la main mise là-dessus ?

Mario : Il n’a pas la mainmise, c’est simplement le seul qui sait écrire (rires).

Voilà pour la forme. Mais sur le fond, il y a des échanges ?

Mario : C’est Joe qui insuffle les paroles. Il en parle beaucoup. Parfois, on a les yeux mi-clos, on ne l’écoute qu’à moitié. Pour lui, c’est important de communiquer là-dessus avec nous. Je plaisante un peu, attention… Pendant un an, quand j’étais avec lui aux Etats-Unis, on parlait tous les jours des textes. Joe a exprimé plus simplement ses paroles sur ce disque. Il a évité la redite car je crois qu’il est allé au bout d’une réflexion, sur sa condition d’être humain dans l’univers, sur sa quête spirituelle. Il est plus ancré dans le réel. C’est aussi inspiré d’une période volcanique, où on a perdu notre mère. Sur la chanson « Only Pain », c’est la première fois qu’il utilise des phrases aussi simples : « I wanted to be good. I wanted to be god. I wanted to be gold« . Je n’avais jamais entendu ça de lui. Et je l’entends parler à notre mère disparue, notamment dans « The Shooting Star ».

Plus largement : à la différence d’autres genres musicaux, on retrouve souvent les mêmes têtes d’affiche métal, de festivals en festivals, d’année en année. Vous êtes finalement une sorte d’exception, en grimpant les échelons sur les affiches. La scène métal serait-elle assez conservatrice ?  

Mario : Je dirais que ça vient de la fracture dans la façon de consommer aujourd’hui la musique. Les headliners métal sont ceux qui vendaient des millions de disque. Aujourd’hui, ça fonctionne différemment. Oui, le métal est conservateur. On a nos idoles et on ne veut pas y toucher. Metallica et Black Sabbath, tu ne les remplaces pas comme ça. Ce sont des entités trop fortes et trop puissantes.

C’est de l’ordre du fétichisme ?

Mario : Oui, totalement. Et il y a ce culte de la personnalité : Lemmy [une statue de 13m et un feu d’artifice en son honneur, en dernier Hellfest, ndlr], James Hetfield, etc. Tu vois moins ça dans l’electro, par exemple. Et puis dans le métal, il n’y a pas de phénomène radio ou télé, ni de ‘truc du moment’ qu’on veut voir.

C’est ce qui empêcherait le renouvellement, selon vous ?

Jean-Michel : Oui, car le métal n’a finalement jamais été à la mode. C’est une communauté qui se refile les disques et les icônes. Si, il y a eu Slipknot, qui a pu être un phénomène, et tout le courant néo-métal. Mais les icônes sont encore là : Korn, Deftones, etc.

Crédits photo : Travis Shinn
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