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Feu! Chatterton, rêve against the machine

Prendre les bonnes nouvelles là où elles se trouvent, c’est devenu notre mantra. Et en ce début d’année, une très bonne nouvelle a été le retour des Feu! Chatterton, avec la sortie en janvier d’un single, « Monde nouveau », et l’annonce de l’arrivée imminente de leur troisième album, « Palais d’argile », le 12 mars. Un disque introspectif et lumineux dont on est allés discuter avec les cinq membres du groupe dans leur studio de répétition à Pantin.

En voilà un joli titre. Palais d’argile. Immédiatement, on pense grandeur, on pense nature, on pense organique. Fragilité aussi. Le climat se dégrade, le palais s’écroule. Comme nos corps, comme nos vies, comme l’époque. Le nouvel album des Feu! Chatterton raconte tout ça : nous, maintenant, vers où, comment. Nos envies de verdure et notre addiction au virtuel, l’isolement social et le manque de l’autre, la révolte qui gronde sous la soumission au système.

Très actuel, tout ça, non ? Brûlant, même. Pourtant, le disque a été écrit pré-covid.

Il faut dire que des questions, les membres de Feu! Chatterton n’ont pas attendu 2020 et la crise sanitaire pour s’en poser. Bien sûr, lorsqu’on a entendu « Monde nouveau », on s’est dit qu’Arthur Teboul, le parolier du groupe, cachait dans ses petites moustaches une toute petite mais très performante boule de cristal tant « se prendre dans les bras, s’attraper dans les bras, se prendre dans les bras, ça on le pouvait » nous semble aujourd’hui tristement visionnaire. Mais le constat était déjà là depuis longtemps : plus qu’un virus, bien plus que la technologie, le problème c’est nous, c’est ce qu’on en fait, ce sont nos abus, ce sont nos excès. « Y a plein de choses avant le virus qui nous éloignaient les uns des autres, en particulier l’écran. Il y avait un manque de présence, aujourd’hui distanciel c’est le mot qu’on entend le plus mais déjà à l’époque on était parfois pas présents même si on était les 5 dans la même pièce, parce qu’on était sur nos téléphones. On est tous tellement stimulés par des signaux de toutes parts. »

« On a cherché des artistes qui font leur musique plutôt que des producteurs purs: le nom d’Arnaud Rebotini a fait l’unanimité »

Attention, Palais d’argile n’est pas un album donneur de leçon. Beaux joueurs, les membres de Feu! Chatterton le reconnaissent, eux aussi sont addicts. Dans les écrans jusqu’au cou. « Moi je caresse ton visage sur mon écran tactile » chante Arthur dans « Cristaux liquides ». Pas question de pointer du doigt sans balayer devant leur porte, ni de sombrer dans la diabolisation de ce qui n’est, finalement, qu’un outil. « On fait très attention à ce que ce soit ouvert, ironique, parfois cruel ou tendre mais toujours s’inclure dedans. Notre album ne propose pas de version manichéenne ni de solution. Le monde nouveau c’est pas revenir au monde d’avant. On sait très bien qu’on va pas se défaire totalement de la technologie, ça apporte énormément de choses. C’est notre rapport à cette technologie, on n’arrive pas à trouver un équilibre dans notre façon de l’utiliser. Je pense que la plupart des gens se sentent prisonniers de leur téléphone portable et voudraient un peu plus de présence. »

Pour ambiancer tout ça, les Feu! Chatterton ont fait appel à Arnaud Rebotini. Une première collaboration qui est vite devenue une évidence. « On voulait avoir une nouvelle approche, se renouveler, se repenser. On a cherché des gens qui font leur musique plutôt que des producteurs purs, et le nom d’Arnaud est arrivé assez vite et a fait l’unanimité tout de suite. »

De l’électro par-dessus les sons rock et les mots enchanteurs qui font toute la sève du groupe ? Horreur, malheur !!! Mais non, ouf, désastre évité, et en beauté s’il vous plaît. Arnaud Rebotini n’a rien du cliché de l’arrangeur électro qui remixe plus qu’il ne produit. Son entente avec le groupe a été totale. « Il a une culture musicale gigantesque. Artistiquement on le connaissait pas et tout de suite on était d’accord sur les goûts. Dans le travail musical on ne peut pas s’exprimer avec des mots, y a pas de débat rationnel, soit t’aimes soit t’aimes pas, et avec Arnaud c’est passé tout de suite. »

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« Dès que tu essaies de parler de la société, le risque est que ça soit réduit à une sorte de caricature », Feu! Chatterton

Feu! Chatterton © Antoine Henault

Sous le charme des maquettes qui lui ont été présentées, et soucieux de respecter l’ADN rock du disque, Rebotini se met totalement au service des chansons, allant même jusqu’à gommer des aspects électroniques suggérés par le groupe lui-même. « Il avait peur de trop imposer sa marque, il avait pas envie qu’il y ait marqué « Rebotini » sur les morceaux. »

A l’arrivée, pas de doute, c’est bien un album des Feu! Chatterton. On en veut pour preuve, par exemple, le titre « Libre », 9 minutes qui lorgnent plus du côté de Pink Floyd, Supertramp ou Dire Straits que des Daft Punk (RIP).

Ce troisième album a été l’occasion pour le groupe de tourner leur regard vers l’extérieur. L’écriture d’Arthur Teboul prend de la bouteille pour se faire de plus en plus directe et spontanée et ne craint plus d’aborder de front des sujets sociétaux. Dans « Ecran total », sa voix tape soudain du poing sur la table, rappelant plus que jamais sa transe scénique, et interpelle les puissants et leurs « sanglots de reptiles ». Le groupe nous parle aussi de « La mer ». Une mer bien loin de celle qu’on voit danser le long des golfes clairs, une mer avec dedans pas que des poissons, mais aussi des hommes, des femmes, des enfants. Une évolution, pour le groupe, assez naturelle. « On a grandi, Arthur a trouvé la bonne manière de raconter les choses, peut-être qu’il y a 4-5 ans ça ne pouvait pas émerger chez nous, on n’avait pas la maturité pour faire ça. Dès que tu essaies de parler de la société le risque est que ça soit réduit à une sorte de caricature. Ça a mis du temps pour qu’on arrive à parler des migrants, de l’insurrection, en évitant tous ces écueils de la récupération malsaine du propos. Dans « maturité » j’entends aussi une certaine assurance. A un certain âge quand tu dis les choses tu les as réfléchies et tu les assumes totalement. »

« L’écriture, c’est une sorte de gestation continue », Feu! Chatterton

Mais Arthur insiste, si ces chansons sont plus engagées que leurs grandes sœurs, elles ne sont pas des postulats politiques. « Musicalement on mène un même bateau mais politiquement sur plein de sujets on n’est pas parfaitement d’accord. Heureusement qu’il y a des bulles dans la société aujourd’hui où on peut ne pas être d’accord et s’aimer. C’est pour ces raisons que nos chansons ne donnent pas un avis politique. Elles ont cette ouverture poétique, cette poésie qui est, on le pense, comme une issue par le haut à certains sujets politiques. »

La poésie était déjà au cœur de « L’oiseleur », le précédent album du groupe. Deux poèmes, d’Eluard et Aragon, y étaient mis en musique et Arthur avait puisé dans son coup de foudre pour les Alcools d’Apollinaire pour nourrir et épurer son écriture. Aujourd’hui encore, il nous confie son envie de simplicité et l’apaisement que la poésie lui procure (l’un des titres de l’album, « Avant qu’il n’y ait le monde » est d’ailleurs l’adaptation d’un poème de William Butler Yeats). « L’écriture, c’est une sorte de gestation continue. Pour cet album, il y a un auteur qui a été important dans le rythme et le fond, il s’appelle Christian Bobin, c’est un poète contemporain et auteur de romans qui depuis les années 80 s’est reclus et isolé au bord d’une forêt. Pendant qu’on préparait le spectacle des Bouffes du Nord (ndlr : qui aurait du être joué au printemps 2020 et a été annulé à quelques jours de la première) on avait déjà ces chansons qui dessinaient une narration, le rapport aux écrans, cette envie de lever le pied. Et au même moment je suis tombé sur une courte nouvelle, un essai sur la poésie, lui-même poétique, « Le plâtrier siffleur », qui a résonné en nous cinq parce que Christian Bobin déploie d’une manière très douce une forme de résistance au monde des machines et raconte comment lui il pense la poésie, qui n’est pas que dans les mots, qui est dans le rapport d’une mère à son enfant au moment de le coucher, dans la pointe du réel qui affleure à un certain moment, chez un plâtrier qui siffle quand il fait bien son travail. Dans sa voix, son ton, son rythme il y avait cette forme de calme et de douceur qu’on recherchait. »

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« Pour pouvoir être optimiste, il faut une forme de lâcher prise. Conformer le monde à sa volonté n’est pas possible », Feu! Chatterton

Feu! Chatterton © Antoine Henault

Dans un monde ultra connecté mais rongé de solitudes, dans une société violente et cynique, les Feu! Chatterton veulent offrir de la beauté. L’espérance que ça va aller, qu’on va lever les yeux de nos tablettes pour regarder les couchers de soleil, user nos mains en caresses plutôt qu’en swipe left, garder le meilleur, le savoir, la culture, la découverte, et se désintoxiquer du reste. L’album s’achève sur « Laissons filer », rai de lumière et de résilience. « Pour pouvoir être optimiste, il faut une forme de lâcher prise. Conformer le monde à sa volonté c’est pas possible. Pour transformer le réel et avoir la force et l’énergie de faire face à ce qui nous attend il faut commencer par accepter les choses telles qu’elles sont, travailler avec le matériau existant, sinon chaque jour t’es dans un état de conflit pur, de frustration, de haine, qui ne peut pas mener à une évolution. Ça peut mener à une destruction mais pas à une évolution. C’est une discipline politique à l’opposé de notre société qui veut au contraire contrôler un maximum de choses à tous les endroits, la nature, les humains. »

La révolution est en marche, flamboyante et poétique. Et au premier jour du monde nouveau, soyez prêts, les Feu! Chatterton, on va vous prendre dans les bras.

Photo en une : Feu! Chatterton © Antoine Henault

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