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Fêtards en carton, teufs en plastique, ménage toxique

Cendriers de poche, Ecocup, toilettes sèches, food trucks bio ou local, énergies vertes… Dans tous les domaines, de nouvelles habitudes façon « Captain Planet » te sont proposées à toi jeune fêtard fougueux, mais aussi aux organisateurs et artistes. Les exemples sont nombreux et nos interrogations aussi. Peut-on rendre un site propre après l’Armageddon de la nuit dernière ? Les fêtards à paillettes jouent-ils le jeu ? Est-ce que ton urine est toujours « une ressource à valoriser » lorsqu’elle est pleine de drogue ? Tu t’es vu quand t’as bu ?

J’ouvre difficilement un œil, puis l’autre. Les teufs du vendredi sont décidément les meilleures et, vraisemblablement, on a joué les prolongations chez moi. Il est 17h en ce beau samedi ensoleillé, l’enfer. Quelques heures plus tôt, on battait la pelouse d’un lieu encore inexploré lors d’une soirée mémorable dont je ne me rappelle pourtant pas grand chose. Des flashs de ma nuit me reviennent sous forme de rictus alternant sourire et dégoût sur mon visage tout fripé lorsque la culpabilité surgit. Je passe la semaine à trier mes déchets, éviter le plastique, manger sain et, arrivé le week-end, je pisse sur tous mes efforts sitôt beurré comme une biscotte. Mon short pue le tabac froid des trois mégots que j’y ai glissés avant de décider que la pelouse était un cendrier géant. J’ai laissé ma barquette de frites je ne sais où avant d’avoir dévoré un hot-dog qui me reste encore sur l’estomac. Sous mes yeux : six gobelets réutilisables voués à être rendus (et réutilisés) cuvent leur fond de gin-tonic encore tiède sur ma table basse.

Hors de question d’arrêter les fêtes pour autant. Impossible pour moi de vivre sans ces bulles d’amour où je lâche tout, je m’oublie, bref : je débranche. Mais n’y a-t-il pas des petites choses que je puisse mieux faire ? Des événements plus exemplaires ? Des initiatives à soutenir ?

Alors j’ai commencé à fouiller. Je me suis noyé dans ce puits sans fond.

J’AI ZOOMÉ

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ZOOMÉ

ZOOM2

ET REZOOMÉ

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Molécule du Polypropylène,

le plastique recyclable des gobelets réutilisables.

Arrivé là je me suis dit que je m’y prenais mal. Je voulais m’intéresser à l’événementiel en plein air, mais chacune de ces fêtes est si différente qu’il est ridicule de mettre dans le même panier gros festivals et petits rassemblements, événements urbains et guinches bucoliques. Quoi qu’il en soit – SPOILER ALERT – dans l’absolu, la réponse est toujours la même :

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Le simple fait que des milliers de fêtards ainsi qu’une poignée d’artistes se déplacent, que quelques stands de bouffe, de bars et des sanitaires se dressent et qu’un joli show son et lumière s’installe, est de facto énergivore, producteur de déchets et de gaz à effet de serre. Avec un angle aussi radical, une seule solution : ôtez vos vêtements, allez dans la forêt, étranglez-vous et décomposez-vous là.

Être responsable passe avant tout par limiter les dégâts et agir intelligemment en utilisant tous les outils existants et même en créer pour pouvoir continuer à se regrouper, danser et s’aimer, en limitant notre impact sur la nature, histoire de pouvoir le faire encore plus longtemps. Face à la sainte trinité : « consommer moins, consommer mieux et consommer local » je me demande comment conjuguer ça avec mes teufs préférées.

I – ORGANISATEURS APPLIQUÉS

Cycle digé(fes)tif : à boire et à manger

Même si on a tous un ou une pote qui défie les lois de la physique, chacun d’entre nous est condamné à boire, manger, expulser tout ça et parfois même dormir. Or il y a une vraie différence entre les offres de restauration selon les événements. Et bien que le fêtard moyen soit parfois bourré de contradictions (me vois-tu venir petite instagrameuse vegan passionnée de pétrochimie colombienne ?), il est en droit d’avoir le choix sur ce qu’il s’enfile.

Sans transition aucune (non vraiment) Émilie, 21 ans, festivalière, déplore encore un manque de stands végétariens : « Il en faudrait beaucoup plus, c’est parfois difficile de trouver à manger dans certains événements mais globalement, c’est de plus en plus inclusif, il est plus logique de proposer du végé aux carnistes que l’inverse. »

La viande c’est bon, mais là n’est pas la question. Son industrie est l’une des principales responsables des émissions de gaz à effet de serre en plus d’être une hérésie énergétique. C’est comme acheter 30€ un billet de 5. Sans nécessairement devenir végétarien, lâcher un peu le steak est aujourd’hui autant un gage de qualité nutritionnelle qu’un geste écolo ou éthique. Proposer – même exclusivement – à des milliers de festivaliers affamés des plats sans viande comme le fait le festival Climax à Bordeaux est donc un acte fort qui peut même faire office de sensibilisation. « Nous avons eu plus de retours négatifs l’année dernière car c’était la première fois que nous proposions cette offre 100% végétarienne. Au contraire cette année, le public à bien accueilli cette idée » nous explique Maxime, coordinateur à la transition écologique à Darwin pour le festival bordelais. De son côté, Adrien, directeur artistique du collectif haut en couleur OTTO10 veux faire d’un tel choix une initiation : « Maintenant on essaie de ne faire que du végé. Plus du tout de viande, des choses riches et de qualité. Si on peut montrer au public que c’est bon aussi et qu’il y revient en dehors de l’événement, c’est déjà ça. »

Pour les boissons c’est pareil. À commencer par l’eau dont la mise en place de fontaines gratuites limite considérablement l’utilisation de bouteilles en plastique. Chaque année, selon les Vieilles Charrues, 15.000 bouteilles sont ainsi épargnées grâce aux 22.000 litres d’eau distribués en fontaines publiques. Côté houblon, tandis que certains s’associent à des gros distributeurs comme Heineken et Kronenbourg et plient face aux impératifs financiers, à des facilités de sponsoring et de logistique, d’autres essaient au maximum de jouer la carte du local réduisant ainsi les circuits d’approvisionnement et donc de rejet de CO2. Un effort qui va souvent de pair avec des bières plus sophistiquées. Le Cabaret Vert, festival qui peut se targuer d’être écolo, propose ainsi du « local » avec ses 46 différentes bières en pression disponibles aux buvettes du festival.

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We Love Green © Maxime Chermat

Ecocup, la fausse bonne idée ?

Pour ramener ton breuvage divin jusqu’au milieu du dancefloor – sans oublier d’en renverser la moitié sur tes pompes et ton t-shirt – rien de tel que les gobelets réutilisables. Pas besoin de vous en dire plus, on a déjà tout dit sur ces boucs émissaires des tatillons de l’environnement. Vous savez déjà que depuis son importation d’Espagne en 2006 par l’asso Ecocup, le gobelet miracle en a déçu plus d’un. Vous savez déjà que sa fabrication, son transport et son lavage contre-balancent ses belles idées vertes et ses multiples réutilisations elles mêmes déjà loin loin loin d’être suffisantes. Vous avez déjà lu que tous ces euros jamais récupérés étaient parfois devenus des pièces de beurre dans les épinards d’une recette hors billetterie non-taxée ! Donc si les pelouses sont effectivement bien plus épargnées, la nature ne s’en porte pas forcément mieux. L’idée était bonne de responsabiliser le chaland pour qu’il prenne soin de son biberon, mais il faut encore favoriser la logique circulaire de cette démarche.

Selon Vincent, 34 ans, festivalier, « ça varie beaucoup selon les événements. Il y a des festivals où il n’y a qu’un point de rendu des consignes à l’entrée du site et qui ferme très tôt, c’est complètement absurde. Ailleurs comme au Château Perché festival, les consignes sont récupérées à toute heure et à tous les bars, c’est très pratique et très peu de verres traînent sur le site. » À Opal festival, Jérôme qui organise l’événement dans le champ de ses parents en Normandie, propose aux quelques centaines de festivaliers d’organiser ensemble la fête. Côté gobelet il propose une idée simple : « Ils ont 1 gobelet avec lequel ils doivent faire tout le festival, il y a juste de quoi les rincer, ça marche très bien. La première année on avait mis Opal 2017 et on a décidé de ne plus mettre la date pour même le réutiliser d’année en année. C’est con parce qu’on aimerait bien le garder en souvenir d’année en année, mais il faut faire des choix. » Autre collectif coloré et pailleté qui sévit dans la capitale, Alter Paname squatte lui aussi régulièrement les parcs et jardins qui l’acceptent. Depuis plus de 4 ans, Alter a pris du poids et cherche encore la solution idéale. Marie, membre du collectif, trouve que ces fameux verres miracles ne sont pas forcément une bonne idée : « On n’utilise pas toujours cette solution car il s’avère qu’un tel gobelet laisse au final autant d’empreinte carbone qu’avec les gobelets jetables quand on calcule son lavage et son transport. Et quand il se casse par terre, c’est 10 fois plus difficile à ramasser. »

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© Gaëtan Tracqui

Les toilettes mixent

Tout ce qui rentre doit sortir. Or, entre toilettes chimiques et sèches, le choix n’est pas anodin. En file indienne avec ta dose de copeaux, l’intérêt des toilettes écolo paraît vite évident. La différence fondamentale des sèches avec les chimiques est de « valoriser » nos petites affaires et surtout les grosses en engrais naturels. Assis dans ta cabine, alors que tu ne te sens pas très bio toi-même, tu es en droit de te demander si tes « ressources » donneront naissance un jour à des épis de maïs plein d’amour halluciné ? Alors j’ai posé la question à Sylvain, de Toilettes & Co un des principaux prestataires de toilettes sèches en France : « Le fumier humain reste du fumier animal, au même titre que le fumier de porc par exemple dont on sait qu’il contient beaucoup d’antibiotiques. Il ne faut pas sous-estimer la puissance du compostage. Avec beaucoup de travail, en 1 ou 2 mois minimum on peut tout à fait obtenir un compost sain. Aux USA ils ont carrément décontaminé des sols pollués avec cette technique. »

Te voilà rassuré. En recyclant ainsi nos déchets les moins soupçonnables on se rapproche un peu plus d’une consommation circulaire dont la nature a le secret. Mais ce choix nécessite un suivi sérieux, de l’implantation des toilettes jusqu’à la gestion du compost. Un suivi pas toujours respecté, parfois même parmi de très gros événements. Derrière cette pratique de façade, pourrait se glisser un autre argument : « Les toilettes sèches restent 2 fois plus chères que des toilettes chimiques mais le service est bien meilleur et les organisateurs s’y retrouvent, continue Sylvain. C’est bon pour l’image et peut-être que ça favorise la fréquentation de ces événements auprès de la gente féminine. » Quoiqu’il en soit, ruiner tant d’eau potable avec des toilettes traditionnelles est un non sens, et il serait bon de voir se démocratiser encore plus le traitement des eaux usées même en dehors de ces installations éphémères. Sylvain conclue : « Il faut voir l’assainissement écologique comme un tri sélectif. On sépare les eaux jaunes (ex : urine) des eaux noires (ex : matière fécale) des eaux grises (ex : eau de vaisselle). En séparant les 2 premières de la troisième on assainit déjà 80% des eaux usées. »

Empreinte car-quoi ?

Tandis que tu luttais pour ne pas mourir d’ennui au fond de la classe, ton prof d’éco t’expliquait que le nerf de la guerre : c’est l’argent. Mais lorsque nos ressources d’énergies seront taries, tout l’argent du monde ne sera plus bon qu’à faire des copeaux pour ta grosse commission en Jour 2 de festival. Recycler au maximum, dépenser un minimum et faire du neuf avec du vieux sont essentiels pour un événement qui se veut soutenable.

Le festival We Love Green, modèle en la matière, est souvent cité en exemple tellement il déploie une panoplie assez imbattable dans ce domaine. Des panneaux solaires qui permettent d’alimenter intégralement une scène à l’économie profonde de sa consommation d’énergie grâce à ses choix de prestataires, il est difficile d’astiquer le géant vert. L’agence de communication We Love à l’origine de ce fer de lance des festivals écolo renouvelle son pari chaque année au Parc Floral dans le sud-est parisien avec brio. Son principal défi étant peut-être de sensibiliser toujours plus, notamment grâce à des think tank, un public très urbain et ultra-connecté à la société de consommation. “Sauvez les fleurs : mangez une instagrameuse et replantez son collier”, on y pensera.

 

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 Château Perché © Kévin Soirat

Mais la vraie bête noire que les organisateurs peinent à combattre c’est le transport. La télé-transportation étant encore en 2018 l’apanage d’hommes-singes originaires de la planète Namek, c’est trop souvent en 205 diesel que tes petites fesses et des milliers d’autres parviennent à destination. Selon notre festivalier Vincent, les choses évoluent : « De plus en plus, les organisateurs nous incitent à faire du covoiturage et font des plateformes dédiées grâce aux réseaux sociaux. Parfois, comme au Château Perché, des navettes en bus sont carrément organisées depuis les grandes villes ou les gares les plus proches. C’est pas cher, pratique et même plus sûr. »

Ô drame, Ô désespoir, c’est en avion – big boss des émissions de CO2 – que ton groupe préféré débarque lui aussi quelques heures avant son show. Et même quand on veut bien faire, c’est encore en avion que les conférenciers viennent te sensibiliser l’après-midi au réchauffement climatique. Maxime, du festival Climax insiste sur ce point :

« Ironiquement cette année ce ne sont pas les artistes qui ont majoritairement pénalisé le bilan carbone mais également les conférenciers dont certains venaient de loin. C’est peut-être le prix à payer. »

Il faut mettre en relief ces contradictions. Sans musiciens, pas de fête, pas de sensibilisation non plus, encore moins de conférences. Même pas de scientifique aux cheveux longs, dont l’éloquence devient virale et place l’effondrement de la biodiversité dans le trend topic de toutes les boîtes à buzz. « Tout l’objectif du festival est d’attirer un public plus divers et pas nécessairement acquis à la cause climatique, poursuit MaximeChaque année nous questionnons nos festivaliers précisément sur le pourquoi de leur venue à Climax. Cette année sur le panel de répondants, 44% ne sont pas là pour la raison de la cause climatique. »

CLIMAX

© Climax festival

Conscients donc que malgré tous leurs efforts, l’existence même de leurs créations est polluante, plusieurs organisateurs se rabattent sur un outil parfois méconnu du grand public : la compensation carbone. De même que tu utilises Lilo ou Ecosia comme moteur de recherche pour planter un arbre avec les revenus des liens sponsorisés (et oublier le fait qu’une recherche Google est égale à une ampoule traditionnelle allumée pendant une heure), le 21ème siècle te propose de soutenir financièrement des projets de lutte contre les émissions de CO2 pour compenser les tiennes. L’approche est cynique mais, dans un monde qui marche sur la tête, c’est peut-être mieux que rien. Les festivals les plus zélés font appel à des bureaux d’étude qui déterminent scrupuleusement leur bilan carbone. En plus de cibler leurs points faibles, ils disposent alors d’une consommation chiffrée qu’il leur appartient de compenser via des entreprises comme Good Planet et CO2 Solidaire. Attention néanmoins avec cette logique de dernier recours et dont la frontière avec le greenwashing est mince. Comme si tromper sa meuf et lui acheter des fleurs…. Non rien.

II – FESTIVALIERS À PIQUER

Azy jui bouré za conte pas

Les organisateurs, ou du moins ceux qu’on aime, se cassent donc bien les bonbons pour être irréprochables au risque que de sales blogs d’humeurs musicales viennent leur chercher des noises. Il est vrai que le public s’en remet beaucoup à eux, mais une fois les bonnes cartes en mains, les fêtards – eux – jouent-ils vraiment le jeu ? Les bringues sont-elles pleines de petits écolos-Cendrillon qui, passés le douzième coup de minuit, font voler en éclat toutes leurs belles valeurs ?

C’est ce que constate amèrement Adrien, d’OTTO10 : « Dès qu’ils sont bourrés ils n’en ont plus rien à foutre de mettre leurs mégots par terre ou dans un cendrier. Il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est vraiment difficile dans le cadre d’une teuf où les gens viennent s’amuser de mettre en place ce genre de choses. On s’autocensure parce que reviennent souvent des réflexions de type : là c’est trop compliqué, les gens vont être trop bourrés, ils ne vont pas lire… » Forte de son état d’esprit communicatif, la bande qui sévit dans la capitale s’autorise de plus en plus une pédagogie de la bienveillance : « Ce qu’on fait beaucoup c’est l’éducation du public, continue-t-il. C’est un peu notre truc de faire passer des messages avec humour, sans que ce soit rébarbatif. On a eu une police de la propreté pour faire respecter la propreté du site à coup de tapette à mouche, on a fait des affiches originales, on est passés aux paillettes biodégradables, on en a distribué et on incite les gens à n’utiliser que ça. »

Marie, d’Alter Paname s’avoue également vaincue : « Dernièrement nous avons pris en photo le sol d’une scène extérieure après la teuf, couverte de gobelets en plastique et l’avons postée sur Facebook, les gens ont été très choqués mais je ne sais pas si ça les influencera concrètement pour leurs prochaines teufs. » Vu le nombre de batailles à mener de nos jours, il semble juste difficile d’avancer sur tous les fronts : « Depuis 4 ans, on observe une faible évolution sur ce sujet tandis que des questions comme la consommation de drogues ou le consentement émergent un peu plus, finit Marie. Difficile quand il s’agit de fête de demander aux gens de faire attention à tous ces sujets importants en même temps. »

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Opal festival © Brian Ravaux

Pas ta clope, pas ta clope, pas ta clope

Après avoir savouré ta dernière latte, tu baisses délicatement ta main, écartes index et majeur et ton mégot disparaît. À défaut d’être le Harry Potter Marlboro, ni un corbeau bien entraîné, il est sûrement plus malin de chercher un autre cendrier que le champ des parents de Jérôme à l’Opal ou un parc municipal pour OTTO10. Si une bonne douche, un café-paracétamol feront disparaître ta gueule de bois, il faut minimum 2 ans pour que ton mégot, lui, disparaisse. « Ce déchet très polluant dénature totalement le lieu et est compliqué à capter. Notre point noir est de ne pas avoir distribué assez de cendriers de poche.« , déplore Maxime de Climax. À Opal grâce en partie à sa petite jauge, Jérôme se félicite des résultats mais cherche encore la méthode idéale : « On a trouvé un plan pas cher pour des cendriers de poche mais j’ai pas envie de le faire parce que ça revient finalement a distribuer plein de petits trucs en plastiques y compris aux non fumeurs alors qu’utiliser des cendriers bien situés ou les braseros le soir suffirait. Je pense qu’on peut s’en sortir à l’ échelle du site. »

Responsabiliser chaque fêtard, cette mission très complexe, serait la voie de la sagesse. Pourquoi ne pas donc donner un coup de pouce et s’armer de bonnes idées raconte Benjamin, 34 ans, festivalier : « Il y a des endroits où ton cendrier te propose de voter pour ci ou ça en mettant ton mégot à gauche ou à droite, c’est con mais c’est marrant. Parfois aussi au bar on peut demander un sac poubelle, on le remplit en 2 minutes en ramassant des déchets et on a une conso offerte, c’est bien vu. » Apprendre aux participants à être acteurs plus que consommateurs, en plus de laisser une marque bien plus forte dans ton petit cœur permettrait de relever bien des défis et pas uniquement dans le domaine de l’écologie selon le DA d’OTTO10 : « On a une dimension politique qu’on le veuille ou non. Faire la fête c’est du vivre-ensemble, ce n’est pas une vocation à la base mais par la force des choses on sensibilise les gens aux valeurs qui nous touchent. On se dit qu’on a 20.000 fans et qu’il y a un travail d’éducation à faire. Récemment on a fait la promotion de la Marche pour le Climat. C’est le genre de truc qu’on ne faisait pas avant mais on a de plus en plus à cœur d’endosser aussi ce rôle-là. »

En septembre dernier le collectif se fend donc de ce manifeste sur sa page Facebook.

ILLU OTTO AFFICHE

Mi casa es su casa

Le matin tu médites sur la porte de ton frigo en lisant cette maxime : “Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin”. Vraiment ? Invisibles dans la foule, fondus dans la masse, cachés par la nuit, qu’il est difficile de rester exemplaire.

Pour Jérôme, le fonctionnement du festival Opal est possible grâce à l’engagement de ses participants : « Pour que les gens soient impliqués, il faut qu’ils soient engagés, qu’ils mettent la main à la patte avant. Si deux mois avant tu passes un aprem à démonter des palettes pour construire un bar, tu vas être beaucoup plus impliqué sur place. » En effet, l’événement qu’il a souhaité créer naît d’une démarche bien différente. Le festival ne cherche pas à être écolo et ne se revendique d’ailleurs pas ainsi. C’est dans sa structure qu’il va chercher sa spécificité : « Il y a une identité sur son modèle d’organisation. Normalement un festival c’est des organisateurs, des bénévoles, des festivaliers et des artistes. Je ne crois pas du tout en la hiérarchie et je veux faire un festival complètement horizontal. Il n’y a pas de chef, pas d’orga. Le plus responsable c’est moi dans le sens où c’est le terrain de mes parents mais c’est tout. » Ici la structure est faite de bulles : « On fait des teams qu’on appelle des bulles, nous raconte-t-il. Il y a la bulle accueil qui élabore et te distribue un kit de bienvenue, la bulle bar qui construit le bar et gère les boissons, la bulle cuisine… Quand les bulles sont trop grandes, il y a trop de gens : ça dilue les responsabilités. Donc on les casse, et on teste encore. »

Important donc de cultiver l’esprit de famille et de ne pas couper le cordon avec sa communauté. Un challenge complexe, comme le rappelle Marie d’Alter Paname : « Ce n’est pas simple de garder ses valeurs quand on organise une fête avec 6000 personnes. C’est assez récent que toutes ces personnes affluent. Je pense que les gens se rendent compte sur place qu’on n’est pas une grosse entreprise événementielle, c’est dans les détails que ça se ressent. »

 

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Opal festival © Elisabeth Mouchy

III – ARTISTES ÉPICS ?

(Bio)sphère d’influence

Comme le faisait remarquer Mame Lucet l’autre jour (ou presque), il n’est pas juste de culpabiliser uniquement le pauvre petit peuple qui veut juste s’en coller une le week-end et d’attendre tout de lui. D’autres acteurs importants de ces événements peuvent aussi jouer le jeu de la prise de conscience. Les artistes par exemple sur lesquels sont basés une bonne partie de la fréquentation de ces fêtes peuvent jouer des coudes pour tirer les habitudes dans le bon sens. Radiohead par exemple, maintenant qu’ils ne courent plus les cachets, peuvent se permettre quelques frasques écolo. Ils ont fait calculer l’empreinte carbone de leurs tournées en 2003 et en 2006 pour compenser l’impact et en évaluer l’évolution (de 9000T de CO2 en 2003 à 2300T en 2006), fait changer les ampoules de leur plan de feu par des bulbes basse consommation, ou encore ont accepté uniquement les interviews des journalistes arrivés en trottinette. Quel marrant ce Thom.

Début 2017, une agence de voyage s’amuse à calculer la distance parcourue par d’importants musiciens durant leur carrière. Le sérieux de la sélection est discutable, mais sans surprise elle confirme que les DJ à la carrière internationale, et qui prennent l’avion plusieurs fois par week-end, balancent autant de tonnes de CO2 que de drops en un set. Alors oui, ça coûte bonbon à l’ozone de relier Hambourg, Tokyo ou Glasgow à tes esgourdes friandes de kick-snare mais ce serait hypocrite de s’en offusquer. Avouons que consommer local en musique, c’est pas toujours ça.

En attendant de faire leurs tournées en voiliers, des artistes comme le DJ de Brooklyn Sammy Bananas fonde le collectif DJs for Climat Action (DFCA). Avec des copains plutôt cool comme Louisahhh !!!, RJD2 ou A-Trak, ils s’engagent à user de leur influence et leurs revenus pour compenser leur empreinte carbone mais aussi sensibiliser leur audience aux questions environnementales. Né de la même démarche, félicitons le collectif The Freaks dans lequel on retrouve aussi bien -M- que Camille, Dionysos, Shaka Ponk ou encore Yael Naim.

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OTTO10 © Gaëtan Tracqui

Money money money

Et le fric dans tout ça, me diras-tu ? C’est bien de faire des câlins aux arbres mais jusqu’à présent mon proprio n’accepte pas les bisous (si c’est le cas jeune amie je t’invite à t’en préoccuper). Ce n’est peut-être pas le nerf de la guerre mais c’est là où le bât blesse, me confirme Adrien d’OTTO10 : « À chaque fois c’est un peu la même chose, on veut faire les choses dans le bon sens et on se heurte à des remarques du type : « Là on n’a pas le budget, là c’est pas possible, là on n’a pas la temps… Les toilettes sèches c’est bien mais ça coûte une fortune. » C’est toujours contre-balancé par des choses qui nous empêchent de faire les choses comme on voudrait. »

Mais l’argent et le pouvoir ne sont-ils pas l’apanage des politiques ? N’est-ce pas leur rôle justement que de promouvoir le vivre-ensemble et d’encourager les initiatives culturelles et durables ? Il existe bien un ministère de l’écologie, un portefeuille, un budget comme à la culture. Les deux sont-ils obligatoirement dissociables d’ailleurs ? Il est triste d’apprendre que face aux réalités financières de tels projets, les institutions brillent souvent par leur absence.

« Nous (OTTO10), on s’engage, de notre propre initiative à respecter tous ces points, et ça ferait vraiment du bien d’avoir des aides à ce niveau-là. On a commencé avec un KissKissBankBank et depuis les bénéfices d’un événement servent à la production du suivant. Ça et quelques co-prod que nous avons fait, ont toujours été nos seules sources de revenus. Avec plus de moyens on pourrait faire mieux encore. » Même son de cloche chez Climax : « Il n’y a pas encore vraiment d’aides financières à cet effet. La Région Nouvelle-Aquitaine nous accompagne depuis le début à travers une subvention et est le partenaire institutionnel majoritaire, le seul d’ailleurs sur le plan financier. Cette subvention permet en partie de couvrir certains frais mais ne suffit évidemment pas. »

Pour le moment, encore esseulés, les organisateurs se refilent donc les bons tuyaux, s’associent en collectifs, créent des chartes et sensibilisent à leur portée, avec leurs propres moyens, leurs ouailles pour qu’ils aillent à leur tour prêcher la bonne parole.

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Opal festival © Yion Chppz

BILAN PAS CARBONE

Maintenant que je te brise les ovaires depuis deux heures avec mon article à rallonge et tes 10 onglets en standby, laisse-moi conclure avant de t’avaler tes 6 boîtes de Mémorax. Elle n’est pas loin l’époque où tu achetais, consommais et jetais sans ne jamais te poser aucune question. On ne peut pas tout changer d’un coup. Prendre conscience de ces aspects de la fête ce n’est pas se rajouter des soucis, c’est s’ouvrir à des solutions. À défaut de laisser Pachamama vieillir OKLM parce que notre plaisir hédoniste passe avant tout, on peut se passer d’un gros gâchis. Il y a des coups d’éclats et des coups d’épée dans l’eau, mais tous ces coups ont le mérite d’expérimenter pour trouver des solutions. Comme disait ce bon vieux Madiba : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends » donc continuons à faire, à critiquer, à questionner et corriger chacun de nos choix même en configuration teuf-teuf-teuf. C’est justement en prenant les bons réflexes qu’on n’aura plus besoin d’y penser.

En caleçon dans mon salon en train de nettoyer les vestiges de la veille je m’active peu à peu en me demandant où je vais bien pouvoir guincher ce soir. Il paraît qu’une nouvelle bande de zigs pose ses platines dans une friche en banlieue. Une nuit fantastique se profile, on va y fêter la vie, lui donner du sens, parce qu’après tout, ça ne sert à rien de se battre pour un truc sans saveur.

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Sophie 29.03.2023

Super article, bravo et merci !

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Anne Clauzure 01.06.2019

Pour que la magie perdure, prendre en compte le vivant et s’amuser sans user son âme ! Génial ton article ! Merci

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Nicolas Haiste 22.02.2019

Merci Clément, super article !
Je serais ravie de pouvoir te parler de notre concept de cotrainage AllonsBonTrain qui est dans l’esprit de ces nouvelles solutions vertueuses et responsables qui voient le jour sur les festivals.
Nous souhaitons aider les organisateurs à réduire l’empreinte carbone du transport des participants avec une solution simple à mettre en place. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons décidé de rendre notre solution gratuite pour eux.
Nous avons déjà accompagné plusieurs festivals comme Château Perché, et accompagnons cette année WeLoveGreen, Les plages Électroniques, Cercle …
Si tu veux en découvrir un peu plus : https://www.allonsbontrain.fr/transport-pour-votre-evenement
À bientôt !

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Etienne 07.02.2019

Excellent article, tout simplement !
Et en plus ça fait réfléchir avant que ne s’ouvre la saison des festivals.

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France Bataille-Agier 06.02.2019

J’ai 63 ans, suis accessoirement la Maman d’Adrien (OTTO10), … et je suis tellement fière de VOUS à qui nous avons légué un si lourd tribut … Ton article est merveilleusement bien écrit, ciblé , détaillé, illustré, imagé, documenté, fluide dans sa part des choses, et ficelé d’humour qui le fait se lire de façon suave, … alors, 4 mots : COURAGE, PERSÉVÉRANCE, BRAVO, MERCI

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Kaapuch 25.01.2019

Félicitétations pour cet excellent article !

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