Avec « Huit regards obliques », Etienne Jaumet pose son emprunte sur l’automne 2018 avec un disque de reprises de jazz. Chiant à première vue, non ? C’est simplement parce que vous n’avez aucune idée du talent de détricotage et d’interbidouille de l’habitué de la maison Versatile et du membre de Zombie Zombie. Un à un, Etienne nous a annoté chacun des morceaux qu’il avait repris et confié par quelle magie noire il les avait empaquetés dans le cosmos.
Sun Ra (Nuclear war), Miles Davis (Shhh/Peacefull), Ornette Coleman (Theme from a symphony), Duke Ellington (Caravan), autant de pièges dans lesquels il est si aisé de tomber, autant de bijoux qu’il est malvenu de recopier, autant de noms qu’il est courant d’esquinter. Eh bien, ne partez pas, si la musique devait rester dans son époque immaculée, ça fait bien longtemps qu’on serait passés à autre chose. L’observation des animaux par exemple recèle chaque jour un nouveau mystère à explorer. C’est juste une piste, bien entendu. Une piste que vous n’aurez pas besoin de suivre, étant donné que la musique n’est et ne sera jamais figée, n’en déplaise aux anciens, aux souvenirs, aux gloires passées. La musique doit être vivante ou ne doit pas être. Avec Etienne Jaumet, en plus d’être vivante, la réalité est déformée.
Quatre ans après son dernier album solo La Visite qu’on avait largement plébiscité (retrouvez notre interview), Jaumet remet les pieds dans le plat de nouilles avec du cuivre et de la techno, du jazz électrique et du synthé Odyssey ARP. C’est beau à en crever.
Alors, on a demandé à Etienne de nous annoter sa musique, parce que c’est bien sympa de faire des interviews où on parle de société, de vie privée et de grands combats pour la survie du monde mais on est quand même ici pour travailler. Le voici donc, les guillemets ouvertes, le verbe fugace, devant vos yeux.
“Shhh/peacefull “ Miles Davies 1969
L’original : Il s’agit du disque qui m’a fait entrer dans la période electric jazz de Miles Davies. On perd toute notion du temps lorsqu’on l’écoute.
Ma reprise : Ça m’a beaucoup beaucoup amusé de remplacer Chick Corea et Herbie Handcock avec un Yamaha Portasound cheap et un glockenspiel.
“Nuclear War” Sun Ra 1984
L’original : J’aime les “chansons” de Sun Ra. Ce qui est troublant dans celle-ci c’est son mélange de gravité et désinvolture.
Ma reprise : J’ai voulu aller à l’essentiel. L’instrumentation est minimale. Tout est axé sur ma voix transformée à la fois grave et détachée. L’idée de reprendre un morceau de jazz à la voix m’a beaucoup amusé.
“Unity” Philip Cohran 1967
L’original : Philip Cohran est mort récemment. Son oeuvre est très intéressante. c’est un ami, Fabrice Laureau, qui m’a fait découvrir ce morceau.
Ma reprise : J’ai donc entendu ce morceau qu’après sa mort. Et j’ai été fasciné par l’articulation des différentes parties mélodiques et par cette rythmique hypnotisante.
“Theme de yoyo” Art Ensemble Of Chicago 1970
L’original : J’ai hésité avant de reprendre ce monument du jazz, mais comme il n’est pas très connu car se trouvant sur la BO d’un obscur film : Les Stances à Sophie… J’aime sa folie et son groove incroyable.
Ma reprise : Cette chanson est un chef d’oeuvre sauf pour le texte que je trouve cliché et bâclé. Je l’ai traduit en français car mon accent anglais et trop mauvais.
“Spiritual” John Coltrane 1961
L’original : Un de mes thèmes préférés de John Coltrane. Ma version favorite et celle en live avec Eric Dolphy au Village Vanguard.
Ma reprise : C’est le premier morceau sur lequel j’ai travaillé pour ce disque. Je le joue depuis longtemps déjà en concert. Ça m’a donc encouragé à en faire d’autre pour composer ce disque.
“Caravan” Duke Ellington 1937
L’original : Cette mélodie a tellement été reprise que je me devais de la rudoyer encore une fois. Impossible de s’en lasser.
Ma reprise : Je me suis bien amusé avec cette basse acid et cette rythmique technoïde. Une lecture un peu rèche up tempo.
“Theme from a symphony” Ornette Coleman 1976
L’original : Encore un titre que je joue depuis longtemps par plaisir dans le privé. Il ne ressemble pas vraiment à un thème de jazz. Il est très étrange. Presque folklorique.
Ma reprise : Sans doute le morceau le plus déjanté de mon disque. Il m’est pourtant familié depuis des années, c’est pour cela que je savais que j’allais le reprendre un jour sur un album. “Ma révélation mystique” est le seul morceau que j’ai composé moi même. J’avais envie de mêler les envolées lyriques de mon saxo à celles de mon synthé Odyssey ARP.
Crédits photo en une : Etienne Jaumet © Ph. Lebruman
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