Porté par une quinzaine de meufs aussi déterminées que des députés français pour la pause goûter de 16h30, l’événement pluridisciplinaire Comme Nous Brûlons tisse sa toile dans l’art et la société since 2017. A Paris et proche banlieue, où l’équipe a déjà organisé deux éditions, on peut y voir ce qui se fait de plus rageur et vital dans les musiques actuelles.
Avec sa programmation 100% femmes, CNB se veut aussi et surtout 100% politique. A l’heure où le nombre de discours radicaux venant d’unE artiste devient plus rare que celui d’Anglais sobres sur les plages grecques, on a de quoi se demander de quoi notre population a bien besoin de parler. Époque de la désillusion, du spleen d’Angèle et PNL en direct sur YouTube pour les uns, ou du regroupement en collectifs de sensibilités et de combats sociaux pour les autres… il serait facile de scinder le monde en deux catégories disneysques.
Mais le monde n’est pas facile et ceux qui voudraient le simplifier ne font que l’opposer, le violenter, le raccourcir, le malentendre. C’est d’ailleurs l’un des chantiers au quotidien de l’équipe de CNB : (dé)montrer que le monde, comme l’individu.e, est complexe, multiple dans ses identités comme dans ses paradoxes. Ainsi quel que soit le domaine, le crew milite pour sa paroisse païenne.
Qui, quoi, quand au fait ? Du 11 au 15 septembre 2019, le line-up est distribué entre Paris, Aubervilliers et Saint-Denis à la Station – Gare des Mines, au Cinéma LeStudio ainsi qu’au Landy Sauvage. Vous voulez du name dropping ? Vous aurez l’occasion de croiser les artistEs Catnapp, Sink Ya Teeth, $afia Bahmed-Schwartz, À Trois Sur La Plage, Englesia, Ira Rap, Dmitrievna, Grindertheeth, Amosphère, Bäm Bäm, Decha, Sissel Wincent, Rachel Noon, Grande et d’autres. Concerts, expos, performances, projections, émission de radio, atelier et stands (coupe de cheveux à prix libre, tatouages, jeux anti-patriarcat, tarot), stands politiques (pôle LGBTQI+ bureau d’accueil des MigrantEs BAAM, de la prévention et sensibilisation aux problématiques liées à la sexualité et aux identités, ou OUTrans, une association féministe d’autosupport trans).
À quelques petits jours du début du festival, on a posé des question à Loren Synnaeve, co-fondatrice parmi 15 de l’organisation à la hiérarchie entièrement horizontale de Comme Nous Brûlons. Genèse du projet, politique, incandescence, non-mixité, harcèlements , comportements agressifs et radicalité artistique sont au programma de cette interview.
Plus d’informations sur l’event Facebook du festival.
L’ENTRETIEN
Pouvez-vous présenter la team Comme Nous Brûlons ?
Comme Nous Brûlons est né d’une réunion à 40 meufs et trans dans un grand salon à Aubervilliers un dimanche en ramasse. La Station avait proposé à Brigade du Stupre d’occuper un temps fort, et l’asso avait alors lancé un appel général qui avait été plus que bien reçu. De là, un grand élan d’envie de faire un festival est né. Des 40 et quelques, on est aujourd’hui une bonne quinzaine, qu’on avait pour habitude de présenter comme l’alliance de Brigade du Stupre, RETARD, Les Amours Alternatives et leurs consoeurs non encartées, mais je pense qu’aujourd’hui on est Comme Nous Brûlons, tout simplement.
On entend souvent que la musique n’a pas à se soucier de la politique. Ainsi les événements clairement militants se font rares. Confirmez-vous cette idée ?
La musique est évidemment éminemment politique. Il n’y a qu’à voir la portée qu’elle a sur la société dans son ensemble : on n’échappe pas à la musique, où qu’on soit. À partir de là, il nous paraît important que les artistes se positionnent politiquement. Et de fait, les événements gouines, ou drag queen, ou de gauche (coucou la Fête de l’Huma aha) sont bien sûr militants. C’est un cercle vertueux, il faut que les événements insufflent plus de politique à leurs line-ups, et à l’inverse il faut que les artistes choisissent leurs combats.
Quand on se lance dans un festival affiché comme militant, s’expose-t-on à passer pour le.la relou.e de service ?
Une fois qu’on a ouvert les yeux sur une cause (féminisme, écologie, végétarisme ou véganisme), on devient automatiquement la relou de quelqu’un. Mais c’est signe qu’on dérange, et c’est donc quelque chose de plutôt positif. Pour l’instant, on a eu beaucoup de chance avec Comme Nous Brûlons. À part quelques trolls sur le mur de l’événement, on a été confrontéEs qu’à des énormes de doses de soutien, de bienveillance et des retours ultra positifs.
Est-ce aussi pour cela que le lexique autour du feu a été choisi pour l’identité du festival ? Pour que le public voie ça de façon « incandescente » plutôt que déprimante ?
L’idée de Brigade du Stupre était de « dédiaboliser le terme féminisme » : montrer qu’on peut être féministe et faire la teuf, passer un moment politique et festif en même temps, soutenir une cause sans tomber dans le meeting interminable. Donc oui, Comme Nous Brûlons est né de ces cendres, et c’est bien ce qu’il s’y passe pendant 5 jours !
On entend également occasionnellement des politiques de tous bords s’exprimer sur les événements comme le vôtre qui constituent une programmation 100% femmes ou 100% gay ou autre… prétextant un sectarisme, un isolement, etcetera. Que répondriez-vous si une déclaration de la sorte était faite à propos de CNB ?
La non-mixité choisie est une évidence pour nous. Qu’elle soit dans le choix des artistes, et même parfois dans le public (le festival est ouvert au public mixte mais certains de nos ateliers sont en non-mixité par exemple). On a trop longtemps été mise au banc de toutes les décisions politiques, sociétales, culturelles, etc. mais dès que la tendance s’inverse (encore une fois, sur des moments ponctuels où il est important de se retrouver entre nous), on entend des aberrations. L’un des buts de Comme Nous Brûlons est aussi de montrer que tous les programmateur.rice.s qui ne bookent pas de femmes « parce qu’il n’y en a pas » sont juste fainéants. Je crois qu’à l’aube de cette troisième édition, on a réussi notre pari.
La communication du Comme Nous Brûlons est explicite. Est-ce suffisant pour éviter les comportements raciste, transphobe, misogyne, grossophobe, etcetera ? Quelles sont les autres mesures prises à ce sujet, notamment pendant le festival ?
Non, comme on a pu s’en rendre compte l’an dernier. Sur la partie club du vendredi, on a eu un arrivage de mecs cis hétéro qui étaient là pour faire la teuf sans savoir où ils mettaient les pieds, ce qui a donné lieu à des débordements et des comportements inacceptables. Mais on apprend de nos erreurs, et cette année on va mettre une physio ainsi qu’une membre de l’asso à la porte, surtout sur les créneaux club, ne serait-ce que pour savoir si les gens savent ce qu’ils font là. On fait également un gros travail d’affichage et de sensibilisation sur place. Après, il y a une véritable prise de conscience, surtout dans des lieux comme La Station, et notre public n’hésite aussi pas à réagir de lui même avec beaucoup de bienveillance.
Outre ces comportements, il y a également le harcèlement au sein des fêtes, concerts et festivals qui est au centre des discussions ces derniers mois. Quel est votre sentiment sur la situation en France aujourd’hui ?
Comme je le disais, je pense qu’il y a un double effet de prise de conscience par les professionnels (staff, lieux, festivals, etc.) et par le public lui-même. De plus en plus de meufs (et de mecs) n’hésitent pas à aller dénoncer ou s’interposer dans ce genre de situation. Enfin, je dis ça mais je fréquente surtout des lieux, fêtes et festivals alternatifs et engagés, donc je parle uniquement de ce que je sais. Quand on voit le communiqué de presse du Hellfest suite à l’affaire de viol, il y a encore un long chemin à faire.
La programmation musicale suit aussi cette thématique brûlante avec des lives et des sets radicaux, pas vraiment consensuels, parfois violents. C’est celui-là, le féminisme en musique, qui vous plaît ? Le côté « sorcière » cher à la journaliste Mona Chollet ?
La programmation est un véritable travail d’équipe, on se fait des réunions toutes ensemble où chacune y va de son goût personnel. Il y a donc des sets violents mais aussi de la pop, de l’ambient, voire des trucs goovy. On a la chance d’être accueilliEs par un lieu très ouvert au niveau de sa prog, et c’est ça qui fait aussi Comme Nous Brûlons : passer de la synth-pop à du rap islandais, de la pop trash milanaise à du R&B. Je ne suis pas sûre qu’on puisse dire qu’on ne passe que de la musique de sorcière ahaha.
Pouvez-vous nous présenter trois performances ou concerts à ne pas rater à aucun prix ?
La sélection de courts-métrages de mercredi soir au cinéma Le Studio. Catnapp, qu’on a eu l’occasion de voir à la Wet For Me à la Machine où nous avions été invitéEs (ça va être le feu !). Et la performance en deux temps de Dominique Gilliot : l’avant (vendredi) et l’après (dimanche) festival.
Plus d’informations sur l’event Facebook du festival.
Photo en une : Gaëlle Matata
il voulait dire Crypt records pas Creep records…