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« En 2050, on pourra voir la musique se dessiner dans l’air, la palper, se faire envelopper par les ondes »

Pendant un mois, on fait un focus sur la plus belle ville du monde après Sochaux et Carquefou, l’éternelle Marseille. Comme notre monde ne se satisfait plus de vivre dans le présent (quel ennui, vous me direz), on a décidé – avec l’équipe du Bon Air festival – de pousser un peu les potards dans le futur avec la scène musicale électronique phocéenne. Médias, institutionnels, artistes, programmateurs et activistes, ils ont bien voulu jouer le jeu de notre questionnaire prospectif sur la thématique : la musique à Marseille en 2050. Nouvel épisode avec Julie Raineri & Metaphore Collectif.

Si l’histoire, le théâtre et les métiers de l’éducation forment les premiers chemins de traverse de Julie Raineri, il semble que la destinée n’ait pas entièrement arrêté ses idées à son endroit. Vous nous direz, tant mieux pour la culture, et c’est pas dit que les trois premières disciplines soient finalement tant éloignées que cela de la teuf.

Tombée dans les musiques électroniques comme dans une marmite d’éternité, Julie s’y implique sérieusement en 2012 par la promotion, l’accompagnement et le management de ses amis, les artistes de Metaphore Collectif ainsi que de son local associatif, le Meta. On doit entre autres à l’activiste de la fête militante un engagement hors pair concernant la structuration d’une scène marseillaise brouillonne, qui galère alors à se fluidifier. Passée de la comm à l’admin en passant par les relations presse, elle prend naturellement le lead du crew en 2015. Ce souffle de feu qui anime le collectif, on le lui doit en partie. Avec Julie, le discours de Metaphore devient radical. Politique et musique se mêlent sans cesse dans une micro-société ouverte sur le monde et les différences, intraitable avec les inégalités et les rapports de domination.

Metaphore, c’est aussi une histoire de Marseille, du béton armé, de la galère et du besoin d’exutoire, de la déglingue à bas prix, du son qui claque. C’est la musique avant la teuf, le refus de la tutelle des clubs dans le monde de la nuit. Julie et ses amis proposent de donner à l’être humain une autre valeur que celle qu’on lui impose partout ailleurs : du bétail entendant les cloches de la consommation de foin. Ou de vodka Redbull. La déglingue comme seule excuse aux comportements débiles, régressifs et agressifs ? Bof, en fait.

Comble du plaisir, les soirées indus du crew cartonnent à Marseille. Le public de la ville la soutient aujourd’hui dans ses projets, que ce soit en djing où elle officie sous le nom de Vazy Julie ! ou dans son catalogue long comme le bras dont elle s’occupe pour l’agence Bi-Pole (organisatrice du festival Bon Air, qui a lieu dès ce vendredi 24 mai). La militante nous rappelle comment prendre le taureau du développement local par les cornes : en développant les artistes et les réseaux, et en faisant à sa sauce. En foulant le pur underground marseillais, Metaphore tient son rôle socioculturel, en accueillant les laissés pour compte de la vie diurne et normalisée. Rassurez-vous, là où la société s’est désengagée, il restera toujours des métaphores à filer.

Pour notre dossier Marseille en 2050, on a ouvert les guillemets à madame la dirlo. Elle nous a répondu avec, à chaque fois, sa réponse réaliste et sa réponse utopiste, deux hypothèses qu’il faut voir comme deux idéologies, deux faces d’une même pièce.

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LE FUTUR SELON
JULIE RAINERI

Comment écoutera-t-on la musique dans 30 ans à Marseille ?

Ma réponse réaliste : Je suppose que dans 30 ans à Marseille – et partout ailleurs dans le monde – on écoutera de la musique sous assistance respiratoire, au rythme où vont les choses… Peut être même d’ailleurs qu’on ne pourra plus écouter de musique parce qu’on sera tous morts. Ou alors, la nature aura repris ses droits, il n’y aura plus d’humain et tout sera musique, le vent dans les branches des arbres, le bruits des vagues qui cognent contre les rochers et celui des mouettes qui hurlent du matin au soir… Le rêve quoi.

Ma réponse utopiste : Bon, si on part du principe que dans 30 ans on est toujours là, que l’air est respirable et qu’on tient encore sur nos jambes… J’espère qu’on écoutera de la musique en binaural ou en 4D. Qu’on pourra l’entendre, mais aussi la voir se dessiner dans l’air, la palper, se faire envelopper par les ondes. Je me demande pourquoi ce n’est toujours pas le cas d’ailleurs, l’humain a quand même réussi à mettre en place une technologie capable de faire livrer des packs de bière par drone…

Où ira-t-on danser ?

Ma réponse réaliste : Si on part du principe qu’on ne pourra plus trop bouger, ni marcher, je suppose que danser sera encore plus compliqué. Mais l’envie sera toujours là, bien sûr, qui n’a jamais envie de danser ? J’imagine de grandes chambres froides où chaque corps sera stocké dans des capsules dont les parois seront de grands écrans digitaux très lumineux bourrés d’informations. Alors, on ira danser sur internet, sur des forum. Entre un match de l’OM et un concert de Black Marché, on pourra s’octroyer le plaisir d’acheter une petite danse à nos avatars avec des crypto monnaies. Le plaisir de danser résidera alors dans le simple plaisir de débloquer des mouvements, le corps lui sera anesthésié, anéanti, tout mou, uniquement nourri de pastis en intraveineuse. Pour se parler on s’enverra des émojis soleil, on se pokera (no stress on pourra aussi se bloquer). Sincèrement, on y est déjà presque non ?

Ma réponse utopiste : Dans 30 ans à Marseille, plus que partout ailleurs peut être, les collectifs auront continué leurs folles épopées. Les années les verront se multiplier, à tel point que la ville entière sera quadrillée de lieux uniques, illégaux, intimes, singuliers, cachés sous le Vieux Port, mais surtout des lieux éthiques, animés par des valeurs, avec pour seuls buts de proposer des expériences cathartiques aux publics marseillais, de leur permettre de venir écouter la bonne musique d’antan et de danser à l’abris du monde sans voir l’heure passer. Peut être que le Meta sera encore debout d’ailleurs, on pensait tenir 6 mois, ça fait 3 ans qu’on y est… Pourquoi pas 30 au final ? Note à moi même : penser à déléguer.

« Le futur de la musique à Marseille, c’est le mélange de morceaux de rap du sud avec de la musique hardcore »

Quels genres de musique seront populaires ?

Ma réponse réaliste : Musique électronique c’est sûr. Dans un monde dystopique où l’humain sera comme anéanti et soumis au diktat des machines, j’imagine que la musique du futur sera générée par les ordinateurs. Une grande banque de données réunira toutes les musique du monde et de toutes les époques, et un algorithme procédera à la fusion des genres. Ensuite, l’ordinateur analysera l’effet produit sur le cerveau de chacun, les émotions procurées par telle ou telle hybridation de musique. De cette manière, l’algorithme sera de plus en plus perfectionné et à même de proposer à chaque corps stocké dans les capsules une forme de musique conçue spécialement pour le toucher, lui parler. C’est peut être comme ça qu’une nouvelle forme de musique, un genre totalement inconnu, apparaîtra. Je pense de toute façon que si quelque chose de nouveau doit apparaître et devenir populaire, ça viendra du bug de la
machine, pas vraiment de l’humain. On est trop bloqué dans ce qui existe déjà j’ai l’impression, sauf Maoupa Mazzocchetti peut être : Flo l’avenir est entre tes mains !

Ma réponse utopiste : Ce matin je lisais un article sur I-D qui titrait « Les genres musicaux sont morts, la génération z les a tués ». Je crois que je suis assez d’accord, et je ne vois pas cela d’un mauvais œil pour autant… Tu vois, au début du XXème siècle, lorsque Luigi Russolo a écrit L’Art des bruits, il ouvrait la porte à une grande période d’innovation, de nouveauté, de bouleversement des codes en terme de musique et même en terme d’Art en général d’ailleurs, en posant sur le papier les bases de la musique bruitiste. Il s’est passé tellement de choses au XXème siècle, tellement de courants ont émergé, accompagnés par des innovations techniques la plupart du temps. Et c’est grâce à ces innovations qu’est née la musique électronique. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la création est annihilée par l’héritage tellement vaste de ces deux derniers siècles. Ou alors, peut-être qu’elle ne l’est pas, et que la nouveauté réside dans la fusion de genre, la façon d’adapter des sonorités connues au monde présent, la façon d’aborder la musique en 2019. On est dans une époque où tout va tellement vite, tout est tellement partagé en ligne, où on a accès à ce qui se fait dans le monde entier, que j’ai la sensation que rien de nouveau ne peut émerger. Juste des sous genres par milliers, ce qui fait que le genre n’existe plus. À coté, on voit l’émergence de nouvelles façons de faire de la musique comme l’algorave ou même comme le frapcore ! Puisqu’on parle de Marseille, je trouve que ce qu’a fait Southfrap Alliance avec sa première compil’, c’est exactement le futur de la musique à Marseille : la southfrap c’est un mélange de morceaux de rap du sud de la France avec de la musique hardcore. En terme de sonorités, ça plaît ou ça plaît pas, mais quoi qu’il en soit ça parle. Tant en terme de culture que d’un point de vue sociologique et politique d’ailleurs. Mon ami et membre de Metaphore Collectif, DJ 13NRV m’a confié que c’était en quelque sorte un petit challenge personnel que de réussir à placer un édit d’un morceau de JuL sur NTS, et le
challenge est relevé, ça prend super bien. Ça m’amène à plusieurs hypothèses donc : quels genres de musiques seront populaires dans 30 ans ? Ce sera soit une forme de musique hybride qui challenge de curieux mélanges de genres, ou bien un grand come back d’un genre tombé aux oubliettes car il ne faut pas mettre de côté le fait que la mode soit cyclique, ou bien encore un nouveau genre amené par de nouvelles avancées technologiques qui nous subjuguera tous. Dans tous les cas, peu importe qu’elle soit populaire finalement… On ne choisit pas la musique qu’on écoute en raison de sa cote de popularité. Si Metaphore Collectif existe toujours dans 30 ans, on continuera d’y écouter ce qui a du sens, ce qui nous touche et ce qui nous bouscule, sans réfléchir à la case ou au genre et c’est bien là tout le cœur de notre propos.

Les concerts seront-ils toujours un espace de rassemblement social ?

Est ce qu’ils le sont encore ? Je n’en suis plus sûre. On lutte pour, oui, bien sûr. Il y a des lieux qui sortent de l’espace-temps. Des lieux de rencontre entre humains. Mais de manière plus générale… Les gens écoutent de la musique l’iPhone greffé à la main, quand ils assistent à un concert, ils n’oublient pas de faire des stories et préfèrent partager virtuellement avec leurs abonnés. True story !

Ma réponse réaliste : Quand un concert sera annoncé, les DJ seront dans toutes les capsules du monde au même moment : un concert pour le monde entier, ou du moins ce qu’il en restera. Aussi, on pourra peut être parler de rassemblement social à partir du moment où un grand nombre d’humains stockés sur toute la planète pourra accéder au même streaming au même moment, et en discuter en temps réel sur le forum dédié. Attend, ça existe déjà ? Wooow !

Ma réponse utopiste : Je me plais à imaginer un monde où il y aurait de la résistance culturelle. Alors, quand les collectifs auront quadrillé Marseille de caves et de hangars, de petits endroits safe et dédiés à la culture, dans 30 ans, oui, les concerts seront plus que jamais des espaces de rassemblements social. Il est certain que dans 30 ans le monde sera encore plus triste et les gens davantage indignés qu’aujourd’hui, alors quel plaisir à ce moment de venir écouter de la musique, celle qui aura échappé aux années et à tout le reste, et de se réunir dans des danses
effrénées.

« Dans mon meilleur des mondes, la musique sera un moyen de résister, de fédérer autour de valeurs humaines, de continuer à créer et à imaginer, d’être ensemble dans la Zone Libre. »

Qui tirera son épingle du jeu ?

Ma réponse réaliste : Les gros FDP, comme toujours.

Ma réponse utopiste : Les collectifs, les shops alternatifs, les groupes rebelles et résistants, ceux qui n’accepteraient jamais de se faire encapsuler, les blackblocs, les casseurs, les pauvres et tous les chiens de la casse, Cécile, Popeye, Timoté, Shlagga, Israfil, Cardinal & Nun et DJ 13NRV, c’est sûr.

La musique sera-t-elle un nouveau moyen de manipulation des masses ? Si oui, comment ?

Ma réponse réaliste : Si on continue sur cette hypothèse complètement perchée selon laquelle on sera tellement affaiblis par la pollution, tellement abrutis par la télé réalité et tellement asservis par la petite poignée de FDP qui gouverne ce monde, je suppose que oui, stockés dans nos capsules on ne fera pas trop les malins… Imaginer que la machine se perfectionne au point d’être capable de proposer à chacun une musique à même de l’émouvoir, de parler à son fort intérieur, revient à dire qu’elle sera le plus puissant outil de manipulation inconsciente jamais créé. J’ai peur.

Ma réponse utopiste : Dans mon meilleur des mondes, elle sera absolument le contraire. Un moyen justement de résister, un moyen de fédérer autour de valeurs humaines, un moyen de continuer à créer et à imaginer, un moyen d’être ensemble dans la Zone Libre. Alors, peut être que c’est maintenant le moment pour dès à présent lutter pour que jamais notre musique – celle qu’on défend et celle en laquelle on croit, notre scène, notre milieu et notre monde – pour que jamais elle ne tombe aux mains de ceux qui voudraient l’utiliser pour manipuler. On refuse d’encaisser le gros chèque, on le déchire et on le jette à la poubelle, et on souffle un bon coup. Tout ira bien pour Marseille dans mon meilleur des mondes.

Vous pourrez retrouver Vazy Julie ! au Bon Air festival à Marseille, du 24 au 26 mai

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