MENU
En lecture PARTAGER L'ARTICLE

Comment faisait-on avant Michelle Blades déjà ?

Capable de retourner une salle avec son rock ultra-puissant et attendrir jusqu’à une famille de poussins, Michelle Blades est la solution à une suite de maux bien connus. Sa musique guérit de la rigueur d’âme, chasse l’ennui des petites actions du quotidien, annule notre désintérêt des autres et du monde. Si elle ne promet pas le retour de l’être aimé, elle a suffisamment de magie pour nous entraîner dans une danse extatique et universelle. Voilà ce qui arrive quand la freak folk rencontre la plus farfelue des musiciennes, qui a partagé sa vie entre le Panama, le Mexique, les Etats-Unis, la France… et partout où on peut fumer la vie par les deux bouts.

On est en droit se demander ce que représente encore pour nos contemporains le mot hippie. On pourrait dire qu’il s’est fait foutrement déglinguer par le rock rugueux du Velvet et d’Iggy, par le spleen et le nihilisme des années 70 et par ce satané petit néolibéral qui s’est glissé en chacun de nous avec la douceur d’une cuillère de miel. Balancé dans le musée des contre-culture marketées (comme le punk ?), ringardisé par une fin de siècle inattendue, entre block parties hip hop new-yorkaises et liberté des raves parties mancuniennes, il n’est pas rare qu’il nous échappe (inconsciemment) moult insultes par-delà nos contrées, comme « gendre de hippie » ou « utopiste à la mords-moi-le-nœud ».

L’histoire de Michelle Blades donne à ce propos de quoi se redonner courage et inspiration. Elle commence en 1990 au Panama, où elle voit le jour auprès de son père, connu (comme son oncle) dans la politique et la musique, et sa mère d’origine mexicaine. Dès ses sept ans, sa famille de musiciens fuit la dictature de Manuel Noriega et rejoint Miami. La salsa chez les Blades, est une institution, tout comme les musiques cubaines, mambos et guaguancos. Mais le père de la petite Michelle interdit la musique à la maisonnée. Elle doit donc faire sa culture musicale par elle-même. Par chance, à ses 15 ans, première tarte. On imagine sans peine l’adolescente derrière son ordinateur découvrant la musicienne canadienne Feist jouant pour un public parisien abasourdi ses premiers disques, mythes d’une longue lignée : Let it Die et Open Season et son lot de singles « Mushaboom », « One Evening » ou « Inside and out ». La classe, la maîtrise, le talent, le rock joué par une femme fière la bouleverse. Pendant cette période, Michelle devient journaliste pour la chaîne « Focus on south florida ». Elle se fait aussi vendeuse de smoothies et devient une skate addict convaincue. De cette passion, elle en tirera ses premiers clips. Et de son pécule, elle tirera son ukulélé.

Ni une ni deux, le voyage de Michelle se poursuit. A 16 ans à peine, elle prend ses cliques et ses claques et débarque à Phoenix, en Arizona, à la recherche d’expériences. Sur place, elle se fond dans les scènes underground (comme il faut dire dans le game) de la ville aux alternatives politiques, culturelles et sexuelles, et se rapproche de mouvements anarchistes et queer. C’est là qu’elle commence à jouer sa musique pour un public. En se rapprochant du label Camaraderie Limited, elle sort un EP de folk qui donnera une couleur à ses bizarreries futures. Le collectif lui permet même, en 2010, de se produire en mini-tournée française, pays qui décidément semble lui ouvrir les bras. Après d’autres venues dans l’hexagone, elle rencontre le label français Midnight Special Records, qui deviendra sa nouvelle famille, et qui la décidera à s’installer durablement à Paris, en 2012.

Michelle Blades x Andrea Villalón 4

© Andrea Villalòn

La scène parisienne est difficile à intégrer ? Tout le monde se marche dessus ? La concurrence est rude ? Que nenni pour la grande nomade dont la musique commence à toucher ses pairs parigos. Autodidacte et multi-fonctions, Michelle n’en oublie pas ses talents de réalisatrice et signe également deux clips de l’artiste (aussi logée chez Midnight Special) Cléa Vincent : « Retiens mon désir » en 2013 et « Château perdu » en 2014. La confiance de Midnight Special est inébranlable, et l’artiste a l’occasion de sortir ses premiers albums, révélateurs des rocambolesques, mystérieuses, psychédéliques histoires de notre beatnik. Michelle Blades sort coup sur coup l’album Ataraxia (2015, qu’on vous chroniquait à l’époque) ainsi que les EP Nah See Ya (2015) et Polylust (2016). En 2016, la scène indé se gorge des délires soniques et mélodiques de la musicienne. Cette année-là, Fishbach (sa grande fan) appelle Michelle pour qu’elle l’accompagne à la basse sur une tournée mastodonte de 18 mois à travers le monde. De quoi poursuivre l’exploration musicale, le souffle d’une aventure mystique, et aussi en passant sortir un autre EP Premature Love Song (2017).

En 2018, elle touche un public plus large avec son album Visitor (2019). Plébiscité par les médias spécialisés et généralistes, elle touche au cœur par sa simplicité ; et aux nerfs grâce à une furieuse tendance à de déments rituels. Si à 27 ans, elle apparaît avoir eu plusieurs vies, il ne faut pas imaginer Michelle en stakhanoviste de la musique. Elle vie avec elle, à travers elle, pour elle mais profite de sa vie parisienne comme une flâneuse, aimant sa vie de quartier, entre Temple et République, ses dédales et ses restaurants, ses collaborations imprévues, ses rencontres fortuites. C’est à cette période de sa vie qu’on la rencontrait, la trentaine en ligne de mire, une carrière riche et une personnalité baba qui tranche si fort par rapport aux codes de l’image en vigueur.

Depuis, qu’on l’ait voulu ou non, Michelle est entrée dans notre vie. Par ses mots, sa joie, sa créativité, sa musique. Son nouvel EP Nombrar las cosas, qui sort le 5 juin chez Midnight Special, est d’ailleurs un nouvel exemple de sa mainmise sur nos émotions, depuis plusieurs mois déjà. Écrit et chanté en espagnol intégralement (pour la première fois), ce disque a été enregistré entre la France et le Mexique. Elle y aura tout fait, de l’écriture aux arrangements, de la composition à l’interprétation de (presque) tous les instruments.

On y croise des constructions savoureuses, d’une ballade folk psychédélique partant en sucette et en guitares saturées (« TTT ») ; à un rock d’abord énergique qui finit en chansonnette hippie (« Mota o perreo ») ; ici une chanson rassembleuse et lancinante (« Indecisa Soledad del Fin (De Semana) ») ; et là des mélodies farfelues, totalement freak folk (« Amor Sin Destino » ; « Globitos » ; « Hablaojos »). On a enfin la joie d’entendre une reprise sublime de « Lo Unico Que Tengo », hymne de la voix de la contestation chilienne Victor Jara – à qui on dédiait un article dans notre série Mémoires de Luttes. Chansons d’amour, confession d’une solitaire, contes modernes de ses gens et de ses pays.

Essayons de nous rappeler : comment faisait-on avant Michelle Blades ? On devait probablement avoir des amis, des hobbies, des musiques de cœur. Comment déjà… Chacun des nouveaux poèmes de la songwriteuse sonne comme de nouvelles façon d’accompagner nos jours. Michelle construit déjà la bande-son de ces années, foutraques, ivres, fières.

Photo en une © Andrea Villalòn

Partager cet article
0 commentaire

0 commentaire

Soyez le premier à commenter cet article
Chargement...
Votre commentaire est en cours de modération
Merci
Une erreur est survenue lors de l'envoi de votre commentaire
Sourdoreille : la playlist ultime
Toutes les playlists

0:00
0:00
REVENIR
EN HAUT