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Ce soir, je vous remercie de vous (Lettre d’amour à Barbara)

Dans notre grande série « mais pourquoi ? », nous, les humains, fêtons l’anniversaire de la mort des gens. Est-ce que ça fait de nous des cyniques, des poètes ou des grands malades ? Sans doute un peu des trois. Forte de cette intense plongée philosophique, je suis allée voir « Depardieu chante Barbara », puisque cette année, on célèbre (donc) le vingtième anniversaire de sa mort. Mes vagues considérations de sociologue ratée ont vite fermé leur petite gueule pour laisser place à une mélancolie béate et une envie folle de dire à cette femme à quel point j’en suis raide dingue. Sauf que ça a beau être la fête, elle n’est pas au bout de la lettre. A moins que.

J’ai pleuré pendant 2 heures. Je n’ai pas lutté. A côté de moi, ça faisait pas trop les malins non plus. Maintenant il est 22h15, j’ai froid, je suis toute seule et je marche vers le RER. On est peu de choses. Pourtant je me sens mieux que jamais. Intelligente. Aimante. Aimée. Limite belle. Comme si vous m’aviez contaminée. Oui, c’est à vous que je parle, Barbara, c’est vous que j’accuse et c’est vous que je remercie.

Est-ce que le beau serait contagieux ? Un(e) inconnu(e) parle, comprend, décrypte, démasque, pique, et on se laisse aller à une émotion que la pudeur ou les conventions sociales nous empêchent d’exprimer nous-mêmes. On s’allège. Et on va mieux. Grâce à cette magie plus ou moins silencieuse, immédiate et collective, qu’on appelle communément spectacle vivant. Vivant, survivant même, des mots qui semblent taillés pour Gérard Depardieu. Car oui, c’est votre ami Depardieu qui vous a chantée ce soir. Il s’est fait de nouveaux amis depuis que vous n’êtes plus là. Il a des plaies à panser, vous en faites sans doute partie. Il dit beaucoup de conneries. Il en fait tout autant. Et puis parfois il parle de vous, avec vous, avec vos mots, et soudain il n’est plus que beau. Son grain de folie se fait l’hôte de vos grains de beauté. Vous lui manquez. Lui, le géant, l’ogre, bichonne vos petites cantates. A la première personne du singulier et au féminin. Et c’est vous qu’on entend, qu’on voit, qu’on touche, qui nous bouscule, nous caresse, nous met à terre et nous relève.

Vous saviez que ces jours-ci, on célébrait le vingtième anniversaire de votre mort ? N’allez pas croire qu’on s’en réjouisse. En fait, je crois plutôt qu’on s’auto-félicite d’avoir tenu le coup aussi longtemps sans vous. On vous utilise un peu. Ne nous en voulez pas, pardonnez notre faiblesse, c’est ce vide de vous qui nous manipule. Depuis votre départ, ma foi on fait comme on peut. Pour vous garder encore, on pense à vous, on vous aime et on vous chante. Vous ne l’avez sans doute pas provoqué, et on n’avait rien demandé non plus, mais vous coulez dans nos veines. On vous a dans la peau.

Vous inspirez de belles choses à de belles personnes. Vous avez écouté Jeanne Cherhal ? Faites-le. Il y a Tim Dup aussi, il vous plairait. Et Juliette Armanet, elle vous dit quelque chose ? Si vous passez près d’un disquaire ou si vous avez le wifi, n’hésitez pas, vous serez en famille. Des purs, des intrépides, des romantiques, des explorateurs. Vous tomberez aussi peut-être sur Patrick Bruel du coup, mais ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, la vie est un combat.

Invariablement, à votre prénom viennent se coller les mots « grande dame de la chanson française ». Comme une étiquette. Comme pour vous ranger ou vous posséder. Attention, grande, oui vous l’êtes. Ah ça y est, c’est le blasphème, j’entends déjà le vacarme de l’indignation populaire me tomber dessus comme un violent orage. Mais entre nous, Barbara, on va se parler franchement, c’est pas un peu pompeux, tout ça ? Un peu réducteur, un peu facile ? Quand vos chansons n’ont jamais eu de simple que l’apparence, quand votre vie n’a été que virages, quand la sobriété de vos vêtements cachait à peine votre éclat.

Quand je vous ai rencontrée, je ne vous ai pas complètement comprise, pas tout de suite. J’étais trop neuve, trop petite, trop étroite. Vous étiez déjà déifiée, la toute jeune fille que j’étais n’aimait pas les passages obligés, se croyait rebelle et plus maligne que les autres. Et puis vous avez quand même accompagné mon éclosion. Vous vous êtes incrustée et je vous ai laissée faire. Vous avez été parfois une obsession, vos chansons aspirant tout mon espace-temps. Puis je vous négligeais un peu. Infidèle mais pas trop, jusqu’à d’inévitables retrouvailles, inévitablement joyeuses.

Vous êtes de celles, de ceux qui m’ont donné le goût de l’aventure, l’envie du voyage fût-il immobile. La maladie d’écrire. Mais aussi le complexe de l’imposteur, la peur de ne pas savoir aussi bien que vous ne dire ni trop, ni trop peu, de ne pas parvenir à séparer pudeur et lâcheté, honnêteté et cruauté, personne et personnage. Vous ne m’avez rien rendu facile et du coup, vous m’avez tout rendu intéressant.

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