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Black Lilith, mort aux boys clubs

Fin 2020, le label féministe, queer et antiraciste Black Lilith Records sortait sa première compilation. Petit rayon de soleil noir dans une apocalypse sanitaire, sociale et culturelle où la parole est en quasi totalité et sur absolument tous les sujets, trustée par des mâles blancs et hétéro.

Fondé par Orane Guéneau, Black Lilith est un cri dans la nuit doublé d’un sévère coup de pied au cul de l’establishement masculin, voire des hommes tout court. S’il s’agit d’un cri, ce n’est en aucun cas celui du désespoir, mais celui de la saine colère qui amène le changement nécessaire. Car aveugle est celui ou celle qui affirme qu’il n’y a pas un réel souci dans le monde de la musique. Les réseaux, les médias, les financements, les directions de salles, de labels, de tournées, de festivals, de sociétés d’édition, la programmation des salles sont essentiellement masculins. Sans compter l’infantilisation des femmes dans le milieu et le nombre intolérable d’actes de harcèlement, d’agressions sexuelles et de viols. Face à cela, Black Lilith apparaît comme une initiative salvatrice qui conjugue militantisme avec qualité et exigence musicales.

Cette première compilation est d’une indubitable cohérence de bout en bout. Malgré la multiplicité des univers des autrices et compositrices présentes sur le disque, il se dégage un monde global entre noirceur joyeuse et colère, tourné vers les sonorités trap, synth-wave, hip-hop avec une légère touche pop qui donne une efficacité certaine à l’ensemble. D’emblée les morceaux semblent, dans leur grande majorité, tournés vers un large public. Pour preuve l’instru disco-pop et le refrain taillé pour le retour de la danse en club « Bras Velours » par NobräKlub et Nemour. De même pour le morceau « Abysses » de Ava et Primates, à l’atmosphère prenante et maîtrisée de poésie trap aux accents orientaux, comme une drôle de rencontre entre Fisbach et M.I.A. Puisque nous sommes sur le versant pop, continuons avec Barbara Rivage et leur titre « En plein jour » au format plus classique mais beau et prenant.

Entre mélodies imparables et retenue sans fausse pudeur pour un résultat de grande classe, la grande force de Black Lilith et de ses artistes est sans nul doute cette capacité à rester en équilibre sur le fil ténu entre le message et la portée populaire. En témoigne « Amazones » de Roxanne qui dans un format rap-trap frappe au foie en balançant la réalité froide du harcèlement de rue dont sont victimes les couples de lesbiennes, de sa répétition, de la colère, des blessures et des traumatismes qui en résulte. Il en est de même pour « Walk Straight » de Hélène Bertrand et The Bridge, vraie réussite techno-indus, dont l’ambiance nous pèse, nous plonge dans l’inconfort et semble questionner et dénoncer, quasiment sans texte, la place et l’insécurité des femmes dans l’espace public.

Black Lilith sort avec cette première compilation un objet éminemment politique (au sens du politique, des affaires de la Cité), transcription musicale et sociale d’une affirmation nécessaire des femmes, et des communautés LGBTQIA+. Non seulement dans le milieu musical et artistique, mais dans la Cité toute entière. Black Lilith rappelle que la création est un acte de résistance à des discours nauséabonds qui rêvent de retour en arrière, qui font de l’inégalité et de l’intolérance un étendard intolérable. Mais également une résistance, et c’est peut-être le plus difficile, aux discours communément admis enfoncés dans la tête des hommes par plusieurs siècles de patriarcat, aux lâchetés et aux outrages quotidiens dont les hommes se rendent coupables.

Black Lilith c’est peut-être aussi cela, inviter les hommes à affronter les responsabilités qu’ils ont dans l’existence de ces problèmes, pratiques intolérables et autres injustices. La naissance de Black Lilith c’est enfin la mise en lumière de personnes talentueuses, avec de vrais propos artistiques et de vrais univers, qui doivent être reconnues, entendues par le milieu musical. On peut voir dans l’initiative de Black Lilith une nouvelle pierre à un changement intelligent et inclusif, porté par des convictions et surtout, encore une fois, par des propositions artistiques d’une qualité certaine.

Photo en une : Black Lilith © Orane Guéneau

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