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Bientôt, j’irai danser sur vos pompes au Makeda

Quand tout sera rentré dans l’ordre, on trouvera de nouveaux espaces, des perspectives inexplorées et des réflexions pour le futur. On se met ça bien profond dans le crâne, histoire que ça arrive ? Ce jour-là, on pourra notamment aller au Makeda, nouveau lieu de musiques actuelles marseillais (ex-Poste à Galène), repris par Francine Ouedraogo Bonnot et Aude Kaboré. Entretien.

Bonjour, je suis Août 2020. Je suis le premier mois du reste de votre vie. Dans ce futur privé de passé immédiat, il y fait presque doux. Autour de moi, bien des humains ont l’air sonné. Ils ne racontent pas les mêmes histoires, ont de bien étranges névroses, s’aiment différemment, pas moins, pas plus, juste je ne les reconnais plus. Assis dans l’herbe brûlée, mais pas encore piétinée, je rêve et je me souviens.

Il fut un temps où nous dansions chaudement. Les distances de sécurité, rappelez-vous, n’étaient pas respectées. On dit même qu’elles étaient négatives. Cela paraît si loin, une éternité. A cette époque, nous répétions des mouvements mécaniquement, sans réfléchir, et nous cherchions, le soir venu, les moyens d’un exutoire. Nous allions, de Toulouse à Metz, de Montpellier à Morlaix, non pas trouver le repos mais produire un cri.

Tout donner, tout vomir, tout niquer. Contre la conscience d’être nous, écartelés du siècle. A cela il ne manquait pas de passion, mais enfin quel en était le sens déjà ? Ma mémoire est restée bloquée.

Aujourd’hui, à bien y regarder, la vie n’a pas vraiment changé. On danse toujours mais avec l’oisiveté du temps retrouvé. Il faut s’approcher pour entrevoir les modifications de la nature. De plus près, on vous voit changer vos habitudes, vos points de chute, vos goûts même. Fini les clubs qui sentent les billets de 200€. Terminé le pseudo-purisme musical en éternel retour à la mode des salons littéraires du XIXème. Adieu l’entre-soi social. Non, vu du ciel, on vous voit sympathiser avec les premiers parvenus, les outsiders du nouveau monde, les perdants de la loterie de la société. On vous observe quitter les bars pseudo-vintage pour discuter aux poivrots du coin. On vous voit redécouvrir vos rues, et surtout ses gens.

A Marseille comme à Grenoble, vous irez où vos jambes vous mèneront. Moi, je suis comme vous. Je suis Août 2020, mais je suis comme vous. Et je vous dis que s’il y a un lieu dans lequel vous danserez le sourire aux lèvres, en faisant des lancers de bras vers la vie, c’est bien dans la salle de concerts Makeda à Marseille.

Et ce jour-là, j’irai danser sur vos pompes.

En attendant, voici l’interview de ses fondatrices.

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Interview :
Francine Ouedraogo Bonnot
et Aude Kaboré

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours professionnel ?

Aude Kaboré (à gauche sur la photo) : J’ai un diplôme de finance & compta, et j ai travaillé 15 ans dans les banques d’investissement à Paris. Puis en 2010 je suis descendue à Marseille, et j’ai changé d’orientation en passant un diplôme de photo et en travaillant dedans pendant 3 ans. Je photographiais beaucoup les concerts et les groupes de musique, et tout naturellement j’ai dévié dans le secteur musical en 2013. Et c’est là le début de l’histoire

Francine Ouedraogo Bonnot (à droite sur la photo) : J’ai un diplôme en management hôtelier, mais j’ai fondé l’Association Orizon Sud en 2008, et ai toujours eu un pieds dans la culture.

Quelles sont les missions visées par l’asso Orizon Sud ?

Nourrie par la passion de l’art et de la musique, cette association a été créée en 2008 dans le but d’ouvrir ses activités et de les faire découvrir au plus grand nombre. Elle s’engage également à favoriser les échanges entre les personnes de toutes origines et toutes générations confondues, et met l’accent pour exporter la culture vers les publics qui en sont éloignés (géographiquement ou financièrement). Orizon Sud rassemble des professionnels du secteur culturel et artistique, des médias régionaux et nationaux mais aussi des personnalités de la Région Grand Sud qui offrent leur soutien aux projets de l’association. L’intérêt général étant d’œuvrer pour le développement de la culture sur Marseille et sa région.

« Marseille mais cette ville est un peu la bête noire des artistes et des tourneurs. On ne sait jamais si le public sera au rendez-vous. »

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Avant le Makeda, le 103 rue Ferrari s’appelait le “Poste à Galène ». Que venait-on y chercher comme atmosphères, styles musicaux, etc ?

Le Poste à Galène, c’était historiquement la maison du rock. Les murs noirs agrémentés de lumière rouge donnaient une ambiance dark qui collait parfaitement à l’univers musical en général. Le Poste à Galène, cependant, n’a bien évidemment pas que programmé du rock, on a pu y découvrir des artistes montants comme -M-, ou autres. C’etait la salle de concert à dimension humaine où tout pouvait se passer. Mais il y avait aussi des soirées emblématiques comme les années 80 avec DJ Ruthwen (aka Jean-Marc) que l’on a préservées au Makeda, et les soirées cumbia.

De quelle envie est venue l’idée de reprendre le lieu ? D’un manque sur Marseille ? Le quartier est en pleine mutation, n’est-ce pas ?

La musique a toujours été une évidence pour nous. Après avoir organisé un tremplin musical, puis donné vie au Festival Meltin’Art depuis 2011, la suite logique était de pouvoir faire parler cette évidence chaque jour au travers d’une salle de concert. Et le Poste à Galène en particulier car nous y avions organisé plusieurs concerts par le passé, le lieu nous plaisait et le quartier nous est très familier. Le Poste à Galène en place depuis 27 ans commençait à s’essouffler les dernières années, et il y avait de moins en moins de concerts emblématiques, et de plus en plus de soirées DJ. Quand le patron nous a proposé de le reprendre c’est devenu une évidence. Ce lieu au centre ville de Marseille méritait de renaître, et de séduire à nouveau les marseillais. Au Makeda, on peut passer d’une soirée rap à une soirée cumbia en passant par un plateau rock dans une même semaine. L’éclectisme est de mise chez nous. Mais le “liant” comme on en parle en cuisine, c’est la bonne humeur, le partage et les sourires à chaque soirée. Chacun trouvera son bonheur dans les soirées que nous proposons.

Quel est votre constat plus global sur l’état des lieux de diffusion à Marseille ?

Marseille est la deuxième ville de France mais je suis prête à parier qu’on a autant de lieux de diffusion qu’une ville comme Rennes ou Nantes… Les gens œuvrent pour diffuser leur spectacle à Marseille mais cette ville est un peu la bête noire des artistes et des tourneurs. On ne sait jamais si le public sera au rendez-vous. En conclusion il y a quelques grandes salles : Le Dôme 6500 personnes, Le Silo 2500, le Dock des Suds avec ses 3 salles : 2500, 900, et 400, le Cabaret Aléatoire et l’Espace Julien avec ses 1100 personnes, L’affranchi 380 personnes et ensuite il y a notre salle 280 personnes, puis le Molotov 180 personnes… Après il y a pas mal de petits lieux qui organisent des concerts comme L’Intermédiaire, L’Embobineuse, etc. Ça reste peu, mais tous ces lieux ont une grande volonté de produire, et on rêve de salles combles chaque jour.

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Vous avez donc récupéré la direction artistique d’un lieu de musiques actuelles. Quelles sont vos particularités en terme d’esthétiques musicales, quelle sont celles que vous voulez y défendre ?

Nous n’avons pas d’esthétiques musicales définies. Si le projet est bon on fonce. Ce qu’on favorise particulièrement c’est la rencontre entre la scène locale et nationale, internationale dès qu’on le peut. Ceci dit notre volonté, et nos choix ont souvent la tendance et la cible “Radio Nova” si on peut les citer.

Il y a une couleur soul, funk, qu’on ne retrouve pas forcément dans les lieux de musiques actus habituels. Je me trompe peut-être. Qu’en dites-vous ?

Il suffit de garder les oreilles bien ouvertes, il y en a bien plus que l’on ne pense mais ce sont souvent des petites structures qui proposent cette esthétique. C’est vrai que notre lieu est idéal quand on organise des Soul Train… Les gens se régalent, et on retrouve l’ambiance des véritables soul train de l’époque.

Vous proposez notamment des formats club, sur ces esthétiques funk et soul alternatives, ce qui est rare. Le problème étant souvent de trouver comment écouter autre chose que de la techno et de la house (si bonnes soient-elles) passé 2h du matin, non ?

Il est vrai que passé 2h du matin, l’électro de toute sorte s’empare souvent des dancefloors. Mais je ne pense pas que ce soit une question d’envie de la part des lieux mais plutôt de moyens. Les lieux permettant une ouverture tardive sont bien souvent des lieux à techno ou house et rarement de funk et de soul. Notre envie est oui, le vendredi et le samedi, on ne sait pas quoi faire à Marseille ? Ah si ! On va au Makeda car on peut voir un concert en début de soirée et après danser et c’est cool : on oscille entre les Soul Train, les Let’s Dance Party, les Boums, les soirées maraboutage.

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Makeda est l’appellation éthiopienne de la Reine de Saba. C’est aussi le titre fondateur des Nubians. Qu’est-ce qui, dans ces deux références, vous plaisent dans ce nouveau nom à retenir à Marseille ?

Aude : Ah ah. Tu es tombé juste dans le mille. Alors nous avons choisi Makeda car vers mes 20 ans, la chanson des Nubians passait en boucle dans mon walkman. Ah ah ah. Et oui j’avais leur album Princesses Nubiennes que j’adorais, et c’est ainsi que j’ai découvert ce mot Makeda pour la première fois. Mais qui est Makeda ? J’ai lu et j’ai su qui était Makeda, la Reine de Saba. Femme Forte qui a rendu dingue le Roi Salomon. Ce qui nous a plu, c’est évidemment le coté très fort de cette femme, mais aussi le fait que la Reine de Saba apparaît dans toutes les religions… sous différents attributs : Reine de Saba, Makeda, Bilqis… Quand deux femmes fortes (une d’origine burkinabé et l’autre d’origine italo/allemano/pieds noirs) reprennent le Poste à Galène, lui changer de nom et l’appeler Makeda a un véritable sens. A noter l’ouverture le 6 mars 2019 avec la venue des Nubians pour ouvrir le Makeda. Un grand moment d’émotion.

Vous affichez le pari de la diversité, esthétique comme géographique dans votre prog. On parle pourtant souvent d’entre soi dans la musique, avec les mêmes artistes qui tournent dans tous les festivals, salles et clubs. Partagez-vous ce constat ?

Oui en effet, c’est un constat que nous avons aussi fait. Et c’est normal, les artistes qui tournent ont souvent une actualité liée, et les tourneurs essaient de leur trouver un maximum de dates, si possibles rapprochées géographiquement et dans le temps, ce qui évite des surcoûts de tour. C’est un constat économique surtout… lié aux actualités des artistes.

Quels sont les principaux objectifs que vous vous êtes fixés, malgré un début forcément compliqué avec la crise sanitaire actuelle ?

Grandir encore, devenir un lieu culte de la vie marseillaise. Continuer à garder cette dynamique de joie et de bien vivre et partager dans notre salle, et surtout faire que les artistes veulent venir au Makeda pour y jouer ou même pour faire un coucou s’ils sont passés dans une autre grande salle des alentours. Je tiens à remercier notre marraine Flavia Coelho qui était la à l’ouverture et qui ne cesse d’être à nos côtés.

Crédit photos : Miss Kline

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