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Astropolis, 20 ans de rave (1/4)

Vingt ans. Vingt ans qu’une poignée de doux rêveurs agitent la pointe bretonne. Vingt ans que le crew d’Astropolis (ré)invente la rave avec goût. Vingt ans qu’il prend les châteaux d’assaut, convie toutes les musiques électroniques pour des nuits blanches mémorables, les yeux tournés vers Detroit, Chicago, Amsterdam ou Berlin. A l’aube d’une nouvelle nuit dans les entrailles historiques de Keriolet (là où tout a commencé), on a décidé de balayer ces deux folles décennies en compagnie de Matthieu Guerre-Berthelot, l’une des deux têtes pensantes de cette aventure dingue. Voici le premier volet : 1994-2000.

On n’imaginait pas qu’au début des années 90, on fêterait la vingtième édition d’Astropolis, à l’été 2014. Du bonheur, de la fierté évidemment. Astropolis n’est pas le plus grand, le plus hype des festivals électro en France. Mais c’est le plus vieux… Depuis 1995, on a organisé un événement chaque été. Contre vents et marées. L’équipe a su transformer une rave en festival. Nous avons eu parfois de la chance, rencontré les bonnes personnes, même si on a connu de sacrées galères (météo capricieuse, tentative d’interdiction, producteur indélicat, contrôle fiscal…). La longévité du festival vient avant tout de notre sincérité, de notre amour des musiques actuelles, du groove… Tant d’éléments qui ont su fidéliser un public.

En 1990, nous avons intégré l’association étudiante de l’IUT de Brest. Pas vraiment fans des soirées mousse ou infirmières chères aux étudiants, nous avons très vite organisé des concerts. Jusqu’en 1993, avec l’association Ere Sonic, nous avons invité les Boo Radleys, The Divine Comedy, Dominique A, Moose, Sidi Bou Said, Katerine, Miossec (son premier concert), Diabologum…

Arrive « Rave ô Trans » à Rennes en 1993. La claque… On y découvre la techno. Suivra notre Winter of Love. On abandonne nos disques à guitare, le public austère des Inrocks, pour battre la campagne. On découvre d’autres publics, en Bretagne lors des raves Praxis, Guy L’Eclair, Transfund. On parcourt l’Europe en car vers Mayday, Energy, Tribal Gathering, vers les tecknivals (Fontainebleau, la Hollande…). Très vite, on monte les soirées « After Pop is Techno » tendance Madchester, puis des petites soirées dans des gîtes, des forts en ruine autour de la rade de Brest, sur des plages, avec la scène locale.

1994. Le 12 novembre, on organise notre première vraie rave : « Légendes » à St-Pabu, avec un plateau éclectique, dans une ambiance artisanale. Jeff Mills (qui jouera I Like To Move It), le goa-boy Heyoka, le live Paris Underground Terrorist… Un car de Rennes fera le déplacement. On choquera pas mal de gens en mettant en place un bar avec alcool. Sacrilège dans l’esprit rave du moment…

Laurent Hô et Liza N’Eliaz.

1995. Yann Dub, membre de l’association tendance dure, nous propose de monter une soirée hardcore, avec son ami sculpteur Benalo. Le reste de l’équipe aime la diversité du mouvement, aussi bien la house que la techno, l’ambiant ou les sonorités plus dures. Très vite, on se dit qu’on peut monter un projet autour de trois chapiteaux (techno, hardcore, ambiant-deep). La soirée a lieu dans une clairière à Kernouès, dans le Nord-Finistère… On la baptise Astropolis, pour « la ville des étoiles ». On se rappelle de la mémorable engueulade entre la frange speedcore du mouvement, représentée par Yvette Nelias (muse-amie-manageuse de Liza’n’Eliaz), Attila, Yek d’un côté, et Manu le Malin – qui se retrouvera à jouer sous le chapiteau techno – de l’autre. On se souvient de l’arrivée de la gendarmerie à minuit. Mais le terrain, appartenant au maire, avait été loué en bonne et due forme… La maréchaussée ne pouvait pas intervenir. On a encore le souvenir de Liza, nous expliquant que jouer avec 4 platines c’était cool, car avec 4 disques à 120 bpm, légèrement décalés, on arrivait à 480 bpm. Son set, avec Laurent Hô, fut incroyable, atomique. Vingt ans après, des dizaines de personnes nous en parlent encore…Et puis au matin, le fils du maire a débranché le groupe électrogène, grillant la plupart des sonos, en nous expliquant qu’une de ses juments s’était empalée sur une clôture sous les bpm… A 7h00, la loi l’autorisant, la gendarmerie débarque avec un avis de perquisition. Suit un procès, comme un avertissement. Trois mille francs d’amende… On avait traumatisé les villages aux alentours. Certains pensaient que les Allemands étaient de retour ! La légende était née.

Dès mai 1995, avec la circulaire « Les soirées rave, des situations à hauts risques » mise en place par Debré (en bref, comment interdire un évènement techno au sens large), la répression va battre son plein. La plupart des organisateurs de raves organisées disparaîtront au profit du mouvement free qui va jouer sur un flou juridique.

DJ Hell.

1996. On décide de se professionnaliser. On rencontre Diogène production, producteur brestois, organisateur au début des années 80 du festival Elixir, héritier de Woodstock. Il accepte de rentrer dans la boucle. Au même moment, Fred Djalebb d’Out Soon nous propose un plateau de folie : DJ Hell, Steve Bicknell, Fumiya Tanaka, Manu le Malin, Jeff Mills et Laurent Garnier… C’était sans compter sur l’hystérie anti-rave. La fête aura lieu dans le triste parc des expositions de Lorient, grâce à l’intervention du syndicat des producteurs, présidé par Jean-Claude Camus, qui appellera le ministre de l’intérieur. La commission de sécurité s’en donne à cœur joie, refuse tous éléments de décoration, hormis la scène imaginée par Benalo, refuse la buvette, y compris la vente d’eau… Mais les sets des DJ, et en particulier le final de Garnier (ah le UR20…), illumineront la fête.

Laurent Garnier et Manu le Malin dans la cuisine de Keriolet.

1997. Le contexte change. La gauche revient au pouvoir. La pression est moins forte. La circulaire anti-rave de 1995 n’est plus d’actualité. La municipalité de Concarneau est ouverte aux musiques actuelles. Surtout, nous rencontrons Christophe Lévêque qui nous accueille au château de Keriolet. Le lieu est magnifique. Toujours dans le bricolage, on monte notre premier évènement dans ce lieu magique. Richie Hawtin et Acid Junkies ouvriront les hostilités dans la cour, Laurent Garnier achèvera la salle des gardes, Liza’N’Eliaz proposera un set ambiant puis un set hardcore dans la crypte. Jeff Mills, après avoir joué 2h00 dans la cour, enchaînera derrière Liza. On se rappelle que tout le monde le lui déconseillait, que la crypte était en furie, que le public hardcore était à donf… Peu importe : Jeff Mills descend, ouvre un second bac, reprend, et balance un set hardbeat d’anthologie. Capable d’enlever les feutrines des platines, de poser le diamant sur le plateau, jouant avec le rumble. Les disques volent. C’est hypnotique, violent, techno, la crypte devient dingue… Suivra la plus bel after d’Astropolis au bord de l’Odet. Adolphe de Lille et Manu le Malin feront danser 1500 personnes devant les navettes fluviales de touristes… Le moment fut mémorable. Mais nous ne l’avons pas vécu. L’équipe est réquisitionnée pour ramasser les mégots dans le parc du château.

DJ Funk et Jeff Mills.

1998. La rave parfaite. Concarneau nous encourage dans notre démarche. On est obligé de freiner l’imagination de Christophe, le châtelain. Tout le parc est utilisé, décoré par Aquabassimo et Benalo. On maîtrise l’endroit. Garnier se produit pour la première fois en live en France (malgré Boréalis qui souhaitait avoir l’exclu). Il enchaînera par 5 heures de mix. On se souvient avoir eu son staff trois mois avant, nous dire que c’était impossible et nous de leur répondre que c’était une demande de Laurent… Deux heures après, le staff rappelle : « Bon bah oui, c’est OK… C’est Laurent qui décide ». Le bonhomme terminera son set avec les Beastie Boys qui feront jumper toute la cour à 8h00 du matin… Le reste du plateau est exceptionnel avec une salle des gardes où se produira le pur bad boy de Chicago DJ Funk – dans la cheminée – et où Cyr balancera des diapos de films porno… Le chapiteau Technodrome où joueront Chain Reaction, le team de Detroit Scan 7, Reggie, Mike Grant avant un final tribal du maître Jeff Mills, égal à lui-même. La scène hardcore n’est pas en reste. Baptisée Mekanik. Manu y commence son job de booker-régisseur pour Astropolis et nous ramène Marc Acardipane, boss de PCP, Lenny Dee… La crypte se la joue breakbeat-expérimental avec l’un des premiers live de Acid Kirk, tandis que Fish-teknik joue avec le feu et ses machines dans le parc du château et fait péter une bouteille de gaz en haut du donjon… La fête est magique. Trax parle d’Alice au pays des merveilles.

1999. Astropolis se présente sous les meilleurs auspices, enfin reconnue par les médias. « Envoyé spécial » envoie même une équipe filmer l’évènement. Le plateau : Technasia en live, le ravagé Mister C, Neil Landstrum, un live de Robert Hood, Thomas Bangalter dans la salle des gardes, Sonic Boom, ex-spacemen 3, notre héros de jeunesse. Elisa do Brasil y fera son premier set. C’est d’ailleurs nous qui lui avons trouvé son nom pour l’occasion. Elle le gardera. Le public nombreux est au rendez-vous. C’est le lendemain de l’éclipse solaire, d’où le terme Apocalypse (en référence aux prédictions de Paco Rabanne). Mal nous en a pris : un règlement de compte entre deux bandes de Brest a lieu dans le parc du château. Un mort. Le jeune homme décède devant nous. L’équipe est dévastée. Il n’y avait jamais eu de bagarre à Astropolis. Les gendarmes nous ordonnent de ne pas arrêter la soirée, afin d’éviter la panique. On se cache dans l’une des tours du château. Le lendemain, on apprendra que le règlement de compte continuera à Brest, au fusil… C’est la fin d’une époque, la fin de l’innocence.

Art Point M et Claude Young.

2000. Après réflexion, on décide de faire une nouvelle Astropolis à Keriolet, plus variée, moins concentrée, sur 2 jours… On sera l’un des premiers festivals français à programmer la scène minimale made in Germany, comme Thomas Brinkmann, Marcus Nikolaï, Dimbiman, Christian Morgenstern… La cour sera confiée au Collectif Art Point M, qui présentera un show vidéo-théâtral-expérimental. La scène hardcore est impressionnante : Manu « le bookeur » aligne The Horrorist, Simon Underground, Suicide Squad, les Heretik qui débarqueront avec toute la tribe-nation (un sacré bordel où les camions formeront l’arène de Mekanik). Laurent Garnier présentera son nouveau live, avant les sets endiablés de Claude Young et Ben Sims… On a le souvenir de Laurent et son équipe arrivant au catering assez tard. Plus rien à manger. Arrive un ami avec 20 bars, pêchés le matin qu’il fait sur le feu à la cool… Sa manageuse nous en parlera encore deux ans après. Le dimanche, nous clôturerons Astropolis par une soirée dantesque au Calao, célèbre club de Quimper, à moitié inondé par un orage. Richie Hawtin a du mal à mixer à cause d’une platine défectueuse (il se vengera 2 ans après), et Jeff Mills, encore lui, joue avec un malin plaisir avec le défaut de la platine, sourire en coin, genre « Hey il suffit de le savoir et de jouer avec »… Le set est peut être le meilleur qu’il fit à Astropolis. Fans de house, de techno, de tribe, de hardcore… Tout le monde est emporté par le set du Wizard. L’ovation sera longue et le public lui fera une haie d’honneur…

Ce fut le dernier Astropolis à Keriolet.

[A suivre : 2001-2005, migration en terres brestoises]

 

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Eric 08.11.2022

Fantastiques années de l’émergence des musiques électroniques et tant d’anecdotes…
Perso j’ai découvert ça en sortant de l’armée en 1994 et très vite tombé dedans.
Habitant à l’opposé en Alsace, les free ont aussi poussé ici où là et l’Allemagne et la Suisse à nos frontières on fait de nous des privilégiés avec une activité hallucinante en Allemagne par rapport à la France ou la répression à toujours été là.

J’ai fait partie d’une association officielle aussi pour organiser « en règle » des soirées dans des salles de la région à partir de 95 /96… comme c’est loin tout ça c’est fou.
Aujourd’hui les jeunes sont le nez dans leurs écrans et vivent tout l’inverse en solo avec 0 investissements ou risques pris pour avoir sa liberté. Ils ne s’éclatent aucunement comme nous le faisions,.
c’était des années inoubliables pour moi jusqu’aux années 2010 / 2015 ou le mouvement à commencé sa descente pour arriver dans le quasi oubli aujourd’hui.
On a fait venir Laurent Hô entre autres sur une bonne soirée locale à la Totentanz au Molodoï de Strasbourg

En Alsace dans les meilleures années nous n’avons jamais eu le moindre club dédié alors qu’en Allemagne c’était tout l’inverse, des dizaines partout… bunkers, usines désaffectées et autres bâtiments, halls, gares…etc…
Aujourd’hui là bas aussi c’est réduit à peau de chagrin mais tant de bons souvenirs d’éclates incroyables et tant d’heures à danser sur tant de rythmes différents.
Me reste aujourd’hui quelques potes et paquet de vinyles qui sentent la fumée de clopes et machines à fumée mdrrrrrr

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Genin Olivier 31.03.2022

31/03/22
Je tombe sur cet article. Quel bonheur de se replonger dans ces années folles de techno, de rêve party. On adoré ça, les soirées en extérieur dans des lieux magique, le passeur, les DJ de follies…. Votre ou leur aventure est super. Une vie.
Merci encore

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