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Vous arrivez à dormir ? Luke Slater, non

Luke Slater est un fragile géant. Comme tout a déjà été dit sur ses exploits en 30 ans de techno, on s’est attardé sur des détails personnels et fondateurs de la vie de l’artiste. Ainsi, voici notre hommage-fiction au dj anglais. À retrouver le vendredi 21 septembre au festival Scopitone à Nantes.

Cette année, Luke Slater a rejoint la shortlist des braves cinquantenaires de la techno. Dès lors, Laurent Garnier, Sven Väth et Carl Cox ont remercié cette vieille branche de Luke, nouveau venu dans l’amicale des joueurs de bridge breaké. C’est vrai qu’il y a de quoi s’ennuyer au bout d’un moment : Carl gagne systématiquement à la belote, Laurent connaît les meilleures blagues de Toto et Sven chope le plus de gonzesses à l’étage des soins palliatifs.

Forcément, un nouveau ça fait du bien. Un peu d’air, mazette.

Le soir, au coin du feu holographique de la salle commune, quand notre fratrie a fini son riz bouilli au Tabasco, c’est Luke qu’on écoute parler. De son enfance à Reading, de sa famille, de musique aussi. Faut dire que Luke n’a pas pris une ride en 30 ans, et qu’on ne puisse pas vraiment dire que ce soit le cas de Lolo, Coxito et Sven (tout juste revenu d’Inde après s’être fait intégralement nettoyé son sang). Ben oui, ça ramasse un être humain. Despentes dit bien que « passé 40 ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée ». Luke s’en est tiré, comme un Dieu.

Slater

Derrière les petites lunettes en verres teintés qu’il arbore de temps à autre, Slater revient dans son passé, sur son village d’enfance à 60 kilomètres à l’ouest de Londres. Son papa pianiste qui voulait que son fils en fasse autant. Son incapacité à suivre des cours de musique en restant concentré. Ses premiers potes rockeurs. Sa découverte de la batterie. Ses groupes et ses concerts.

En racontant tout ça, ses compagnons de nostalgie se plongent eux-mêmes dans leur passé, et ainsi ils sourient. Et pourtant Luke n’est pas le plus grand orateur qu’il leur ait été donné de connaître. On peut évidemment trouver quelques interviews de lui sur le net, mais ça n’est pas un exercice auquel il est attaché. Mieux vaut le choper à l’occasion d’une discussion, et vite détendre le jeu. Assis sur son rocking chair synthétique, il tangue, bégaye. Quand ses acolytes s’endorment, il reste là, immobile, les yeux grands ouverts, fixant un point imaginaire sur le mur blanc. Il ne les ferme que quelques secondes lorsqu’au petit matin, ses amis s’éveillent. Et partent en teuf. Luke ne dort pas, c’est comme ça, ce n’est pas sa faute.

Luke Slater – Love

La plupart du temps, ses partenaires sont pendus à ses lèvres. Parce qu’ils ont oublié ou qu’ils pensaient à autre chose toutes ces années, ils en avaient occulté la vie passionnante de leur ami Luke. Quand il reprend son récit, c’est pour parler de sa découverte des machines électroniques, puis de son désintérêt pour le retour en arrière à l’analogique, cette tendance actuelle au vintage. Le dj et producteur a toujours voulu entrevoir le futur. Ses yeux brillent quand il évoque Jeff Mills, l’un de ses premiers soutiens de poids, qui jouait sa musique dès la fin des années 80, et qui l’a directement intronisé en tant que il padrino de la rave anglaise. C’était l’époque de son pseudo Morganistic, arme de destruction cognitive rapide et dure. Ô brûlant exutoire.

Ce que ses pairs connaissent, c’est bien sûr sa musique. Ambient avec 7th Plain, dark et massive avec son live project Planetary Assault System, mais aussi minimal, breakée et cinématographique sous son propre nom, et dans un registre dancefloor avec L.B. Dub Corp. « Une vie remplie, n’est-ce pas ? » ironise-t-il probablement, alors qu’on aurait plutôt tendance à conclure qu’ils sont 17 dans sa tête. En plus de ses projets les plus connus, on compte en effet encore une dizaine d’autres alias, sous lesquels il se produit de temps à autre, en faisait bien gaffe de ne pas mélanger les torchons et les serviettes.

Quand Luke conte ses déboires et ses coups de mou, c’est à demi-mot. Il revient 20 ans en arrière : un temps, au début des années 2000, il était même passé de l’autre côté de la barrière, dans le monde de la musique mainstream, en s’essayant à la pop (technoïde quand même). Coup marketing réussi, booking au Printemps de Bourges, il avait tout pour briller. Mais ça ne lui disait rien qui vaille les agents gominés, les stands de festival en toc, les publics peroxydés. Slater vient du peuple de la boue, des zadistes du BPM, où l’on appelle une cagette un siège, un trip un voyage, une fête une rave. Terminé bonsoir.

Il se rappelle d’un silence qu’il a tenu pendant des années, éloigné de la foule et de la vie publique. Il confesse à ses interlocuteurs avoir perdu des proches en 2003. Beaucoup trop. Que ça l’a détruit, dans un premier temps. Puis qu’il n’avait ensuite plus de prise avec la réalité. Dépression et bipolarité ont été brandis comme des glaives terrifiants par les médecins. Ça lui a foutu un choc. Un jour, il a même dit à un journaliste anglais du site web Resident Advisor : « J’ai tellement fait de psychothérapie que je pense que je pourrait probablement pratiquer ». Avec cette période d’introspection, il découvre un nouveau monde, médical cette fois-ci. Il vivra ce moment comme un voyage en lui-même, entre pilules légales, docteurs, délires, douleurs, réflexion, pardon, acceptation. Et c’est à ce moment là que son alias Planetary Assault System lui est apparu comme une évidence. Son retour a exorcisé quelques uns de ses tourments. Ses proches aussi l’ont aidé. Il ne pourrait jamais les remercier assez. Son public aussi.

La salle commune est désormais entièrement vide, on n’entend même plus le tintement d’une fourchette en plastique. Les gardiens des clés de la rave sont là, plus stoïques que jamais. Affables plutôt. Et depuis, on entend Luke dire à tout bout de champ qu’il se sent plus heureux, qu’il voyage seul, ou accompagné notamment de Function et Steve Bicknell sous le pseudo LSD, une techno mentale plus psyché tu meurs. Que son entrée dans la maison Ostgut Ton du Berghain depuis 10 ans lui a filé une sacré perche. Qu’il se sent bien à son âge. Qu’il ne rêve pas d’une éternelle jeunesse. Qu’il est devenu encore plus irresponsable, plus explorateur, plus adorateur du danger qu’il ne l’était 30 ans plus tôt.

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