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Virée au Caire, XXIème siècle

La capitale égyptienne est devenue un point de rencontre clé où convergent de nombreux artistes du monde arabe. Une scène indépendante nouvelle se forme à une vitesse foisonnante. Tamer Abu Ghazaleh et Halawella, quelques-unes de ses pépites, passaient par Paris au Divan du Monde dans le cadre du Festival d’Ile-de-France.

Il est 20h30 lorsque j’arrive au Divan du Monde. Si tôt soit-il, cette nouvelle soirée du festival d’Ile-de-France bat déjà son plein. La chanteuse Maryam Saleh est en piste devant une foule nombreuse et plus qu’enjouée. L’Égyptienne a créé avec le Libanais Zeid Hamdan, producteur florissant et multi-instrumentiste, le projet Halawella. Sur scène, ils sont accompagnés d’un batteur et d’un autre musicien aux guitare, basse, claviers et machines. Le sourire généralisé du public est le joli fruit de l’énergie bienveillante et contagieuse du groupe. A commencer par Maryam, plein centre, qui rayonne par la grâce de ses mouvements, sa mimique et son timbre de voix – qui feront vite oublier quelques maladresses vocales anecdotiques. A un moment, je me suis dit qu’elle aurait pu, le temps d’un morceau, se contenter de danser sur sa musique sans mot dire, tant ses expressions et sa présence se suffisaient à elles-mêmes.

La plupart des textes expriment des idées politiques bien tranchées, c’est en tout cas ce que m’apprend un spectateur arabophone complice. Le morceau « Valéry Giscard d’Estaing », reprise de Cheikh Imam, retrace ironiquement les promesses évaporées de l’ancien président français lors d’une visite diplomatique en Egypte en 1975, comme par exemple « Il amènera le loup par la queue (traduction littérale de l’arabe signifiant « il fera l’impossible ») et nourrira jusqu’au dernier des affamés. » Remplacez Giscard par Moubarak et vous comprendrez un peu mieux l’implication de Maryam, Zeid et plus largement de nombreux jeunes groupes égyptiens dans le mouvement qui a renversé l’homme d’Etat en 2011. Halawella nous délivre donc un concert de pop au sens noble du terme. On remarquera la facilité avec laquelle les musiciens échangent de nombreuses fois leurs instruments ou passent de l’électrique à l’électronique. Le set glisse habilement sur cette douce soirée d’automne et, après un final électronique de haute voltige, Maryam Saleh laisse place à Tamer Abu Ghazaleh. Le siège est tout chaud.

Tamer Abu Ghazaleh est une figure majeure de la jeune et foisonnante scène arabe – notamment mise en lumière par le label Mostakell. Le concert va montrer plusieurs des multiples facettes de son talent. Il débute par une tendre mélodie jouée au oud par le Palestinien sur laquelle il se met à chanter d’une voix hypnotique. Les premiers morceaux s’inscrivent dans ce registre, habilement accompagnés par une rythmique basse – batterie très propre et un claviériste issu du classique aussi doué qu’impassible. Entre les morceaux, Tamer raconte parfois en anglais les textes qu’il chante en arabe. Certains appartiennent à des poètes anciens ou contemporains et évoquent « la lettre muette de l’alphabet » ou encore une bulle vidée de son existence. Une nouvelle complice me raconte cette fois-ci que le poème d’amour « Law kana li kalban » (Si j’avais deux cœurs) qui vient d’être joué magnifiquement appartiendrait selon une légende vraisemblable au poète antéislamique Qays ibn al-Moullawah.

J’assiste donc bouche bée à un concert d’une rare beauté lorsque tout à coup, au milieu d’un morceau, le pianiste Shadi El Hosseiny esquisse son premier sourire ! Alors, le concert dégénère et c’est le début d’une deuxième partie plus rock, faite d’expérimentation, de plaisanterie et de fête. Le très beau public accroche et la plupart chantent les morceaux par cœur. Je réalise alors l’impact et le symbole de ces artistes. Certains morceaux atteignent des sommets transcendants et je voudrais qu’ils durent plus longtemps, que le groupe aille au bout de sa folie géniale. Puis Tamer Abu Ghazaleh reprend son visage intime le temps d’un rappel, et nous salue avec classe et simplicité. C’est déjà terminé.

Je pars avec la sensation d’en savoir un peu plus mais toujours trop peu sur la beauté du monde. Pendant ce temps où une scène du futur est en train d’éclore, il se passe des choses bien étranges chez Madame Arthur, le cabaret mitoyen. Mais ça, c’est une autre histoire.

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