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Une histoire du hip hop à Creil

Zone urbaine créative (ZUC !) qu’ils devraient rajouter dans leurs dénominations, nos pouvoirs publics français. Dans la ville de Creil, depuis longtemps, on ne tient pas en place. Les allées de ses rues grouillent de personnalités qui manquent souvent uniquement de moyens pour s’exprimer. Alors, vous imaginez bien que quand le hip-hop a débarqué, la ville était sur les starting-bloc(k)s. Et si elle connaît les mêmes soucis de diffusion du style qu’ailleurs en France, on s’est attardé sur sa façon bien à elle d’organiser son rap game.

« Je me rappelle quand le hip-hop est arrivé début des années 90, les premiers groupes creillois, le graff, la danse. Alliance Ethnik, au début ça s’appelait le Clan des 3 escrocs, ils commençaient les premiers concerts hip-hop. Pour nous, c’était complètement nouveau. On avait un public très présent, essentiellement des copains des quartiers qui remplissaient les salles. » Foi de Jacky Hamel, directeur de la culture de la ville de Creil.

L’alliance

1972, Gouvieux. À un quart d’heure de Creil en voiture naît Kamel Houairi, un jour de septembre. Grand « tchatcheur » devant l’éternel, il se passionne pour un courant musical apparu dans le Bronx à New York quelques mois après son arrivée sur Terre. Début des années 90, à l’instar de NTM et IAM, il crée l’un des premiers groupes de rap français avec deux de ses amis Médard et Gutsy (aujourd’hui Guts), ainsi que deux DJs, Crazy B (quon retrouvera chez Birdy Nam Nam) et Faster J. Congo, Algérie, Italie, France, leurs origines diverses leur inspirent un nom : Alliance Ethnik.

Poussés par une première partie d’IAM à l’Élysée-Montmartre qui les présente au grand public, ils sortent un premier disque Simple & Funky, dont sont tirés deux singles, « Simple et Funky » et « Respect » qui inondent les ondes. Produit par un certain Bob Power (qui a notamment bossé pour A Tribe Called Quest ou Meshell), le disque est, en à peine un an, vendu à 350000 exemplaires, quand les singles s’envolent eux à 700000. Le crew tourne dans le monde entier, et réussi le pari rare de plaire aux jeunes comme aux vieux, aux quartiers populaires comme aux résidences bourgeoises. Comment ? Contrairement aux groupes revendicatifs de l’époque, le groupe prône un rap funky politiquement OK pour les codes en vigueur dans l’espace (audiovisuel) public réac des années 90. Le message universel des Creillois passe crème. K-mel devient une idole des jeunes, l’homme dans le vent.

Pourtant, la bulle de succès dans laquelle le groupe s’est infiltrée éclate rapidement. En 1999, à peine 4 ans après Simple & Funky, le groupe sort son second disque Fat Comeback qui n’a alors de méga retour que le nom. La bande de K-mel file aux oubliettes malgré quelques featurings de choix, avec Youssou N’Dour et De La Soul. Et s’il est aussi essayé en solo, avec Réflexions en 2001, le public ne suit plus, ou moins. Pas vengeur pour un sou, le MC creillois part au bon moment et opère sa transition professionnelle vers – a priori malgré le mystère – le commerce international et se remémore les douces années, venues si tôt. En trois ans, Kamel aura tout simplement placé Creil sur la carte du monde entier, du Venezuela à la Corée-du-Sud où il est encore aujourd’hui écouté. Sa seule – et rare – interview récente a été réalisée par la journaliste Nadiya Lazzouni. On y voit d’ailleurs un homme (bientôt cinquantenaire) serein dans l’anonymat, la tête sur les épaules, fin, au regard aiguisé sur la musique, internet et la société actuelle.

Abdoulaye Kane, jeune Creillois

« J’ai 21 ans, je suis né en 1998, après la Coupe du Monde, donc ça ne me fait rien du tout d’y penser ahah. » Ça c’est Abdoulaye Kane. Il est né et a grandi à la ZAC du quartier Moulin à Creil, construit dans les années 70, une sympathique époque pendant laquelle il était de notoriété publique que les blocs de béton montés très hauts et très larges constituaient la meilleure offre de logement de luxe pour la majeure partie de la population. Lorsque Abdoulaye vient au monde, cela fait bien longtemps que ce rêve qu’épousaient industriels et dirigeants – ces fins limiers de l’urbanisme du futur et du lien social – a fini d’exister.

Pourtant, le jeune homme que je rencontre début 2019 a toujours été heureux au Moulin. Ses parents débarqués du Sénégal pour la France ont fondé une petite famille qui connaît aujourd’hui par cœur chaque recoin du quartier. À la maison, les parents d’Abdoulaye écoutent de temps à autre de la musique sénégalaise. « J’ai une sœur qui a 3 ans de plus que moi, et ensemble on a toujours regardé des clips. Comme on est les plus grands, on a amené la musique dans la maison » nous confie-t-il dans la médiathèque de la Faïencerie, la scène conventionnée dans laquelle il effectue un service civique au moment de l’interview (au moment où est publié ce papier il fait les beaux jours du label Think Zik! – de Imany et Faada Freddy – en tant qu’assistant label manager). Rihanna, Beyonce et 50cent peuplent alors l’imagerie et les rêves des ados, sur le petit écran branché sur M6 Music Black et Trace TV. « On refaisait les scènes, on se partageait les rôles : « bon toi t’es elle, moi je suis lui », assume-t-il. On faisait les chorés dans le salon quand il n’y avait pas les parents. »

Abdoulaye

Abdoulaye Kane

Abdoulaye fait sa primaire à la ZAC, son collège à Jean-Jacques Rousseau puis son lycée à Jules Uhry, à Creil. Son brevet et son bac en poche, il fait ses études de communication à l’Université Paris 8. Quand je le questionne sur son enfance à Creil, il clarifie : « Je n’ai eu aucun problème dans mon enfance, c’était très joyeux. Je ne comprends vraiment pas pourquoi on a cette image de « c’est la guerre ». Bon, ici, ça ne me choque pas mais quand mes collègues me disent « ohlala il y a eu une fusillade », tu as l’impression qu’ils vont tous mourir. Le problème, c’est que c’est un tout petit pourcentage de ce qui se passe ici qu’on voit aux infos, ceux qui tiennent les murs, les débiles. Sinon, tout le monde travaille, a ses occupations, essaie de percer à sa façon. »

Son rêve ? Travailler dans un label de musique. Peut-être même Universal, la maison de disques qui le fait saliver, dans la section hip-hop. Découvrir des talents. Alors, le jour où il cherche un stage, il se rappelle que La Faïencerie n’est pas loin. Première étape dans son cursus, le jeune actif collabore avec la chargée de communication Florence Cassin, arrivée en 2017.

Pour lui, Creil est un vivier de musique. « Depuis que je suis petit les gens tournent des clips dans mon quartier. J’ai tourné dans au moins dix clips de petits rappeurs qui voulaient être découverts. Bon, ils ne sont pas toujours très forts mais c’est pas grave, au moins ils faisaient quelque chose. » Lieux de tournages : le Moulin et le plateau Rouher. « Le premier rappeur qui a vraiment ‘blow up’ c’est Blaxo Réseau. J’étais en 6ème, il a tourné un clip sur le plateau et tout le quartier était là. Moi, j’y étais pas parce que c’était le quartier ennemi ahah. Il y a aussi Mac Rolex qui est devenu un peu connu. Il a notamment fait un feat avec Naza, qui habite à Nogent-sur-Oise mais bon pour nous Nogent c’est Creil. Connus nationalement, il y a Naza, évidemment Keblack qui habite Nogent, ou la rappeuse Davinhor Pacman. »

_Z0A5860Portrait Heno Haer

Quartier du Moulin, par Heno Haer

Le rap en live : difficile équation

Grâce à Abdoulaye, Florence peut prendre la température des écoutes des jeunes creillois. Alors quand la Faïencerie programme Kery James, Abdoulaye se veut évasif : « C’est pas mon style. »

Florence : Pourtant avec la pièce de théâtre À vif de Kery James, on a blindé en deux secondes, on a monté un projet éloquence autour, c’était la folie.
Abdoulaye : Il ne me parle pas.
Florence : Disiz la Peste ?
Abdoulaye : Pareil.
Moi : À Creil et dans toute la France, Disiz était une superstar il y a 20 ans.
Abdoulaye : J’avais 2 ans, ahah.
Moi : Alors quels rappeurs te feraient aller en concert directement ?
Abdoulaye : Damso, Fianso, Naza même si c’est moins du rap maintenant, ou Kaaris. Eux parlent à ma génération.

Dans la même veine, Thomas Hennebicque, chargé de communication à la Grange à Musique (GAM) à Creil, se rappelle avoir programmé l’artiste rap qui monte, Dinos, en janvier 2019. « On a fait 100 places et encore c’est pas trop mal. Le hip-hop est un genre qui est pas mal écouté mais qui n’est pas beaucoup vu en concert. On parlait avec le booker de Yuma qui nous expliquait que dans ces artistes à ce niveau-là, à ce prix-là, ça remplit peu. A moins de taper sur du gros, mais on n’a pas les moyens. Tout ça alors que c’est le genre écouté par tout le monde. » Si la GAM est bien implantée dans le paysage des musiques actuelles dans la région et au-delà, elle pêche comme toutes ses semblables sur le public rap. Manque de communication, de sensibilisation, deux mondes qui se côtoient sans se parler. Abdoulaye persiste : « En général, les structures musicales ne viennent pas à la ZAC pour nous dire de venir rapper avec eux. » Au-delà des différences d’approche, il reconnaît néanmoins que d’autres constantes rentrent en compte, venant valider la thèse du booker de Yuma. Pour lui, le fait que Dinos n’habite pas à Creil est déjà une des raisons de son manque de popularité. « Pour un rappeur underground, c’est difficile de bien marcher en dehors de ta ville. »

On peut également comprendre la difficulté des rappeurs à marcher dans le réseau classique des musiques actuelles parce qu’ils appartiennent à un autre réseau de diffusion. Thomas en est certain : « Les Booba, Admiral T, Naza, ils jouent dans des discothèques où ils vont être payés 15000 balles dans des conditions de merde mais ils s’en foutent. Après, c’est sûr quand on fait Casey, La Caution, La Rumeur, ça marche, mais c’est le public rock qui vient les voir. » Aussi, il y a l’effet d’énorme buzz d’artistes aussi forts que courts. Abdoulaye en a l’habitude depuis qu’il écoute du rap : « C’est clair qu’il y a des effets de mode. Par exemple en ce moment, il y a un groupe qui explose à Creil, qui s’appelle Gang Squad, que je n’écoute pas, on va dire que c’est plutôt pour les collégiens actuels. » Jacky Hamel précise ces emballements : « La GAM par exemple touche plutôt des publics 25 – 35 ans. Peu de jeunes ados sauf sur des concerts hip-hop bien spécifiques et pointus, d’un artiste qui sera connu pendant 6 semaines et qui va disparaître aussi vite. On est vraiment sur du zapping complet. Sur des artistes qui font carrière, on a du mal. »

Alors l’équipe de la GAM essaie de se creuser le ciboulot, tâtonnant ici et là avec des résultats mitigés. Une lassitude s’installe parfois. « Les mecs d’ici ne viennent pas à nos concerts rap parce que ça ne les intéresse pas et les gens de l’extérieur ne viennent pas parce que c’est à Creil, nous révèle Thomas. Pourtant, depuis 2012, je bosse ici, je n’ai jamais vu d’emmerdes hors normes. Il y a déjà eu une fois des mecs bourrés qui se sont battus mais ça arrive partout. Je sais qu’avant que je débarque, ils avaient fait Sefyu ici et c’était un peu le bordel. Mais je pense aussi que le public rap s’est assagi puisqu’aujourd’hui, il n’est plus forcément extrême. »

Pour vous aider un peu, on vous a fait un petit name dropping en bonne et due forme, avec quelques artistes qui ont fait ou continuent de faire les bonnes – ou mauvaises – heures du rap à Creil et son agglo. Autant vous dire tout de suite, des fondus de hip-hop, il y en a des centaines dans le code postal 60 sang. Dans ce Skyblog incroyable, un type a même catalogué, de juin 2009 à novembre 2012, une bonne partie de tout ce qui fait le rap du département de l’Oise. Une version urbaine du bibliothécaire, dira-t-on.

Quelques noms propres du rap à Creil (et son agglo)

Nitrofonik : Il y a d’abord Nitrofonik, groupe formé fin 2001 à Creil, au plateau Rouher. Devant la saturation du paysage rap français et l’impossibilité pour des formations creilloises de signer sur des labels parisiens, le crew scande son indépendance et crée le label NFK prod ainsi que son studio. Un court reportage FR3 retrace d’ailleurs cette période dynamique du collectif. Si la reconnaissance des Creillois a du mal à dépasser les frontières picardes, la pure tradition boom bap, g-funk, rolling & scratching est restée dans les mémoires du public des anciens, aujourd’hui grands-frères et parents.

G.O.R : Formé en 1998, à l’époque où déjà Alliance Ethnik prépare sa dissolution, le G.O.R est un groupe reggae/hip-hop. Formé de 2 MC’s : Jason Voorhees et S.I.M.O.N, d’un chanteur Soul Reggae, Benijah et de 2 beatmakers, Big Ben et Doc P et de leur technicien son, THK, il a continué à faire des EP : Encore plus loin en 2014, puis un éponyme en 2016, à écouter ci-contre.

MGS : les Movés Gars du Son. La structure indépendante de bad guys sévit dans les années 2000 et raconte sans compromission ni gentillesse la vie exécrable de La Commanderie, quartier mis à l’abandon des politiques de tous bords, à Nogent-sur-Oise, dans l’agglo de Creil. Entre violence et loi de la jungle, elle prône un rap direct. Outre la résonance qu’a eu sa musique à cette époque, elle est surtout un document d’archive important, un patrimoine qu’il est souvent difficile à se remémorer.

Willow Ams Good : A aujourd’hui 32 ans, Wilow est un personnage à part sur le paysage rap creillois. A la façon d’un Hippocampe Fou, il s’est créé un personnage merveilleux et fantasque, venu du monde « amsgoodique » peuplé « d’Amsgoodiens et d’Amsgoodiennes ». Fasciné par le boom bap d’Andre 3000 d’Outkast et rendant souvent hommage à 2pac ou Biggie, il est à l’origine d’un album de collaborations #NOCRACKS en compagnie d’A2H, Mic D, Sneazzy ou Pit Baccardi. On a aussi pu le croiser sur un titre avec Nekfeu. Une de ses maximes ? « Je suis l’inventeur de rien ». Ce qui ne l’empêche de faire des allers et retours en rap, chanson, rock et musique électronique.

Naza : « J’ai l’flow d’Madiba et il kiffe ma bidoche / Et son bidon, il khle3 donc ils l’appellent tous Babylone / Ça vient d’Creil, pas d’Compton ». Difficile de passer à côté de Naza lorsqu’on parle de musique à Creil aujourd’hui. Popularisé nationalement avec « MMM » puis mondialement par sa chanson « P*tain de m*rde » qui a accompagné les bleus victorieux de la dernière Coupe du Monde de foot, il est pourtant connu sur le bassin creillois depuis un moment. Son ironie sale gosse et l’étalage constant de ses dernières bagouzes lui ont donné le titre de représentant du rap local. Mais ce sont surtous les instrus ultra-dansantes qui lui valent ses entrées dans les clubs et tops du moment.

Keblack : On aurait pu le présenter un peu avant, étant donné que c’est lui qui a permis à Naza de mettre son nom sur les titres YouTube. Repéré par Youssoupha, influencé par le groupe MGS cité plus haut, il est à l’origine du tube planétaire « Bazardée ». Catapulté dans la shortlist des rappeurs les plus plébiscités sur internet, il porte avec Naza les couleurs d’un rap festif, parfois romantique, à la façon du R’n’B caribéen des années 2000, et oisif.

Petit rappel : cette liste précédente n’est évidemment pas exhaustive. On pourrait également parler de Mic D, autre creillois porté sur les open mics, habitué des scènes locales et soutenu par la Grange à Musique. Il y a aussi La Sphère, groupe de cinq artistes rap sélectionnés pour le tremplin Buzz Booster et qui ont de beaux jours devant eux. On pourrait évidemment revenir en arrière et évoquer Criminel Réseau qui existe depuis les années 2000 et dont le titre « Haram » s’est élevé à plus de 70.000 vues. Ou encore Boloxx Klan, du plateau de Creil, dont le titre très-Saïan-Supa « Hip Hop Attitude » nous rappelle les flows techniques des débuts. On peut se remémorer les remix de Paname Boss de La Fouine version Creil Boss avec tout le gratin des rappeurs locaux 2sblack, Clovis, Mac Rolecks, Licky et Nazario (ex-Naza) ou Blaxo Rezeaux. On continue le name dropping ? Allez, il y a à boire et à manger là-dedans : Six Hood, La Badseed, Antidode, Davinhor Pacman – la seule meuf du cru dont « Ceper » a tout de même excité les compteurs – ou encore Ma Version, découverte du printemps en 2004, finaliste du concours talent scène d’Universal et à l’origine du titre assez trippant « Comme des moutons« . Mais vous comprendrez qu’on pourrait passer la semaine à tous les écouter.

Comment fait-on du hip hop à Creil ?

Dans les années 2010, tout au fond de la ZAC, un studio d’enregistrement tient lieu de repère à la graine d’auteurs amateurs. C’est Thomas Clair, aujourd’hui chargé de l’accompagnement musical à La Locomotive, qui s’en occupe. Abdoulaye se rappelle : « Tous les petits rappeurs y allaient pour enregistrer leurs chansons. »

Alors je suis allé toquer à la porte de La Loco, pour y trouver Thomas (il y a beaucoup de Thomas à Creil) et évoquer cette période de sa vie. « Quand je me suis fait embaucher par la mairie en 2012, c’était comme animateur technique au service jeunesse. Et le service jeunesse dans ses équipements avait un studio orienté rap vu qu’on est dans une grosse zone urbaine. Moi-même j’avais un home studio à titre personnel et l’autorisation de mon employeur d’avoir une activité supplémentaire. Je voyais les mêmes jeunes dans mon studio et à la ZAC du Moulin au studio musique. » Endroit de retrouvailles plus que de grande création, il permet à une tapée de jeunes d’occuper leur temps en créant de la musique, avec Thomas en back-up technique.

Thomas Clair

Thomas Clair

Après quelques années de ce centre de loisirs un peu spécial, Thomas arrête brutalement son activité mais sonne le point de départ de son boulot au sein de La Locomotive (voir l’article « Creil a besoin d’amour »), dans de l’accompagnement musical. Pas si éloigné finalement.

Mais alors, depuis ce moment-là, où écoute-t-on du rap à Creil ? Où pratique-t-on le graff ? Où se teste-t-on ? La réponse est d’abord du côté extérieur des bâtiments. Dans la rue. Parce qu’ici, tout le monde baigne dans la musique. En balade avec Abdoulaye dans son quartier, il me jure que dès son collège, tout le monde avait globalement la capacité de faire des rimes potables « sans être rappeur » et que seuls ceux qui « poussent plus loin ont suivi leurs rêves. » Ambre Cassini, à la direction de l’Espace Matisse sur le quartier du Moulin, compte sur les portes ouvertes pour laisser s’exprimer la créativité des locaux : « En septembre, on se pose sur le square avec des grosses pierres en disant « venez taper et découvrir la sculpture sur pierre », on a fait pas mal de sessions graff avec du cellophane qu’on mettait entre deux poteaux. » Elle essaie notamment de pallier au manque d’indications et à la situation géographique pas évidente de l’atelier d’art local : « Ici on est au fond du quartier. Mais bon, on est sur un projet de signalétique pour refaire toutes les façades de Matisse pour que de dehors du comprennes que des choses s’y passent. Avec toujours des graffeurs qui viennent nous aider. »

Aujourd’hui, époque YouTube, Snapchat et Instagram oblige (alors les vieux, toujours sur Twitter et Facebook ?), l’endroit c’est aussi internet. Et à Creil on découvre le rap IRL en se faisant inviter à faire de la figuration dans les clips. « Les gens mettent leur freestyle sur YouTube, et on partage, décrit Abdoulaye. Bon, on critique aussi. Ça fait petit village : un type donne un rendez-vous sur Facebook à telle heure pour faire son freestyle, on le regarde tous, et le lendemain au collège – quand j’y étais – tout le monde commente « Alors, t’as vu le freestyle de machin ? C’était nul t’as trouvé ? Franchement ça va. » Le hip-hop reste une culture du groupe, personne ne s’y essaie simplement dans son coin. Il est aussi l’une des expressions des médias sociaux. Et si les années 90 sonnaient l’explosion du home studio, de nos jours c’est la vidéo qui est abordable. Abdoulaye et ses potes font tout au Samsung. « On filmait, on montait, on postait sur internet. Les premiers clips de Naza et Keblack sont tournés au téléphone. »

_Z0A5442Portrait Heno Haer

Quartier du Moulin, par Heno Haer

Selon lui, l’image en sépia des collèges remplis de bandes très différentes vestimentairement et musicalement n’est plus vraiment d’actualité. Pas d’espaces pour les rockeurs, les metalleux, les rappeurs, les babos ? Non, tout le monde écoute du rap. « Ceux qui écoutaient du rock, ils n’étaient pas identifiés. Si aujourd’hui tu vas au collège, et que tu leur demandes « est-ce que vous écoutez du rock ? » ils vont te répondre « c’est quoi ? » ahah. »

Depuis, Abdoulaye a mené la troisième édition du projet IPOP à la Faïencerie. Kézako ? IPOP est un événement pluridisciplinaire sur le hip-hop. C’est tout ? C’est déjà beaucoup mais il y a autre chose. Pour communiquer autrement autour de cet événement, le rôle du jeune homme est de parler avec des gens « comme moi », qui a priori pensent que La Faïencerie n’est pas pour eux (voir notre article Creil a besoin d’amour). Ou comment le lieu cherche de nouveaux publics. Alors il ratisse les quartiers pour prêcher la bonne parole, quitte à passer pour un hurluberlu. Il a notamment contacté l’association de danse Asd-Westindies de Creil, hyper implantée dans les quartiers, pour faire des temps forts de IPOP. « Là, on parle directement aux jeunes, et pas par l’intermédiaire d’un prof de français au lycée. Tu vas dehors, tu fais un coup de flyer, ou tu me les files. »

À Creil, comme ailleurs en France, le hip hop compte. Et certains se creusent le ciboulot pour inclure les oublié·es des lieux culturels. La ville de l’Oise s’élève une fois de plus comme un bouillon créatif urbain. C’était une histoire du hip hop à Creil. Mais soyez sûr·es qu’il en existe une tapée d’autres. Ou comme le note le directeur de la culture à Creil, Jacky Hamel : « Beaucoup de jeunes groupes ont « sévi » sur Creil. Mais peu sont sortis de Creil, voire de leur quartier. Lors des fêtes de la musique, environ 20 groupes creillois étaient sélectionnés pour une scène spécifique. » À vous de nous raconter toutes ces histoires pas encore écrites.

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9 commentaires

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Creillois 12.11.2022

Il y a aussi le rappeur T.H « Tango Point Hotel » un grand visage de la ville creilloise et du rap français qui était bien avant les KEBLACK NAZA Davinhor et aussi le Groupe Agent Malfrat qui marquer leur époque

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Nicos 22.02.2021

Et bien c’est curieux de ne pas avoir parlé du concert D’IAM gratuit sur le vélodrome du plateau de Creil début 1990. Un gros souvenir. Je venais de Lamorlaye avec ma soeur , j’avais à peine 14 piges. Seul les anciens connaissent. Peace

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Romain 24.02.2021

En effet, je n’étais pas au courant. Merci de l’info !
Et merci d’avoir lu l’article.

Bonne journée

Moussk 11.11.2020

Le plus fort de tous c t naby avec le morceau violence et crime a écouter sur youtube, un des rare rapoeur creillois du debut 2000dont le morceau est paru dans une grande mixtape nationale avec iam

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Sophie 14.01.2020

Très intéressant, par contre il ne faut pas oublié le label creillois Pyromic, dont l’un des dirigeants était de la ZAC, qui ont notamment produit Mac Roleks, des ep, des mixtapes et des webtapes, fait une mini tournée nationale de Djeuma, mais aussi aussi organisé des évenements locaux (battles de danse, expo photos, concert slam, concerts…).

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Romain 14.01.2020

Merci Sophie pour le tips, je ne connaissais pas, je vais m’y intéresser. Bonne soirée

Willy 15.01.2020

Sur Google, Il suffit de taper pyromic Creil pour voir une petite partie de ce qu’ils ont apporté à la scène locale

Teddy 16.11.2019

Alors la étant Nogentais vous avez oublié un des groupes les plus actifs en ce moment c’est le groupe ADMK un binôme qui vient tout droit de la commanderie de Nogent, ils sont déjà en place depuis environ 5 ans. Leur Facebook et YouTube : Admk officiel. Suivi aussi par des plus jeunes issus de la même cité entre La C et Sloki.

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Romain 18.11.2019

Salut Teddy, merci pour le tips, on va suivre ça de près. Merci de ton commentaire. Bonne journée

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