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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le plus poignant label de house français Skylax Records

À l’occasion des vingt ans de Skylax Records, ses deux principaux protagonistes ont décidé de mener une fête en musique. Son boss Hardrock Striker et son joyau brut DJ Sprinkles se sont retroussés les manches et fait équipe pour un double CD qui compile du vieux et du jeune, du deep et du up-tempo. On en a profité pour ouvrir longuement les guillemets à Hardrock Striker pour qu’il nous parle de son bébé, devenu un grand-petit label. Stay underground, it pays.

Striker et Sprinkles, ce ne sont pas vraiment Laurel et Hardi, pas vraiment Shirley et Dino non plus, ce serait plutôt Lester et Lou, sans leur relation destructrice. Entre passion fulgurante, explosive et brute de l’un pour l’autre, génie poétique et créateur unique.

Et puis, à la lecture de ce long texte sorti des tripes, du cerveau fou et sur-productif d’Hardrock Striker, on ne peut que penser à nouveau qu’on est en train de lire un rock critic chtarbé shooté au Romilar qui aurait – au lieu de mourir la trentaine à peine entamée – décidé de monter un label de house spé… en France… au milieu des années 2000, alors que la french touch clinquante avait déjà décidé qu’elle ferait la loi et puis c’est tout. Phrases de quinze lignes, franglais parigo-LA, virgules foutues où veux-tu en voilà, fougue, cris, rires, romance, voici l’histoire de deux hommes, et de mille anecdotes réunies dans une Histoire, celle de Skylax, juste un label. Rien qu’un label ?

Réunis sous le nom de S.H.E pour Skylax House Explosion, les deux artistes font un clin d’œil bien appuyé à un des anciens bouleversants projets du labels, un certain K.S.H.E, point de départ pour notre obsession infinie pour la maison de disques.

INTER (WITH A) VIEW :
HARDROCK STRIKER

HARDROCK_STRIKER

Aux origines

Hardrock Striker : « Sincèrement c’est un long parcours et le fruit d’une longue « maturation ». J’ai toujours été fan de musique depuis ma plus tendre enfance, aussi loin que je me souvienne j’écoutais Depeche Mode à l’âge de 10 ans, vers 12 ans j’ai commencé à bifurquer vers Bowie, le Velvet & les Stooges ; je te parle de cela, dans les années 80 où cette musique qui est devenue plus tard ce que l’on appelle « indie » était tout sauf à la mode. Puis les Clash, les Damned, New Order, les Smiths, le punk et la synth pop.

Je lisais religieusement les Inrocks (en 1987 – 88) en attendant fébrilement chaque sortie du mag parce qu’à l’époque la presse musicale c’était nada, ça se résumait à Rock’n’Folk et Best avec des artistes très mainstream en couv’ type Madonna ou Prince. Je faisais des K7 (Memorex pour les initiés) pour les boums ou anniv’. Et bien évidemment avec le type de musique que j’écoutais en banlieue, ça me faisait passer pour un mec un peu bizarre. »

Ministère A.M.E.R – Le Savoir

Hardrock Striker : « A cette époque, fin des années 1980 tout le rap ou hip-hop commençait à exploser, on le voyait venir, on kiffait tous Public Enemy ou NWA. C’était très fort au niveau des banlieues parce que ça parlait des minorités, ceux que l’on ne voulait pas voir, les laissés pour compte ; même nos copains de classe s’y mettaient, je me souviens très bien de Gilles ou Passy (futur Ministère A.M.E.R) qui nous disait : « Nous on va être des stars et pas galérer comme ces putains de profs à la con dans une banlieue toute naze. »

Hardrock Striker : « Bref, le déclic en ce qui concerne ma volonté de m’impliquer dans la musique est venu très tard parce qu’en écoutant tous ces artistes internationaux qui avaient bercé mon enfance Iggy, Bowie, Joy Division ou autres, je voyais les gens qui étaient on top en France dans les 90s et c’était Patrick Bruel, Johnny Hallyday et Pascal Obispo so no comment. Donc l’equation était simple : comment j’allais réussir à vendre des disques dans le monde entier alors que dans ton propre pays on t’imposait des quotas pour « chanter » en français (c’était la règle dans les 90’s). »

Sweetdrop – Human Nature

Hardrock Striker : « La clé ça a été la musique électronique : plus de paroles, plus de quotas, plus de nationalité, je fais mes disques by myself, fuck off. Et pour ça il a fallu un coup du destin, à la mort de mon père en 2000, je me suis barré à Los Angeles avec un pote dans l’espoir de monter un groupe de rock et vivre là-bas. Evidemment, l’inverse s’est produit, mon pote connaissait là bas effectivement quelqu’un dans la musique (Peter Black qui a sorti l’hymne house « Human Nature » sous le nom Sweetdrop sur Strictly Rythm) mais c’était de la house, donc le gros big bang. Découverte des 12 inches, de la culture dj, des classiques…

Ce qui nous a fait accrocher, c’est que j’étais guitariste donc musicien et j’avais exactement la même culture teenage que les mecs de L.A. Plimsouls, les Nuggets, Lester Bangs, le rock déviant, le roxy, la synth pop des 80’s type Soft Cell, Ministry, Tones on Tail. On retrouvait plein de versions pirates jouées en club type Razormaid Mixes dans leurs bacs donc c’était beaucoup plus facile pour moi de comprendre la musique électronique sous ce prisme. »

Stay Underground it pays

Hardrock Striker : « On a commencé à enregistrer nos propres compos via Cubase (qui sont sorties un peu plus tard en 2005) et surtout 6 mois plus tard on rentrait à Paname et on montait Parisonic avec le fameux slogan Stay Underground It Pays (bien avant que le mot underground devienne une marque pour certains). Notre première sortie, c’était un 2 x 12 inches de remixes de l’album de Manu Di Bango « Africadelic » de 1975 avec des remixes de Rob Mello, Slow & Local (dont l’un des membres était Lindstrøm que j’ai rencontré à Miami bien avant qu’il ne devienne « célèbre »).

Parallèlement on vendait aussi des boots genre Prince « Work it » ect… Il faut bien se rappeler qu’à l’époque il y avait peu d’edits (Ableton n’existait pas) et toute la culture internet ne s’était pas encore démocratisée ; on les vendait à l’ancienne avec le téléphone, on appelait les mecs et ils écoutaient en direct puis nous disait « Ok là tu m’en mets 100, celui là 50 » ; on a fait des scores de fou (genre 4000 / 5000 copies, c’est plus le même truc aujourd’hui). D’ailleurs je me souviens qu’une fois on appelle notre distributeur de l’époque – Discograph – pour demander des explications parce que l’on n’avait vendu QUE 1000 copies d’un disque, alors qu’aujourd’hui ce serait un succès total ! »

SHE

L’odyssée de la house

Hardrock Striker : « Je faisais pleins d’allers retour Paris – L.A., ça m’a permis de rencontrer là bas DJ Harvey, Doc Martin, on a même signé un très très gros chèque pour le remix d’Eddy Grant « Electric Avenue » sur Warner, ils ont eu 4 millions de vente d’albums grâce à ce remix dans le monde. Folie totale. Un an plus tard on manageait pleins de djs sur paris, certains sont devenus des stars : Dan Ghenacia, Ivan Smagghe, Jennifer Cardini, Chloé, Erik Rug, D’julz, Jef K… Bref, le top du top et ils sont toujours là. »

Friendly Fires – Your Love (écrite par Frankie Knuckles)

Hardrock Striker : « Parallèlement étant donné que j’étais le plus digger et calé en musique, je me suis mis en tête de ressortir des vieux tracks issus des catalogue Trax & DJ International (personne n’y avait encore pensé à l’époque), j’ai trouvé le contact dealer et boom c’est comme cela qu’est né notre sub-label Square Roots avec des tracks de Franckie Knuckles, Farley Jackmaster Funk, etc. D’ailleurs pour anecdote, le groupe Friendly Fires s’est formé autour d’une reprise de Franckie Knuckles « Your Love » et sur leur Myspace ils avaient le macaron de NOTRE reissue, j’avais trouvé ça fun de voir qu’en 2005 / 2006 alors que c’était de l’histoire ancienne Parisonic, finalement, la musique, à partir du moment ou tu la sors en vinyle (sur un support en tout cas), il y a une trace qui reste… Ivan Smagghe aussi nous avait compilé un remix de GusGus pour le Ralphi Rosario « In the night » sur un de ces mix qui est resté culte pour tout une génération de Kill the dj kids « Death Disco », on était super fier.

Dans cet intervalle, on a même réussi à finalement faire enfin ce fuckin rock’n’roll band avec un mec qui chantait très new wave, voix à la Dave Gahan, il se trouve que le mec en question était un flic undercover aux stups de L.A. donc imagine le délire on était en studio et je vois le gars arriver avec un petit sac, il fait ses essais de voix, super, ça tourne bien et je lui demande « tiens tu as quoi dans cette mallette », j’ouvre et il y avait des arbalètes, armes de points, magnum, Beretta ! Et là encore patatra histoire d’égo, on a dû arrêter. Bref, cette histoire a bien duré 3 ans (fin 2003), et pour des raisons financières, on a dû tous se séparer, il y a eu une scission au sein de Parisonic, Peter & moi contre les deux autres associés, la messe était dite. Je suis encore une fois reparti à L.A. pour respirer, voir les potes et en partant de l’avion en décollant je voyais LAX (nom de code pour l’aéroport de Los Angeles), et là je me dis « stop les conneries, je fais tout tout seul now, je crée mon label, MA structure » je vois le ciel et BING : SKY… LAX donc SKYLAX. »

traycard inner cover

Et Skylax fut

Hardrock Striker : « Sortir de la bonne musique, plus de 150 vinyls c’est pas mal non ? Surtout découvrir de nouveaux artistes et prendre des risques. Faire avancer la musique – et à travers cela raconter avant toute chose mon et notre histoire. Un de mes sub-labels dédié à la musique arabe par exemple s’appelle Mellah car mes parents sont originaires du Maroc donc ça semblait logique, ce truc ça n’appartient qu’à moi. Un autre exemple, j’aurais très bien pu demander à Terre (DJ Sprinkles) de faire une compilation avec ses titres house favoris, les plus rares, comme cela se fait tellement aujourd’hui ; c’est beaucoup plus vendeur à l’heure de la culture du « track id et up ! » et de Discogs (où la rareté represente la qualité …). Hahaha. Les critiques auraient été dithyrambiques parce que cela aurait été très simple à analyser.

Skylax-records

Le journalisme musical tel qu’on l’a connu est pratiquement mort je pense. Donc l’idée derrière cette compilation c’était justement de prendre le contre pied de tout et de s’inscrire dans aujourd’hui et demain et de ne surtout pas regarder en arrière. Le plus grand danger concernant notre musique est ce que j’appellerais la « curation ». Elle est en train d’être « muséifiée » notre musique. Or la musique électronique c’est la spontanéité, l’instantanéité. Un vinyle black & white et boom, out ! Cette façon de se réapproprier les codes marketing des majors (belle pochette flirtant avec l’esthétisme 70s ou 80s, présentation soignée, tracks rares voire introuvables à des prix stratosphériques, petit « artiste » arrogant n’ayant pas l’once d’un talent et de la profondeur du travail qu’il sample ou utilise) tout ça au final me donne envie de me battre pour conserver cet esprit DIY. »

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Le joyau DJ Sprinkles

Hardrock Striker : « Merci à la magie d’internet. C’était une époque encore assez libre, on était en 2007/2008, il n’y avait pas vraiment de règles de déontologie (merci FB!), ni de promotion à grand coût de likes, d’achat de fans et de sponso d’events. Pleins de mecs faisaient des blogs, c’était le grand truc à la mode, on était dans les débuts de Facebook, MySpace comme une planète sauvage s’était littéralement vidée de ses habitants (où j’ai quand même fait de belles rencontres comme Marcel Dettmann, je lui avait proposé de jouer éventuellement au Rex, il n’était encore jamais venu à Paris, mais malheureusement le club a décliné si mes souvenirs sont bons car il n’était pas connu à l’époque ; ou Nina Kraviz qui organisait déjà des soirées à Moscou avec Radio Slave ou Jus-Ed), il y en avait un même vraiment pas mal qui s’appelait MNML SSG et un autre je crois si mes souvenirs sont bons, Little White Earbuds (c’est le mec qui a un peu lancé The Black Madonna). »

DJ Sprinkles – Hush Now

Hardrock Striker : « Bref, je surfais en pleine nuit et je suis tombé sur son site. J’ai écouté QQ Snippets de Tracks, et je lui ai envoyé un email dans la foulée. Il m’a répondu très rapidement. Plus je diggais et plus je me suis rendu compte non seulement de l’importance mais aussi de son originalité, c’était un peu comme de trouver des Lost Tapes du Velvet Underground. Je lui ai proposé alors de sortir un 1er EP sur Skylax qui deviendra le premier d’une longue série, celui où figure « Hush Now » et « B2B » DJ Sprinkles vs K- SHE « A short introduction to the house sounds of Terre Thaemlitz » (d’ailleurs récemment, dans l’une des plus belles Boiler Room que j’ai vu, la DJ UK Peach a joué notre disque et elle m’a envoyé un message très touchant me disant que c’était le plus beau disque dans sa collection, celui qu’elle chérissait le plus). Et la réponse a été instantanée. On s’est retrouvé sold out très vite.

D’ailleurs, il n’était pas du tout sûr de sortir « Hush now » au début et m’a bien demandé plusieurs fois si c’était un choix judicieux. Je lui ai dit que oui j’adorais le track et je crois que ça l’a conforté dans l’idée qu’il avait trouvé un vrai partenaire, prêt à prendre des risques avec des projets très « underground » et pas forcément « vendeurs ». Ce qui est – je pense – ma marque de fabrique. Puis on a enchaîné la même année avec le projet Kami – Sakunobe House Explosion, avec cette pochette assez incroyable d’un mec transgenre she male des 1920s. »

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Hardrock Striker : « Ce qui n’était au départ qu’une photo dans le livret est devenu la cover, je voulais je crois, absolument retrouver la magie des 1970s avec ces magnifiques pochettes androgyne type Iggy ou Bowie mais en plus sharp et par la même occasion rendre hommage à la scène LGBT qui est le fondement même de notre musique. Routes not roots a rencontré à ma stupéfaction un très grand succès là encore (Resident Advisor album of the year avec la très rare note de 5/5 !), évidemment à l’étranger, notamment à Berlin.

La France et Paris n’ont jamais vraiment été prêts, que ce soit au niveau du public mais aussi des salles et bookers, ça reste beaucoup de l’entre-soi et du copinage, l’art et l’investissement en terme de travail compte pour si peu finalement. Donc, consécutivement à la sortie de l’album, nous avons sorti 3 eps House Explosion soit H.E. I II et III. Et à nouveau plus de 8 ans après, à l’occasion des 20 ans de SKYLAX, on sort une double compilation mixé par Terre & myself avec 3 eps ayant pour titre Skylax House Explosion soit S.H.E. Une façon pour lui et moi de nous renvoyer la balle. La boucle est bouclée i guess. »

K-SHE – Double Secret

Hardrock Striker : « C’est tout simple, une fois que nous avions sorti ces eps et l’album « routes not roots », nous nous sommes retrouvés une première fois pour une release party à Berlin (évidemment ça n’allait pas être à Paris en 2010) au club Cookies. Très courtois et comme dans ses emails, très cash, comme moi finalement. La soirée s’est déroulée merveilleusement bien, je me souviens très bien d’un truc qui m’avait marqué, à un moment Terre a joué de l’ambient vers 3h du matin et clairement je me suis dit, alors là ça va pas le faire (tu fais ça à Paris, c’est une catastrophe… surtout en 2010), la salle a littéralement explosé. Merci à Berlin d’être si open minded et sharp en terme de goût.

Je pense que la musique est tout simplement un des mediums qui lui permet d’exprimer certaines idées. Après il faut savoir aussi qu’il écrit beaucoup sur différents sujets tels que la « deproduction », la club culture au Japon et bien d’autres. Terre c’est aussi des poèmes, de la photo, des events conceptuels, c’est un monde à lui tout seul. Cite moi une seule personne dans la musique électronique aujourd’hui (voir la musique tout court) capable de dialoguer à travers sa musique (ou d’autres médias) avec les concepts et idées de Deleuze, Guattari ou Attali par exemple.

Je pourrais aussi citer les magnifiques remixes (une version vocal et un dub) qu’il a fait pour mon titre « Motorik life » où il a prit un discours de MLK qu’il a réarrangé pour en faire le titre « Moutain of despair », c’était osé et comme à son habitude en plein dans le mille au final. Une grande finesse et beaucoup d’élégance dans le mix, cette façon si spéciale qu’il a de faire tournoyer les sons jusqu’à ce qu’il t’enveloppe complètement. »

Hardrock Striker – Motorik life (DJ Sprinkles’ mountain of despair)

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