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Tant qu’il y aura Grems

Carton plein pour le nouvel album de Grems qui, à 39 piges, a la santé musicale d’un nouveau né et l’expérience d’un dinosaure du rap. Vous vouliez connaître le nom du meilleur d’entre vous ? Il tient en cinq lettres, sept albums, deux verres optiques, un style.

Ce jour pré-2010 où on m’apprend qu’il y aurait un rappeur en France qui rendrait des hommages réguliers aux musiques aventureuses, allant jusqu’à s’agenouiller devant Moodymann, l’immense (et complètement cramé) dj de house, j’ai d’abord eu la curieuse impression qu’on se payait gracieusement ma tronche. Je suis ensuite redescendu de mon siège auto et ai envisagé une minute que les barrières du rap, immuables platanes, pouvaient aussi se prendre de temps à autre des coups de R5 bien placés.

J’y ai découvert, jour après jour, de couplets d’1min en instrus spés, de graffs colorés en grime, le emcee qui m’accompagne encore aujourd’hui. Il y a quelque chose qui revient souvent avec Grems : il faut avoir un grain pour écouter ses textes. On a beau dire que c’est de la musique alternative et qu’il y a toujours eu un public, le baron est perché trop haut et s’y connaît trop en psychiatrie pour bien passer sans casse. Miki est là pour les soirées enfumées hilares en canap’, les pogos et les soirées club, ambiance Chicago.

Et si Sans Titre 7, son album tout fraîchement sorti, commence sérieusement à s’inviter sur les petits fours, c’est aussi parce que le rap tout entier a changé dans les têtes. Pas parce que le propos du rappeur du 20ème arrondissement se serait oxmo puccisé, pas parce qu’il souffrirait soudain d’une mc solaarisation des textes, pas parce qu’il aurait troqué ses mots contre le consensus. Allez donc voir sa release party au Badaboum, le 18 avril à Paris.

Grems hantera toujours le rap, et ce même si le rap ne l’intéresse pas. Arrivé quasiment à la quarantaine, il peut se retourner, le sourire en coin, et se rendre compte qu’il a avancé à son rythme, en progression constante, quand les bookmakers l’auraient donné mort et enterré dans les limbes de l’underground et du has been. Raté. Veni vidi love.

Avantitunes

Apprendre par cœur les textes d’un nouveau disque pour les rapper sur scène, ça prend combien de temps ?

Faut un peu d’entraînement. Tu fais cinq jours de résidence, deux ou trois dates, et tu commences à être vraiment opé, prendre le pas. Il y a des trucs que tu expérimentes avec une salle vide, et que tu dois ressortir quand c’est blindé.

Les textes de Sans Titre 7 y ont été écrits ces derniers mois ou il y a des tracks plus anciens que tu as ressuscités ?

Je suis du genre à faire un morceau dingue, mais s’il attend trop dans mon ordinateur, il ne sera plus dingue et il sortira jamais. Je ne sors pas des trucs anciens. Je le fais jamais. C’est un travail d’écriture de deux ans, ça ne concerne rien d’autre. Au pire, tu re-paraphes ou tu chopes une vieille punchline.

Tu as pris du plaisir à écrire cet album ?

Plus que tous les autres albums. Je ne me suis pas stressé. À mon âge, on s’en branle. Faire sa passion ne vaut pas le coup de s’angoisser. Là, je n’étais pas pris par le temps, et mon management a encore mieux bossé que d’habitude, ça m’a donné une piste d’atterrissage parfaite pour le projet.

Tu t’es entouré de tes beatmakers habituels ?

Ce sont les mêmes producteurs rébarbatifs que j’utilise depuis Buffy, depuis l’après Vampire. Chacun a sa patte. Robin, c’est celui qui bosse le plus avec moi, dans un délire house bien spé. Et pour les patates de forain, je bosse avec TBBT (Tambour Battant, ndlr). Avec le second d’entre eux, on a fait cinq tracks, on en a gardé deux, et pour le premier, on en a jeté trente. Ce que j’aime pas, c’est faire un morceau qui ressemble à celui d’avant. Ça ne sert à rien de faire des cousins. Moi, je veux créer un voyage. C’est la même recette que je prépare depuis le début, juste plus sérieusement.

Faire des cousins comme tu dis, c’est une tendance que tu observes autour de toi ?

J’entends surtout les mêmes façons de rapper, les mêmes punchlines. Pas vraiment de concept. Mais c’est plutôt à moi que je posais la question. Avant de juger les autres, je me juge moi-même. T’as des albums concept qui sont très bien aussi.

GREMS_PHOTOPRESSE1_copyMichelVladimyrVamp

Dis-moi si je me trompe : tes morceaux sont des capsules, comme des ébauches d’idée autour desquelles tu laisses aller ton esprit.

Dans cet album, il y a des morceaux de trois minutes. Les gens disent souvent que je fais des morceaux courts, mais il y a des tracks qui sont fait pour durer deux minutes. Et deux minutes, c’est pas si court que ça. Une minute, d’accord. Si je le fais, c’est qu’il n’y a plus d’interlude dans les albums, comme avant. Des fois tu poses un couplet sur un morceau, et il n’y a pas besoin de refrain. L’idée se suffit à elle-même. Un morceau comme « Suicidal » de trash guitare saturée, tu vas pas faire plus, c’est très bien pour le pogo. Tout le monde saute et hop, salut. Routine.

Dans ce genre très court, il y a le morceau « Tusay » à la Moodymann…

Alors là pour le coup, c’est un peu plus du n’importe quoi. Il a une anecdote ce morceau. J’étais chez moi et Robin m’envoie une prod. Je me faisais chier. J’ai bu des bières. Je me suis mis le micro et je me suis dit : « Putain, mais j’ai jamais essayé les effets de GarageBand ». Faut savoir que tout l’album est enregistré sur GarageBand et au petit Neumann (micro). J’écoute le son et je fais une impro bien débile : « C’est d’la bombe tusay… » Rien d’écrit. Je teste les vibes, genre « wi hou », je l’envoie à Robin et il me dit que je fais n’importe quoi. Et au final, je retombe dessus et je me dis : « Je suis sûr que tout le monde va tomber dans le panneau, ils vont tous kiffer ça, ça va être la foire au jambon, et ça va détendre un peu l’atmosphère. » Et au final, Robin me dit : « Viens, je la démonte ». À partir du mp3, il a rajouté tout ce qu’il pouvait : gauche, droite, oreille, son qui se casse, glitch. Bref, bien golri. Faut être à la coule, le monde est trop sérieux.

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Tu as toujours aimé singer et aimé parodier les rappeurs actuels…

On est tous la parodie de nous-mêmes.

…Comme si tu avais écouté tout le rap actuel et que tu voulais jouer avec lui ?

C’est pas vraiment jouer. Peut-être que quand j’étais plus jeune, j’aimais jouer, me mettre en concurrence… mais si je peux te faire une confidence, je ne suis en concurrence avec personne et j’en ai rien à branler du rap et des considérations des rappeurs. Par contre, j’ai toujours écouté beaucoup de musique, et je suis un amoureux du flow : j’ai appris à rapper sur tous les bpm. C’est pas avec les rappeurs d’ici que j’ai appris. Ce flow qu’ils font tous, c’est marrant, mais quand toi, tu viens du grime, c’est pas la même donne. Quand on te file de la trap, tu arrives avec ton truc et tu les casses en douze fois, parce que tu sais le faire, parce que tu t’es ouvert. Je regarde ce qui se fait par curiosité, pour ne pas être has been. Mais quand tu écoutes bien l’album, il n’y a aucun morceau avec le même flow, le même ton, la même manière de doser. Cette fois, j’ai pas essayé d’en faire un étalage, et j’ai allégé la technique pour privilégier le sens.

En 2012, à l’occasion d’une interview chez nous, tu déclarais : « À l’heure actuelle, l’artiste rapporte plus aux journalistes que l’inverse ». Ton discours a-t-il évolué depuis ?

L’histoire de Sans Titre 7, c’est un peu chelou, les proportions que ça prend. J’en suis super content. Et ça sera aussi grâce aux médias. C’est aussi pour ça que je joue le jeu. Ce qui n’a pas bougé, c’est que les médias veulent toujours l’information en premier. Si tu as cette information en premier, tu génères le flux de l’artiste. Et aujourd’hui, le média récupère tout ce flux. Alors qu’à la base les médias devaient nous faire découvrir les artistes. Et puis, beaucoup de journalistes parlent de ce qu’ils ne connaissent pas, comme Olivier Cachin dans le documentaire Un jour peut-être. Il n’a jamais suivi notre boulot mais il aime parler de nous. Cette manière d’être consensuel, c’était aussi ça le journaliste musical. Par contre, il y a une nouvelle génération de keumés qui arrivent là et ben pfffou, les questions sont pertinentes.

C’est l’école du web ?

Ouais mais alors l’école du web qu’on avait avant, c’était de l’appauvrissement de cerveau.

Le web s’est éduqué ?

Ouais, on commence à bien nous expliquer les choses. Il est là le changement. Et je suis honoré d’avoir des retours de ces gens-là sur ma musique.

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Tu vois de vrais changements avec ce disque comparé aux précédents ?

Ben, avant, sur quarante article, il y en avait trois intéressants, maintenant, il y en a vingt. Ça fait plaisir.

Les rappeurs t’ont souvent pris pour un mec bizarre ?

Un mec de 39 piges qui à chaque fois a sorti un disque qui a vendu plus que le précédent, c’est encourageant. On m’a souvent pris pour un fou. Il y a toujours cette sorte de racisme pour les musiques trop spé. Sauf que quand tu me mettais sur scène, je remplissais ma salle, j’étais comme eux. T’en connais beaucoup des rappeurs qui sortent un album à 39 ans que tout le monde kiffe alors qu’il se barre dans tous les sens ? Et je ne dis pas ça avec une once de prétention.

A tes vingt ans, il y en avait beaucoup qui auraient mis un billet sur toi ?

Non, pas beaucoup. Et surtout il y en a aujourd’hui que ça ne doit pas arranger ce succès inattendu. Et ça, c’est parce que mon disque, c’est une ode à l’ouverture d’esprit.

7

Grems sera en concert au Badaboum, le 18 avril à Paris. V’nez donc.

Crédits photo : KatyParis

Crédits photo sur fond noir avec les lunettes de soleil : Michel Vladimyr Vamp

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