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Rone : « Mes morceaux sont des créatures qui prennent vie et qui m’échappent »

Après un succès dépassant les frontières de la musique électronique et de la France, Rone revient avec son nouveau disque, Creatures. Un album peuplé de petits démons, d’angoisses et de nouvelles têtes, parmi lesquelles on compte le guitariste de The National, le leader de Frànçois and The Atlas Mountains, un trompettiste japonais, une chanteuse québécoise et quelques uns de ses potes logés sur le label Infiné. Avant la sortie du disque (09/02), on a tapé la tchatche avec lui.

La gueule de bois d’après le succès de ton dernier album Tohu Bohu n’était pas trop violente ?

C’est pas vraiment une gueule de bois parce que tout s’enchaîne sans arrêt. A un moment, j’ai dû dire aux gens qui m’entouraient, ma famille, mon manager, mon label, que j’avais besoin de 3 mois. Pas pour des vacances, mais pour me retrouver en studio, et faire un nouvel album. Donc, une gueule de bois permanente. Ou alors, plein de petites gueules de bois après les concerts.

Tu n’as eu aucun temps mort entre ton dernier concert de Tohu Bohu et le début de la composition du nouveau disque Creatures ?

Si, quand même. J’avais prévu de n’accepter aucun projet avant mon album, pile au moment où il arrivait des propositions super intéressantes, donc c’était assez dur. J’ai appris à dire non, parce qu’avant je disais oui à tout. Le seul truc sur lequel j’ai craqué, c’était la proposition d’Etienne Daho de remixer « En Surface ».

Tu as déménagé pour composer. Niveau inspiration, Dreux, c’est tout comme Berlin ?

Ouais, Berlin-Dreux… Dreux : c’est là que ça se passe (Rires). Ça aurait pu être à Mareil-sur-Mauldre ou à Garancières – La Queue, hein. Je savais que ce serait provisoire, que je n’y passerai pas ma vie. Mais c’était propice d’avoir une grande maison pour installer mon studio, ma copine Liliwood faisait les visuels, ma petite fille venait de naître. Là, je suis déjà parti me rapprocher un peu de Paris.

Creatures est-il conçu comme une suite de singles ou un album cohérent ? Comment as-tu pensé le son de ce disque ?

J’ai pas vraiment pensé l’album, c’est ma manière de travailler. Je le disais déjà pour Tohu Bohu, mais c’est de plus en plus vrai. J’ai un petit carnet dans lequel j’ai des idées, très vagues, en laissant une place au possible. J’avais très envie de travailler avec des sons organiques, donc des voix, des instruments acoustiques, beaucoup de prises de son, pour que ça ne soit pas trop électronique. Je voulais que les sons électroniques ressemblent à des sons organiques et que les sons acoustiques soient modulées par des plugs électro.

Tu t’es entouré d’une tripotée de musiciens, tu peux me raconter chacune de leurs implications ?

Parenthèse collaboration ouverte

Toshinori Kondo

Toshinori KondoToshinori Kondo – © Kirill Polonsky

On m’avait offert un très bon whisky japonais et j’ai fait le morceau « Acid reflux » sous cette influence. Il avait un côté très vaporeux. Et dans mes vapes, je me suis persuadé qu’il faudrait une trompette, un peu en mode sourdine. Dans ma tête, ça sonnait Miles Davis des 70s. Là, Warp et Infiné m’ont aidé. Alex [Cazac / boss d’Infiné / NDLR] m’a envoyé une vidéo YouTube de Kondo. C’est une coïncidence que ce soit un Japonais. J’ai ensuite réalisé que ce mec de 60 ans avait joué sur une prod de DJ Krush [Hideaki Ishi, un autre Japonais présent sur la scène abstract hip-hop / écouter cet album génial du duo ici / NDLR] qui était culte quand j’avais 15 ans, je l’écoutais en boucle. C’était une espèce de dub. Quand je lui ai dit que j’avais une proposition, il m’a demandé « des filles et de la drogue ? », donc c’était bien, il avait l’air rock ‘n roll.

Bryce Dessner : The National

Bryce DessnerBryce Dessner © Off TV

J’avais un concert à New-York et on a sympathisé. Déjà, The National est un groupe pour lequel j’ai beaucoup de respect. En plus de ça, Bryce a beaucoup de projets qui m’intéressent. Il a fait un disque barré avec Johnny Greenwood [de Radiohead, sur le disque St. Carolyne By The Sea / extrait ici / NDLR]. Dans The National, c’est le guitariste mais aussi une des têtes pensantes du groupe. On s’est revus à Berlin, où il finissait l’album du groupe, sur lequel j’ai un peu bossé, et on reste beaucoup en contact. Je lui ai donné carte blanche et il m’a rendu cette liberté en me montrant une tonne de démos de guitare dans lesquelles je pouvais piocher.

Sea Oleena

Sea OleenaSea Oleena © Jean-Michael Seminaro

Une chanteuse de Montréal que je connaissais pas [elle fait ça / NDLR]. Je me suis rendu compte que j’avais un album très masculin et que ça manquait de féminité. J’avais commencé un morceau « Sir Orfeo » avec un son façon guitare saturée, très rock. Warp et Infiné m’ont aidé à chercher. Il y avait des voix rock, d’autres soul, qui prenaient beaucoup d’espace, mais ça ne collait pas. Finalement je suis tombé sur la voix de Sea, très douce, qui contrastait avec la saturation.

Bachar Mar Khalife

Bachar Mar-Khalifé - Vladimir LutzBachar Mar-Khalifé © Lutz Vladimir

Voilà quelqu’un qui est déjà plus dans mon cercle proche [signé chez Infiné, il est aussi le frère de Rami, du groupe Aufgang, également chez Infiné / Il fait ça / NDLR]. Lui, c’est un multi-instrumentiste prodigieux, alors ça n’a pas été compliqué. On s’est retrouvés dans un studio rempli d’instruments. Avec la majorité des artistes, on a échangé les versions à distance. Là, tout était possible et le résultat est très riche.

Gaspard Claus

Gaspar ClausGaspar Claus (et même son papa Pedro Soler) © Marion Lefebvre

C’est devenu un rite (Rires). C’est mon vieux pote et il sera sûrement sur le prochain album. Le titre sur lequel on a bossé ensemble est vraiment le plus dark. [Leur dernière collaboration sur Tohu Bohu s’écoute ici / NDLR].

Francois Marry : Francois and The Atlas Mountains

François MarryFrançois Marry © Mathieu Demy

J’avais un concert à Bordeaux et il est venu me voir à la fin. Je découvrais qu’il jouait dans Frànçois & the Atlas Mountains [ce groupe français qui fait ça / NDLR]. On a discuté et bu des coups. Et le lendemain, je crois, il m’a envoyé un message pour me dire qu’en sortant du concert il m’avait écrit un texte « Quitter la ville » avec quelques mélodies. C’était parfait.

Parenthèse collaboration fermée

Les voix en français dans ta musique, c’est ton nouveau dada ?

C’est vrai que j’ai depuis longtemps le fantasme de faire une chanson. Aller au bout de l’idée, c’était de faire une chanson en français. C’est un hasard d’avoir collaboré avec Etienne Daho et François Marry à la même période. Mais, c’est marrant d’en parler parce que quand j’ai fait ma tournée américaine, je suis parti avec plein de disques d’un seul artiste : Bashung. Je redécouvrais Bashung que je ne connaissais pas très bien. Il a fallu que j’aille aux Etats-Unis pour l’écouter. Je me suis tapé toute sa discographie. Et Daho, j’étais en train d’écouter son album quand il m’a appelé. C’était assez beau, d’autant que j’ai bossé sur le morceau qui m’a le plus touché.

Quelles sont toutes ces créatures qui habitent ton esprit ?

Quand j’ai commencé, Liliwood, faisait l’artwork. On cherchait l’univers graphique, celui du disque. On était un peu perdus. Et, sur un accident, un imprévu sonore, j’ai dit à Lili qu’il y avait sûrement des créatures dans les machines. On s’est marrés en essayant de les imaginer et c’est parti de là, de les mettre en forme, en son, en images. Ensuite, le sens est venu. Mes morceaux sont des créatures qui prennent vie en studio et qui m’échappent. Mes créatures sont des créations. Après, je suis allé plus loin dans ma tête, en revoyant les dessins de Lili qu’elle a fait sans réfléchir. Les petites créatures dans le reflet de mes lunettes : ça me renvoie à quand je suis en concert. Il y a une foule de petites créatures devant moi. Ensuite, ça me renvoie à mes démons intérieurs, mes angoisses que je traduis en musique.

En terme de chaud / froid, où se situerait Creatures par rapport à tes anciens albums ?

C’est l’album le plus contrasté. Il y a autant de passages glaciaux comme « Freaks » [avec Gaspar Claus / NDLR] où je me suis un peu effrayé moi même avec un gimmick malsain assumé. Et puis, à l’inverse, « Calice Texas », on entend la voix de Bachar Mar Khalifé, la voix de ma fille, beaucoup d’instruments, un son très organique, chaud. Finalement, ça doit être tiède (rires), un mélange très chaud / très froid, mais j’avais envie qu’il y ait beaucoup de contrastes, beaucoup de reliefs, qu’on passe par plein d’ambiances différentes.

Tu as toujours du mal à finir tes morceaux ? Je sais que ça a été une hantise chez toi, par le passé.

Maintenant, c’est plus facile. Justement grâce aux concerts où j’ai trouvé des endroits pour réinterpréter mes morceaux. Du coup, en studio, je suis plus rapide. Je me dis « c’est une version, il y en aura d’autres en live ».

Justement, quelle tête aura le nouveau live de Rone ?

J’aimerais vraiment donner vie à l’album en live, réinventer mes morceaux sur scène, contrairement à ce que j’ai fait avec Tohu Bohu où je m’éloignais parfois beaucoup trop de la composition initiale. Encore une histoire de créatures qui prennent une nouvelle forme. Je rejouerai aussi des morceaux de mes vieux albums, forcément.

Tu aimerais avoir ton propre groupe ?

Oui, mais alors pas tout le temps. Le concept me plaît ponctuellement. Pour la fin de l’année, en France, on travaille sur une grosse date en essayant de faire venir tous les musiciens qui ont collaboré au disque, avec une scénographie, des lumières. Mais j’adore être tout seul et j’ai besoin d’être régulièrement uniquement à l’arrache avec ma petite valise, très peu de matos. Former un groupe ne m’intéresserait pas. Ou bien essayer un side project avec une ou deux personnes, sur un temps un peu court, pour changer. Autant je suis fidèle en amour, autant j’aime changer de partenaire en musique.

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