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Peter Hook : « Peu de gens savent écrire des chansons, Dieu merci je suis l’un d’entre eux »

Après avoir créé deux des groupes les plus influents de l’histoire de la musique contemporaine, Joy Division et New Order, ce bassiste de légende a décidé de quitter ses anciens amis avec pertes et fracas en 2007. Entre ses livres incendiaires et le procès qu’il a intenté pour récupérer sa part du gâteau, il a tout de même trouvé le temps de remonter sur scène avec son nouveau groupe The Light pour faire honneur aux répertoires mythiques. On a eu la chance de pouvoir revenir avec lui sur une partie de son histoire, et de leur histoire.

Que ressentez-vous lorsque vous voyez tous ces jeunes qui ont découvert les albums de Joy Division et New Order 20 ans ou 30 ans après leurs sorties, et qui maintenant portent des t-shirts Unknown Pleasure ?

C’est toujours un énorme compliment de savoir que notre musique a traversé les générations. Quand j’ai commencé à jouer de nouveau avec The Light, je pensais que les salles seraient remplies de vieilles personnes comme moi, mais c’était merveilleux de voir tant de jeunes. C’est fou de voir à quel point Joy Division attire encore autant. C’est assez étrange d’être un vieux musicien de 60 ans et de jouer pour des jeunes de 20 ans aujourd’hui, parce que quand on a écrit Unknown Pleasures nous-mêmes avions 20 ans. Parfois j’oublie que moi-même j’ai eu 20 ans.

Vous étiez tous les quatre des autodidactes, avez-vous l’impression que ça a déterminé votre approche de la musique ?

Ça nous a permis d’être totalement libres, on n’avait pas à suivre les règles puisqu’on ne les connaissait pas, on faisait ce qu’on aimait, et ça suffisait. Ça collait parfaitement à l’esthétique punk. Et quand un producteur venait nous voir et nous disait : « Vous ne pouvez pas faire ça, vous ne pouvez pas mettre un Si et un Fa ensemble« , nous on se disait : « C’est quoi Si et Fa ? » (rires) On ne comprenait pas de quoi il parlait. Pour nous, être autodidactes, ça a marché mais ça ne marche pas pour tout le monde.

A propos d’Unknown Pleasures vous avez dit : « Quand l’album est sorti je ne l’aimais pas. Je n’aimais pas la production, c’était trop sombre, trop raffiné, trop clinique. L’atmosphère punk de nos répétitions et de nos concerts n’était plus là. » Quand avez-vous changé d’avis sur cet album ? 

Après la mort de Ian je n’ai jamais réécouté en profondeur Unknown Pleasures jusqu’au moment où j’ai voulu lui rendre hommage en 2010. À l’époque où l’album est sorti je préférais vraiment la façon dont on le jouait en live, je me disais que le disque n’était pas assez rock, je voulais que ça sonne comme les Sex Pistols ou les Clash et non pas comme ce que voulait faire Martin Hannett [producteur d’Unknown Pleasures, connu comme l’inventeur du « son Joy Division », ndlr]. Mais en me replongeant dedans 30 ans plus tard, je me suis rendu compte que j’avais eu tort et que Martin Hannett avait raison, et heureusement qu’on n’avait pas suivi mon idée.

Joy Division – Unknown Pleasures (1979) Album intégral

Pour finir sur Joy Division, aviez-vous conscience de la souffrance de Ian ?

Nous savions qu’il était malade et on faisait de notre mieux pour l’aider, on ne pouvait pas faire grand chose à cette époque. A 20 ans on ne comprend pas tout, et on s’en rend compte en grandissant. Ian était tellement passionné par le groupe, il était si ambitieux et déterminé qu’il nous cachait cette souffrance, il ne voulait pas qu’on sache à quel point il était mal. Après avoir lu les paroles qu’il écrivait lorsqu’on lui demandait s’il allait bien il répondait toujours qu’il allait bien et il faisait comme s’il était heureux pour qu’on ne s’inquiète pas pour lui, et ça marchait.

Selon vous, est-ce que l’impulsion donnée par Joy Division s’est ensuite concrétisée dans New Order ou vouliez-vous marquer une certaine rupture ?

Il y a une véritable continuité. Un morceau comme « Blue Monday » aurait existé quoi qu’il arrive, et avoir la voix de Ian sur ce morceau aurait été merveilleux. Bien sûr notre dynamique d’écriture a changé après la mort de Ian, nous étions très différents de Ian donc quand nous avons commencé à écrire les nouveaux morceaux et les nouvelles paroles ensemble je pense qu’on a fait ressortir quelque chose de plus lumineux que ce que Ian aurait écrit. Ian était très intense et sombre, et nous trois l’étions moins… Donc aux débuts de New Order, il a fallu s’habituer à une nouvelle façon de travailler, et ce n’était pas facile. On a aussi mis longtemps à retrouver confiance en nous.

Aujourd’hui, parfois, les jeunes vous découvrent même dans des sets de techno ou de house, ça vous plaît cette idée d’être inclus dans cette dynamique ?

New Order était vraiment pro-actif dans la révolution technologique qui a commencé au début des années 1980, où les séquences et les synthétiseurs se sont répandus. Bernard et Steven se sont vraiment lancés à fond dans ce mouvement, et moi j’étais beaucoup plus réticent, je ne voulais pas laisser notre identité rock s’en aller. Donc finalement on en est venus à mélanger le rock et l’électronique. On a été un des premiers groupes à utiliser ce type de technologie dans notre musique. Et quand tu écoutes la musique aujourd’hui, ça n’a pas tant changé que ça depuis les années 80, donc ça ne m’étonne pas tant que ça que New Order soit encore joué, même en club. Énormément de groupes rocks citent Joy Division dans leurs influences et énormément d’artistes de musique électroniques citent New Order. Et évidemment j’en suis très fier.

New Order – Blue Monday

 

Pendant vos années New Order, vous êtes tombés dans toute sorte d’abus et d’addictions. Musicalement parlant, New Order aurait-il été New Order sans toutes ces drogues ? 

Honnêtement oui parce que la plupart de nos morceaux ont été écrits lorsque nous étions sobres. C’est un cliché du rock qui veut que les musiciens écrivent lorsqu’ils sont défoncés, mais ce n’est pas vrai. Quand tu es ivre ou disons distrait, ça ne fonctionne plus. Aucun musicien ne vous dira que c’est la drogue qui fait de bons albums, à moins qu’il soit idiot.

Kevin Parker de Tame Impala a dit qu’écouter les Bee Gees après avoir pris des champignons hallucinogènes l’avait inspiré pour son dernier album…

Et bien c’est un idiot, tu lui diras de ma part.

Vous avez également dit : « De nos jours tout peut être corrigé par ordinateur« , et avez conclu que ça menait à une uniformisation de la musique. Vous pensez que l’Âge d’or de la musique est terminé ? 

Non je ne pense pas ça, mais à notre époque on écrivait un morceau, il nous plaisait, on l’enregistrait et on le sortait. Maintenant les artistes veulent tout retoucher encore et encore, et à force de faire cela ils perdent la touche de folie et l’immédiateté de la création artistique. Maintenant tu peux tout faire par ordinateur, ça permet de faire plein de nouvelles choses mais je ne pense pas que ça mène à de meilleures musiques.

Les ordinateurs permettent aussi de créer de nouveaux sons, et donc de diversifier notre approche de la musique non ?

C’est vrai mais les gens qui écrivent de la musique avec une guitare et leur voix sont différents de ceux qui font de la musique avec un ordinateur. Finalement très peu de gens savent écrire des chansons. Beaucoup de gens peuvent jouer d’un instrument, beaucoup peuvent faire de la musique par ordinateur, mais il y a très peu de bons auteurs-compositeurs. Et dieu merci je suis l’un d’entre eux. (rires)

Depuis que vous avez quitté New Order, avez-vous produit des morceaux pour d’autres artistes et sinon avez-vous envie de le faire ?

Je ne compose pas pour les autres, mais j’ai participé à des albums pour le groupe français The Limiñanas qui a bien fonctionné, j’ai aussi travaillé avec mon ami Rusty Egan des Rich Kids, ou avec Wolfgang Flür de Kraftwerk. J’ai quelques projets mais je n’aime pas écrire tout seul et je n’ai plus personne avec qui composer. Pauvre de moi. Je me cantonne donc à quelques apparitions sur les albums des autres, ce qui est sympa après tout.

Donc vous ne voulez pas faire de nouveaux morceaux pour un projet personnel ?

Non ce n’est pas à l’ordre du jour. Mais à vrai dire, les morceaux que je joue maintenant avec The Light sont tous des morceaux de Joy Division et de New Order, et certains d’entre eux n’avaient pas été joués depuis 30 ans donc pour moi ce sont presque des nouveaux morceaux. Je suis si heureux de les ramener à la vie et d’être capable de les jouer et de montrer qu’ils sont toujours modernes et intéressants. Je ne me suis pas du tout dit : « Oh j’en ai marre de toutes ces vieilles chansons, il faut vraiment que j’en crée de nouvelles« , c’était plutôt quelque chose du style : « Mais pourquoi devrais-je composer de nouveau alors que ces vieux morceaux sont si bons ! » C’était très frustrant pour moi quand je jouais encore avec New Order de jouer toujours les mêmes morceaux en ignorant tous les autres. Et je suis ravi de voir qu’ils continuent à jouer ces mêmes morceaux depuis mon départ, c’est très étrange quand même non ? Donc je suis content d’être sorti de ça.

Avec The Light vous êtes maintenant le leader, ça vous plaît ?

Je me suis habitué mais c’était assez difficile au début, surtout lorsque je devais reprendre les paroles de Ian, c’était très intense. Reprendre après Bernard Sumner c’est beaucoup plus facile, il n’a pas la gravité qu’avait Ian, tout le monde sera d’accord là dessus. Ça m’a pris 6-9 mois pour vraiment prendre du plaisir parce qu’au début je voulais continuer à jouer de la basse mais je n’ai pas réussi à trouver de chanteur car ils avaient tous peur de reprendre le rôle de Ian, donc finalement je m’y suis collé et mon fils joue la basse que je jouais. Il est vraiment très bon, il m’impressionne, il joue aussi avec les Smashing Pumpkins. C’était une grosse décision à prendre et une transition difficile mais maintenant je prends beaucoup de plaisir.

Venons maintenant à votre livre et à vos anciens amis de New Order et Joy Division. Quand vous parlez de Joy Division, vous dites : « C’était l’esthétique punk, l’éthique du Do It Yourself, contre l’exaltation de l’ego. » Pourtant, aujourd’hui de nombreux fans peuvent avoir l’impression que tout ceci est justement devenu une guerre d’egos et d’avocats. Vous n’avez pas l’impression de trahir l’idéal de Joy Division ? 

L’idée du punk était très intéressante mais il ne faut pas oublier que la première intention du mouvement était de se débarrasser de tous les vieux artistes donc maintenant que je suis un vieil artiste je me dis qu’heureusement qu’on n’a pas réussi cette mission. J’ai beaucoup chance de faire un métier que j’adore, c’était une vocation mais quand tu analyses ultimement tout cela, ce n’est qu’une question de survie, et tous les gens qui t’entourent ne pensent qu’à l’argent donc il faut faire très attention à ce qu’on fait. J’ai fait ce livre pour dire la vérité sur New Order parce que je n’avais pas l’impression que le livre de Bernard Sumner disait la vérité. Il fallait donc que je la raconte moi-même. L’histoire de Joy Division est extraordinaire, l’histoire de l’Hacienda aussi et il est certain que si les anciens de New Order n’étaient pas devenus mes ennemis jurés je n’aurai pas écrit mon dernier livre.

Dans une interview vous avez dit : « Je suis un businessman« , doit-on comprendre que la musique n’est rien d’autre qu’un business ?

En tant que compositeur au début tu n’as pas de musique, il faut alors faire jouer la magie. En quelque sorte la musique vient de Dieu, c’est une vocation très étrange. Mais une fois que tu as écrit le morceau, tu dois le travailler, et aussi le marketer, pour que tu puisses ensuite le jouer et gagner de l’argent pour survivre et faire vivre ta famille, donc à ce moment là tu deviens un businessman. Si tu cherches sur Google : « mauvais businessman« , tu vas te rendre compte que la plupart d’entre eux sont des musiciens. Beaucoup ont été escroqués par des agents, des managers, ou par les autres membres de leur groupe. C’est ce qui m’arrive aujourd’hui parce que la façon dont les autres membres me traitent est dégoûtante. À partir d’un moment il faut être réaliste. C’est très facile en tant qu’artiste d’être totalement coupé des réalités, il faut faire attention. Donc j’espère que mon livre montre aux gens comment rester réaliste. Il n’y a rien de pire – et c’est arrivé à de nombreux artistes – que de se réveiller après des années de gloire au moment où ils ont besoin de leur argent et qu’il a disparu. C’est un business très étrange mais très excitant et très satisfaisant. Et pour être honnête avec toi, je suis très bon dans ce domaine.

Peter Hook & The Light sera en concert samedi 28 janvier à L’Aéronef de Lille. Lien de l’événement.

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