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Périple en haute mer à la Route du Rock

Sous une pluie battante et face aux vents hurlants, les organisateurs du festival continuent de lever les voiles depuis bientôt trente ans. Avec un cap qui n’a jamais changé : celui du rock, de l’indépendance et de la liberté. Carnet de bord 2019.

Le temps est mauvais sur Saint-Malo. Il pleut. L’eau glisse sur les cirés jaunes, blancs et bleus, elle écrase les cheveux sur les crânes brûlants et imbibe les chaussettes. Elle gorge la terre qui la recrache en flaques de boue brunâtres et visqueuses sur lesquelles glissent des milliers de paires de bottes en caoutchouc.

Le temps est mauvais sur Saint-Malo. Comme une allégorie de l’industrie musicale, dont le ciel s’est couvert il y a bien longtemps déjà. L’obscurité a tout envahi mais il fait plus sombre encore sur le rock — que l’on donnait déjà pour mort « dans les années 1960 », comme le faisait justement remarquer Alban Coutoux, directeur artistique de la Route du Rock, dans une interview à Tsugi.

La temps est mauvais sur Saint-Malo mais François Floret, directeur du festival, refuse de passer pour la « pleureuse de service ». Il y aurait presque de quoi pourtant : « le festival souffre de la double peine : comme tout le monde, nous sommes frappés par l’explosion des cachets et des coûts de sécurité, explique le directeur de l’évènement pendant la conférence de presse bilan. Mais notre identité nous interdit aussi de tomber dans la facilité en accueillant des squatteurs de festivals, par exemple. »

Le temps est mauvais sur Saint-Malo mais les organisateurs de la Route du Rock continuent de lever les voiles, face au vent, depuis bientôt trente ans. Avec un cap qui n’a jamais changé : celui du rock, de l’indépendance et de la liberté. Cette année, 21.500 personnes ont embarqué à bord du frêle esquif qui, tel le Hollandais volant, surgit des profondeurs pour éclairer le monde de sa lumière noire.

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Photo : Mathieu Foucher

To the happy few

21.500 happy few qui ont sans aucun doute assisté à l’une des plus belles soirées du festival en ouverture de cette édition — selon les mots de François Floret lui-même qui, en vingt-neuf ans de capitainerie, à tout de même accueilli les Cure, The Jesus And Mary Chain, Portishead, My Bloody Valentine ou Aphex Twin (pour n’en citer que quelques uns).

Jugez plutôt : Pond, Fontaines DC, Idles, Stereolab, Tame Impala, Black Midi, Jon Hopkins et Lena Willikens. Pas une minute de répit et un line-up à faire baver n’importe quel adorateur de Pitchfork. Un tour de force permis par le choix des organisateurs de faire débuter le festival dès le jeudi soir. Et voilà comment, dans leur petite épuisette, ils sont parvenus à attirer le plus grand groupe pop de sa génération : Tame Impala — qui jouait, à la Route du Rock, dans le plus petit festival d’une tournée gargantuesque.

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Idles © Nicolas Joubard

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Tame Impala © Nicolas Joubard

Le groupe australien était déjà venu remuer les entrailles du fort de Saint-Père en 2013, il y a 6 ans. Depuis, il a gagné en assurance autant qu’en popularité. Et son live est spectaculaire : des motifs psychédéliques dansent sur des rythmes pachydermiques. Projetés par d’immenses canons, des centaines de confettis volettent dans l’obscurité transpercée par des lasers roses et jaunes. Ils achèvent leur course incertaine dans les gobelets à moitié vide d’une horde d’hystériques.

Kevin Parker a le sourire. Son éternelle Rickenbaker sanglée autour des épaules, il applaudit la foule et la fait frapper dans ses milliers de mains. Entre deux tubes (de « Let It Happen » à « Elephant » en passant par l’unreleased « Sestri Levante », tout y est), il s’adresse à elle comme à une vieille amie. « Je ne sais pas ce qu’il y a avec la France, mais il y a quelque chose… Quelque part, je suis Français aussi », clame celui qui a été, pour un temps, le compagnon de Melody Prochet (Melody’s Echo Chamber).

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Tame Impala © Nicolas Joubard

« Le meilleur public du monde » ?

Le leader de Tame Impala n’est pas le seul à saluer le public de la Route du Rock. Son acolyte de toujours, le très androgyne Nick Allbrook (de Pond), n’avait pas eu de mots assez élogieux, quelques heures plus tôt, pour remercier la foule. Deux jours plus tard, ce sera au tour de Joseph Mount — qui a pourtant écumé à peu près tous les festivals du monde — de rendre hommage au « meilleur public qu’(il) ait jamais eu ».

Un spectateur note que le chanteur de Metronomy « dit ça à chaque fois ». Peut-être bien. N’empêche que le public de La Route du Rock est, sans aucun doute, un excellent public. On avait déjà souligné l’an passé à quel point il est éloigné de l’image frigide et impassible qu’il peut parfois renvoyer.

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Metronomy © Nicolas Joubard

Alors certes, on a vu des dizaines de rockers fuir les prestations électroniques de Jon Hopkins, Paula Temple ou Silent Servant pour se réfugier au camping et continuer à s’abreuver des guitares furieuses de Fontaines DC ou Crows. Après avoir soulevé des nuages de poussière devant les quatre acharnés d’Idles qui, concert après concert, s’affirme comme l’un des tous meilleurs groupes de rock de la planète.

De révélations en confirmations

Mais on en a aussi vu prendre leur pied face à ces DJ à qui les programmateurs avaient confié la lourde tâche de mener la foule à bon port au terme de soirées agitées. Dans l’interview déjà citée, Alban Coutoux insistait d’ailleurs sur « l’alliage rock indé/dance music », parfaitement incarné par un artiste comme Silent Servant. Tout dernier capitaine d’un navire tourmenté par une pluie diluvienne, le DJ — fan de Sonic Youth ou Cabaret Voltaire — a livré un set apocalyptique devant une poignée de matelots résolus. Terminus d’une croisière de trois jours, au cours desquels la Route du Rock aura vogué de révélations en confirmations.

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De la magnifique étrangeté de Stereolab, dont les rythmes puisés un peu partout créent une musique unique, fondamentalement neuve et actuelle ; à l’éblouissante jeunesse de Black Midi et à ses incessants changements de rythme, orchestrés par un batteur à la frappe diabolique. De la féérie ondoyante d’Altin Gün, dont le concert — magnifiquement capté par Arte Concert — aura assurément été l’un des plus mémorables de cette édition ; à la folie maîtrisée de Crack Cloud, collectif de sept musiciens (dont quatre guitaristes) inspirés par Talking Heads, Gang Of Four ou Blondie. De l’étonnante virtuosité de Pottery, qui, avec son post-punk enjoué, fait figure de révélation du festival à la réjouissante énergie de Deerhunter, emmené par son chanteur, Bradford Cox (pourtant moins réputé pour son sourire que pour ses imprévisibles coups de gueule), en grande forme, qui finit par enfiler un ciré jaune de circonstance.

Parce qu’à la Route du Rock, « on est tous dans le même bateau ».

Crédits photo en une : magali r.

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1 commentaire

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Lauréou 02.09.2019

Très bel article, qui relate parfaitement les magnifiques concerts auxquels nous avons eu droit, et la qualité artistique qui était plus qu’au rendez-vous cet année. Mais pour être tout a fait exhaustif, peut-être aurait-il fallu aborder le manque cruel d’infrastructures pour accueillir dignement tous ces festivaliers ?!

Très peu d’offre food (plus d’1h30 de queue pour pouvoir manger), tellement peu de toilettes que la foule était obligée de pisser dans tous les coins, à tel point que le festival avait une odeur de toilettes géantes, et l’on se demandait si les flaques au sol était dues à la pluie.
Même rengaine pour les bars, et pour les infrastructures du camping (notamment le fait d’avoir 1 bar + 2 offres resto pour TOUT le camping, ce qui fait qu’il fallait se lever de bonne heure le matin pour espérer obtenir un café en moins de 45 minutes). Les navettes pour aller à Saint Malo était tellement rares que l’on devait attendre, attendre, attendre. Toujours et encore.
Alors l’esprit Rock oui, mais quand on paye 45€ la place, on attend un minimum de prestations. Surtout lorsqu’il s’agit d’un festival aussi renommé que la Route du Rock !

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