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Paradis : « Le lâcher prise existe ailleurs que dans la fête »

Après avoir grandi dans le mystère avec quelques morceaux lancés par-ci par-là, le duo parisien Paradis accepte enfin le feu des projecteurs et se lance dans une série de lives pour défendre sur scène les morceaux de son premier album. À l’occasion de leur concert au Festival des Inrocks, Pierre et Simon nous ont chaleureusement accueillis dans leur loge pour évoquer leur univers, leur album, leur écriture, mais aussi leurs peurs et leur timidité.  

Vous faites la différence entre chanson française et chanson en français, pouvez-vous éclaircir un petit peu cette nuance ?

Pierre : Pour nous, la « Chanson française » est un genre de musique, alors que la chanson en français est une approche, c’est juste une qualification. On s’en fiche un peu à vrai dire mais, quitte à expliquer ce qu’on fait, on préfère dire que ce sont des chansons et qu’elles sont en français. On trouve que ça plus juste.

Vous aviez dit qu’au départ vous composiez plus des instrus, et que l’idée de chanter vous était venue plus tard. Pourtant aujourd’hui vous vous définissez comme un groupe de chanson, est-ce que ça veut dire que les instrus ne viennent pas forcément avant la chanson ?

Pierre : Pas vraiment, on reste encore beaucoup plus inspirés par la musique que par des thèmes de chanson. Très souvent, on commence par la musique mais on reste quand même très attachés à l’idée que tout cela aboutisse à une chanson.

Lorsqu’on entend parler de Paradis, on parle de vos influences issues de la chanson française, Daho par exemple, mais beaucoup moins de vos influences électroniques, de vos influences house, est-ce que vous pouvez nous en parler ?

Pierre : Quand on a commencé, on n’était pas spécialement influencés par la chanson française alors qu’on a toujours été très sensibles à la musique électronique. C’est fondateur pour nous, ce sur quoi on s’est rencontrés. Au début, on était fans de groupes comme Junior Boys ou du label Kompakt. Sur ce type de musique de musique électronique, des gens chantaient en allemand, en espagnol, en japonais. On avait juste l’impression de continuer dans cette filiation de gens qui chantent dans une langue qu’ils ont l’impression de maîtriser, sur de la musique électronique.

Vous considérez quand même la chanson française comme une de vos influences ?

Pierre : Pour l’exemple de Daho, on a été moins influencés par sa musique que par sa démarche. C’est quelqu’un qui a à peu près le même parcours que nous, il a écouté beaucoup de musique un peu partout, de la musique électronique, il n’a pas hésité à s’aventurer de ce coté-là, c’est très clair sur des morceaux comme « Idéal ». Donc c’est plus la continuité d’un esprit qu’une véritable influence musicale.

Vous avez fait beaucoup de DJ sets avant d’en venir au live que vous avez maintenant, on peut expliquer cela par un manque de confiance en vous ?

Simon : Oui c’est sûr, on avait peur. On ne savait pas faire.

Pierre : On n’y avait même pas pensé quand on a commencé.

Vous y êtes venus par nécessité ?

Simon : C’est venu d’une envie parce que ça fait partie de notre culture musicale de fête, de club, et notre live c’est vraiment le moment où notre musique sort du cadre de nos chambres, de nos studios. Le DJ set, c’était une autre approche. Quand on en fait, on joue quelques morceaux à nous, mais c’est toujours un peu timide parce qu’on a envie de montrer autre chose, c’est un peu étrange de les passer, d’entendre nos voix, et de ne pas être en train de les chanter.

Pierre : L’envie de faire du live est venue du fait de trouver ça un peu frustrant de jouer nos morceaux sans les interpréter.

Simon : Et puis on sentait que le public qui venait nous voir avait envie d’entendre nos morceaux. Donc ça vient de tout ça, mais c’est certain qu’il y avait une vraie envie d’aller défendre nos chansons en live.

Donc quand vous composiez l’album, vous ne pensiez pas à ce que ça pouvait donner en live ?

Simon : Pas du tout, c’est une bonne chose d’ailleurs parce que du coup on était libres de faire ce qui nous plaisait sans penser aux contraintes qu’allaient apporter le live.

Pierre : Ça a été très compliqué pour nous parce qu’on a commencé à concevoir le live avec les outils qu’on avait utilisés pour faire le disque alors qu’il fallait concevoir le live autour des chansons qu’on avait écrites. On a mis longtemps à arriver à cet état de fait, de prendre le live par le côté chanson plutôt que par le côté électronique, parce que c’est quelque chose qui nous a finalement permis d’être plus libres, plus dynamiques, plus impliqués.

Simon : Si on ne pense pas forcément aux conséquences en studio, c’est autre chose pour le live.

Pierre : Cette nouvelle approche faisait partie des choses qu’on devait apprendre. Il nous a fallu comprendre que quand tu crées un disque, tu crées un moment inamovible. Une fois figé sur le disque, ton morceau ne changera plus. Alors que pour le live, tu crées un moment qui ne se reproduira jamais et ça a été super difficile à accepter pour nous.

C’est un peu étrange parce qu’à première vue c’est plus effrayant de figer quelque chose pour toujours que de créer un moment éphémère.

Pierre : Tout à fait, ça a été une petite révolution dans nos têtes. Mais c’était super important pour nous de faire ce pas et le fait de s’être fait un peu violence là-dessus va vraiment enrichir le processus de création des disques.

Par la suite, vous penserez peut-être plus au live au moment de la composition…

Pierre : Oui, probablement. Sur le second disque, ça sera quelque chose qu’on aura plus à l’esprit. Même si la production d’un disque, c’est l’occasion de créer de la magie qui n’est pas faisable en vrai.

Simon : Ça serait dommage de se limiter à ce qui est réalisable en live.

Pierre : C’est le principal intérêt d’enregistrer des disques. Notre instrument, c’est le studio. Donc quand on se retrouve sur scène, on est des novices. On est en train d’apprendre alors que l’enregistrement, on a déjà pu se perfectionner.

À propos de l’écriture, vous écrivez tout à deux, « jusque dans les moindres détails », mais donc c’est qui le « je » dans vos chansons ?

Simon : C’est un « je / nous »…

Pierre : C’est Paradis.

C’est donc un « double je » ?

Simon : Oui c’est ça !

Pierre: Ça renforce un aspect très important pour nous : on aime qu’il y ait des portes secrètes dans nos morceaux, pour que chacun puisse avoir son interprétation. Par exemple, les gens voient dans « Garde le pour toi » une chanson d’amour, alors qu’on l’a écrite comme une chanson qui parle d’une rupture d’amitié. Notre écriture, c’est deux points de vue qui se rencontrent et qui essaient d’être un « je » commun.

Ça n’est pas trop dur de vouloir dire la même chose tous les deux ?

Simon : On ne dit pas la même chose justement, chacun y voit ce qu’il veut. L’écriture, c’est la chose la plus compliquée, ça vient assez tard dans l’écriture d’un morceau. On fait ça comme un puzzle. On joue avec les mots comme des sons.

Pierre : C’est l’exercice qui nous demande le plus d’efforts, mais c’est aussi le truc le plus fluide entre nous. Je ne crois pas qu’on se soit déjà disputés sur des textes, c’est plus sur la musique que ça arrive.

Simon : On essaie de raconter une histoire ensemble, il n’y a pas son histoire puis mon histoire.

Et comment ça se passe pour arriver à la version finale du morceau ?

Pierre : Souvent, on crée une base musicale qui peut être assez avancée, après on écrit le texte, on l’enregistre une première fois, on l’écoute avec la musique et parfois ça ne marche pas. Dans ces cas-là, on repense la musique. Ça arrive très souvent. Par exemple notre morceau « Miroir (Un) », c’est un morceau qui n’avait pas grand chose à voir au départ et qui est devenu cette espèce de ballade un peu lente par la suite.

Pour l’écriture, vous avez dit que vous n’aviez pas du tout une approche littéraire et que le but était simplement de faire sonner les mots les uns avec les autres. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Pierre : La littérature, c’est autre chose. Nous, on veut utiliser une voix, que cette voix serve à mettre en valeur de beaux mots, que ces beaux mots forment de belles phrases, et que ces phrases veuillent éventuellement dire quelque chose.

Mais est-ce que c’est pas ça finalement l’art pour l’art, la poésie du XIXe, le Parnasse, etc. Ça reste une approche littéraire, non ?

Pierre : Peut-être, mais en tout cas revendiquer une approche littéraire, ce serait une forme de posture pour nous. On prétendrait s’inscrire dans quelque chose.

Simon : On a de plus en plus envie de se diriger vers ça, on a envie que nos propos aient plus de sens et d’impact à terme. Un jour, on s’ancrera peut-être là-dedans mais ce n’était pas l’ambition de départ.

Vous avez souvent revendiqué l’influence de la fête, de la nuit, et pourtant vous en parlez très peu dans cet album. Il n’y a que dans « De semaine en semaine » que les paroles parlent clairement du laisser-aller et d’une sorte de débauche.

Simon : Ça a évolué dans nos vies. Au moment où on s’est rencontrés, on était plus jeunes, on sortait plus et on trouvait ça très inspirant. C’est pour ça qu’on a dit plusieurs fois que la fête était notre principale source d’inspiration. Depuis, ça a un peu évolué mais c’est toujours une importante source d’inspiration parce que c’est un moment très spécial quand tout le monde se rassemble.

Pierre : La fête incarnait pour nous une espèce de fantasme de lâcher prise, de laisser-aller et de recherche collective du bonheur ou d’échappatoire. C’était un truc qui nous séduisait beaucoup mais, avec le temps, on a réalisé que cette idée là existait dans beaucoup d’autres situations dans la vie et c’est pour ça que les thèmes se sont un peu diversifiés. Mais ça reste fondamental pour nous. Quand on fait de la musique, on la fait la nuit, parfois en réaction à la fête.

Vous aimez cultiver une sorte de mystère autour de vous. Comme on l’a dit, vous avez longtemps évité les lives, vous donnez assez peu d’interviews, sur les photos que vous postez on vous voit rarement, on vous aperçoit à peine dans vos clips, pourquoi cela ?

Simon : C’est en rapport avec nos personnalités. On n’est pas du genre à se mettre en avant dans la vie et ça reflète simplement ça. Mais on cherche pas non plus à se cacher, on n’a pas de masques. Le plus important, c’est la musique. Plein de fois on s’est retrouvés dos au mur en se disant « là maintenant il faut se montrer, qu’est-ce qu’on fait ? » (rires) Et c’est pour ça que l’approche du live était difficile. Quand on a commencé à sortir des disques sur Beats In Space, des journalistes nous contactaient mais on ne savait pas ce qu’on pourrait bien leur raconter, on faisait juste de la musique et on a refusé plein d’interviews.

Pierre : Le rédacteur en chef d’un grand magazine de musique nous avait envoyé une demande pour une interview et nous, tout simplement, on a dit « bah non on a rien d’intéressant à raconter » et il nous a dit « ça sera dommageable. » Il l’a super mal pris, mais bon maintenant on s’entend très bien donc ça va. (rires) A ce moment, beaucoup de gens pensaient qu’on était méga snob. Des chroniques disaient soit qu’on était snob soit coincés, et il y a probablement une part de vérité. On était surtout maladroits. Avec le temps, on a commencé à comprendre que ça allait être un peu compliqué de faire autrement.

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