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Palatine, voyages au bout de la nuit

L’été est là. Et avec lui son cortège de tubes pré-mâchés qui sentent le monoï frelaté et restent un peu sur l’estomac. La contre-proposition parfaite s’appelle Palatine. Jours sans soleil et nuits sans sommeil s’enchaînent implacablement sur leur premier album, « Grand paon de nuit ». Un objet sombre, onirique et carrément perché, parfois dérangeant et souvent envoûtant.

Une longue rêverie, une errance encore plus qu’un voyage, voilà à quoi nous invitent les membres du groupe parisien Palatine. Quatre garçons audacieux, inconscients peut-être, mais originaux et libres. Partout, dans ce disque, on entend leurs choix, on soupçonne leur indépendance, on devine leurs « et pourquoi pas ? ».

Manifestement, ces jeunes gens ont des lettres. Quand d’autres (qu’on ne nommera pas) ont perdu leur Bescherelle dans le déménagement, chez Palatine la langue prend le pouvoir. Les textes fouillés, tantôt frontaux tantôt abstraits, font penser à ces cousins français qui, eux non plus, n’ont pas peur des mots, de leur sens, de leur sensualité, et de leur puissance : Radio Elvis, Feu! Chatterton, Selim, et leur vénéré grand frère Alain Bashung. Tous, légende ou jeune pousse, ont osé explorer, dérouter, jeter les phrases comme autant de taches de peinture, de boue, de sang. Palatine est de ceux-là, et leur album est de ceux qui s’écoutent en roulant sur Mullholland Drive dans la nuit noire, qui vous pénètrent et vous inspirent images romantiques et cauchemars étouffants.

Musicalement, ce disque est impeccable. L’ombre mélancolique de Eels y plane et l’esprit de Nick Cave semble avoir été convoqué sur le bluesy « Golden Trinckets ». Mais, on ne peut pas s’empêcher d’y revenir, ce sont bien les mots qui nous ont attrapés. Des mots pour dire des relations anxiogènes, des ailleurs, des mystères, des nuits, des villes, des ombres. Des mots pour faire apparaître des créatures fantastiques, des phasmes, une femme-loup, et ce fameux grand paon de nuit, qui au passage, au cas où une trop bonne ambiance s’installerait, laisse partout où il passe une trace rouge sang. De rien.

Une luxuriance de mots portée par l’interprétation obsédante et hyper articulée du chanteur, Vincent Ehrhart Devay, qui incarne certains personnages d’une façon, avouons-le, assez gonflée.
Dans « Marions-nous », figurez-vous qu’il est la mariée. Une mariée un peu cynique, voire désabusée, qui envoie autant valser les clichés que son bouquet, mais qui invite sa moitié à « valser heureux sur un air macabre de Saint Saens », et lui laisse malgré tout au refrain « marions-nous, et nous rirons de tout » un semblant d’espoir d’être un peu plus léger à deux.

Ça se complique dans « Stockholm » (en référence au syndrome du même nom), où Vincent se fait cette fois cambrioleur sous le charme de sa victime. Ça part pas mal, mais on a à peine trempé un orteil dans le romantisme qu’il lui assène un moyennement glamour : « si tu trembles je te tire dans les jambes et te pousse à l’eau ». C’est pas très Charlie.

Noirceur et ambiguïté ultimes sont atteintes dans « Ecchymose ». Le titre à lui seul laisse déjà présager une belle joie de vivre. Et effectivement, on n’est pas déçu car au rayon relations bien toxiques, on monte d’un cran et Vincent entre dans la peau de « oui bonjour je tabasse ma femme ». Il lui conseille fortement de s’en aller, et fort joliment d’ailleurs. « Là où mes mains se posent poussent des ecchymoses ». « Il faut t’enfuir avant de garder sur ta peau des souvenirs ». On ne vous cache pas qu’on a ressenti un malaise certain, au départ, à l’écoute de ce titre. Parce que c’est juste ça, le discours poétique mais froid d’un homme violent. Sans contrepoint, sans positionnement. Aussi brut qu’il est brutal. A l’image finalement d’un album qui parvient à créer une ambiance paradoxale, enrobant les terreurs sourdes de verbes magnifiques, passant de scène en scène, observant sans parti-pris et nous laissant réfléchir, décider, démêler le fond de la forme. C’est ce qu’on a fait. Sans préjugé, sans procès d’intention. Cet article n’existerait pas si Palatine nous avait fait perdre de vue, sous un vernis de poésie, la frontière entre le fascinant et le dégueulasse.

Certaines œuvres sont faciles, d’autres moins. Ce sont souvent celles-ci qui nous construisent, parce qu’elles nous poussent dans nos retranchements et nos contradictions, parce qu’elles nous obligent à l’honnêteté.

Crédit photo : Amandine Lauriol

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