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On a pris le thé avec Radio Elvis

Si leur premier album, « Les conquêtes », paru en 2016, fleurait bon l’aventure et le voyage, le deuxième, « Ces garçons-là », sorti le 9 novembre dernier, annonce la couleur dès son titre et ne faillit pas à l’écoute : il parle d’eux. Ce qu’ils sont, plutôt que ce qu’ils font. Leur rapport aux autres, leurs transitions, leurs questionnements. Un choix pour être en phase avec eux-mêmes et se mettre un peu plus à nu. C’est donc dans la plus grande des cohérences que Pierre Guénard, parolier et chanteur, et Manu Ralambo, guitariste de Radio Elvis nous ont ouvert leurs petits cœurs devant une tasse de thé.

On a décidé de rester en terrasse. Fuck le matin, fuck décembre. Après tout, il y a 2 ans, les membres de Radio Elvis arpentaient les routes, escaladaient les pyramides, traversaient fleuves et ruines, faisaient les moissons…. le grand air, a priori, ne leur fait pas peur.

Et c’est cool de les revoir, au moment où ils passent avec classe le cap du toujours redouté deuxième album. Les conquêtes avait emballé les critiques, le public s’était précipité pour les voir sur scène et leur avait même offert avec « Les moissons » cet objet un peu rare aujourd’hui, un tube. « Ça nous a donné la confiance suffisante pour avancer, pour se poser moins de questions, et surtout pour se poser les bonnes questions. Ne pas rester où on était déjà, dans ce qu’on savait déjà faire, essayer d’aller au-delà. »

Allons donc un peu plus loin avec Ces garçons-là. Pierre Guénard, Manu Ralambo et Colin Russeil. Trois hommes qui essaient de comprendre, trois identités en construction, trois vies chamboulées par les gros titres. Plus que jamais ensemble, unis, eux les trois copains, différents et pareils. Dictés par l’époque, par la nécessité, par l’urgence, les textes de Pierre Guénard se font directs. Il est un homme de 30 ans qui écrit à l’heure du Bataclan et de la redéfinition voire la suppression des codes. Il a besoin d’être entendu, et plus que tout, d’être compris : « J’avais envie de raconter des histoires, c’était vraiment un défi que je m’étais fixé, je voulais que les textes soient assez imagés et cinématographiques, que l’histoire puisse être comprise à la première écoute. J’avais envie de raconter des choses un peu plus personnelles aussi, plus intimes. Sur le premier disque j’étais beaucoup dans la suggestion et l’association d’idées. Là je voulais essayer autre chose. C’est le but quand on fait un nouvel album, aller sur des terrains qu’on connaît moins, approfondir notre style et qui on est, essayer de trouver une vérité dans l’instant ».

Alors Pierre Guénard lâche un peu de lest, livre ses doutes, ses désillusions, ses amours, ses ruptures, ses manques, et pour la première fois, il dit « je ». Un « je », selon lui, bien plus rassembleur qu’égocentrique : « En disant « je », je passe un pacte avec le public, il voit que je me livre vraiment, que je lui fais confiance et donc il me fait confiance aussi. Ce « je » a vocation à être universel, c’est l’histoire de tout le monde, j’espère. Sur le premier disque, j’avais de la pudeur, j’avais beaucoup de mal à me livrer, peur d’être jugé. J’ai essayé de me débarrasser de ça, c’était un peu la quête sur ce deuxième disque, mais une quête de groupe aussi, d’être au plus proche de ce qu’on est sans avoir peur du regard des autres ».

Radio-Elvis©Fanny-Latour-Lambert-1700x700

A l’arrivée, les confessions intimes virent au sombre. « Tout finira toujours » (dans « Fini, fini, fini »), « plus rien n’est à espérer sinon la nuit » (dans « Prières perdues »), « je n’ai plus peur de mourir, y a-t-il seulement quelqu’un pour tomber avec moi ? » (dans « La sueur et le sang »). Ils regretteraient malgré tout qu’on les trouve déprimants, et ne sont définitivement pas dépressifs. « Je crois que si nos textes ne sont pas joyeux, c’est justement pour manifester notre joie de vivre. Quand on parle de la mort, on parle de rien d’autre que de la vie en fait. On n’est pas mélancolique quand on n’aime pas la vie, je crois. »

Les membres de Radio Elvis n’y coupent pas. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont rangés, parfois aussi par nous, on l’admet, dans le tiroir groupes de rock littéraire : « Tout ce qui nous fume est dans tout ce que nous fûmes » (dans « Ce qui nous fume »). L’album est plein de ces petites fulgurances, de ces acrobaties. Une sonorité gainsbourienne. Du panache. Du romantisme. Cette manière de dire, un peu, que le truc n’est pas de connaître plus de mots que les autres mais de les cuisiner sans vergogne, de les malmener avec amour.

Pierre Guénard est conscient de cette image, et sans s’en défendre il tient quand même à nuancer : « Le côté littéraire en fait c’est simplement pour dire qu’il y a du texte et que c’est en français. Mais en France il y a toujours eu du texte dans la musique. Bashung, Noir Désir… J’ai l’impression qu’on le souligne pour nous parce qu’on fait du rock, parce qu’on est dans l’électrique. Si on était en guitare sèche-voix on le soulignerait pas. »

Et de continuer : « Moi ce qui me gêne le plus dans cette étiquette-là, c’est plus le côté pompeux que ça peut comporter, et nous on a vocation à faire de la musique pour tout le monde. J’ai pas spécialement envie de me montrer plus intelligent que je suis ou plus intelligent que la moyenne, je suis pas là pour déballer un savoir quelconque, j’ai pas envie de faire croire aux gens que je lis plus qu’eux. On n’a pas envie de se couper d’un truc simple et généreux. Après, le fait qu’on nous colle une étiquette, en soi, ça me dérange pas, même si c’est toujours un peu réducteur, mais je crois que tant qu’on n’a pas un nom qui parle à tout le monde c’est un moyen de parler de la musique, c’est pratique. Et puis oui, on s’y reconnaît forcément, il y a une scène. Bagarre, Grand Blanc, Feu! Chatterton, Palatine. Mais je crois que ce qui nous rassemble, en dehors du texte, c’est plus le côté électrique, live, un peu à l’ancienne. Il n’y a pratiquement pas de machines sur scène, de samples, c’est une énergie rock. On sort un peu du côté rap qu’il y a beaucoup en ce moment ».

On s’en doutait un peu. On n’a pas besoin de lancer le sujet, Manu et Pierre, d’eux-mêmes, ont envie de parler du live. Peut-être encore plus que dans leurs chansons, c’est là que le terme « rock » leur colle le plus à la peau. Dans ce café du Boulevard Ménilmontant, Manu et Pierre sont calmes. Polis. Gentils. Sur scène, ils espèrent, prévoient et promettent de l’épique. Une énergie brute, quelques litres de sueur, une bonne grosse dépense de calories et, pour Pierre en première ligne, une rencontre frontale et intense. « On adore la grandiloquence, les trucs un peu théâtraux. Beaucoup de groupes qu’on écoute sont très grandiloquents, à un ou plusieurs leaders, avec que des personnages assez charismatiques : Arctic Monkeys, Arcade Fire, Nick Cave. Tout ça c’est plein de grands sentiments, ça parle beaucoup de la mort, de l’amour, dans des termes assez extrêmes ».

La place prépondérante de la scène dans le parcours du groupe a d’ailleurs, indirectement, donné sa tonalité au nouvel album. L’enregistrement analogique, dans des conditions live, et l’écriture des textes parallèlement à la composition des mélodies ont permis de privilégier la sonorité des notes sur celle des mots. Cette quête de sens semble décidément avoir été le fil rouge du processus créatif, tant dans l’état d’esprit du groupe que dans le résultat final.

« Sur ce deuxième disque, se lance Pierre, j’ai beaucoup composé et écrit au piano en même temps. Et les textes sont venus avec la musique, en canevas en fait. Je te dis que j’ai privilégié le sens au son, mais c’est parce que le son était déjà induit par l’instrument. La mélodie de voix était là avant le texte, ce qui n’était pas le cas avant, j’écrivais d’abord le texte et je mettais une mélodie dessus, c’était assez complexe, c’est pour ça aussi qu’il y avait moins de mélodie sur le premier disque. On a enregistré sur bande tout le trio en même temps. On a fait plusieurs prises mais on avait toujours cette contrainte d’accepter cette part d’erreur, de spontanéité qui colore l’enregistrement. On s’est beaucoup plus autorisé d’erreurs, d’accidents, que sur le premier, on a moins voulu être bons élèves. Et sur scène, justement, on a cette possibilité-là, d’aller dans quelque chose de très spontané. Si jamais on se rate, ça arrive, c’est pour ça que c’est bien, et le lendemain on peut recommencer. On a essayé de mettre de côté tout ce qui est névrose, d’accepter le fait qu’un disque, c’est pas parfait, et il faut pas que ce soit parfait ».

Crédits photo en une : Fanny Latour-Lambert

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