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Electric Rescue & Gaspar Claus : « C’était nécessaire de trasher Bach »

Ils ne se connaissaient pas il y a deux mois, mais rêvent déjà de composer un disque ensemble et de partir en croisière ensemble aux Seychelles. Electric Rescue et Gaspar Claus se sont rencontrés par le biais de notre projet Variations, et il semble que l’idylle se poursuive entre le violoncelliste au regard de braise et le raveur (un peu) assagi. Bach, victime de leurs frasques, a trouvé des héritiers bien turbulents. Retour sur un duo tout sauf éphémère.

Trouvez chacun 10 mots pour vous présenter.

Electric Rescue : C’est tout à fait le genre de chose que je ne sais pas faire (la preuve puisque j’ai utilisé 14 mots).

Gaspar Claus : Heu excuse-moi Antoine mais j’en compte 23 là…

Quand le projet Variations vous a été présenté, comment avez-vous réagi ?

ER : Je me suis senti curieux, excité, et après avoir rencontré Gaspar en personne, je me suis senti heureux et soulagé d’avoir rencontré une belle personne pleine d’ouverture et de gentillesse. Ce ressenti allait permettre d’aller très loin humainement et donc musicalement.

GC : J’ai d’abord pensé que la proposition était très casse-gueule. Je connais des alliances classique/électronique qui sont l’incarnation même du mauvais goût… Mais j’aime les défis. Et quand l’équipe de Variations m’a présenté le travail d’Antoine, j’ai été rassuré. Son son est franc, sans faux semblants. Les meilleurs ingrédients pour ne pas tomber dans les réinterprétations édulcorées que je redoutais.

Que connaissiez-vous de Bach avant de vous y intéresser pour ce projet ?

ER : Je connaissais les grands classiques. J’ai une culture très pauvre en classique, pourtant j’en écoute de plus en plus en voiture mais je ne retiens jamais le nom et les compositeurs des œuvres.

GC : Bah quand tu es violoncelliste, Bach, c’est le passage obligatoire. C’est un peu comme le théorème de Pythagore pour les collégiens : c’est fondamental. Le jour où ton professeur de violoncelle te sort la partition du prélude de la Première Suite, c’est comme la première fois que tes parents te laissent manipuler le four à la maison, ou la première que tu tiens un volant de voiture entre tes mains. Tu te sens plus grand. Plus tard, Bach, ça devient la grande épreuve. Le jour où t’enregistre les Suites, le monde du violoncelle décide si t’as le droit d’exister comme violoncelliste ou si tu dois mourir… C’est presque à en oublier la profonde sacralité, la rare justesse d’écriture, la beauté mathématique qui habite toute son œuvre.

RESCUE

Mélanger la techno et la musique classique, cela n’est pas complètement nouveau. Quel genre de rencontres musicales de ce type aviez-vous déjà en tête ?

ER : J’avais vu Manu le Malin et l’Orchestre philarmonique au théâtre du Châtelet et j’avais bien aimé l’échange musical mais ne pensais pas qu’un jour on me proposerait un tel projet.

GC : Au moment où nous avons été invités à travailler sur ce projet, Vanessa Wagner a sorti son disque avec Murcof, Statea. Une réussite totale à mes oreilles. Une immense finesse et élégance habite ce disque. Je gardais cette référence en tête au début de notre collaboration.
Mais ces deux là ont travaillé sur des compositeurs minimalistes, Comme Cage, Reich, Glass ou Satie . Il y a une certaine évidence à associer ces musiques à l’electro. Elles sont un peu aux fondements de la pop moderne. Elles travaillent sur le répétition, la trance, la simplicité harmonique… Bach, c’est une autre affaire. La meilleure rencontre sur son répertoire est bien entendu Wendy Carlos. Une approche folle, irrespectueuse par un musicien plutôt délirant. L’écueil, c’est de faire du « joli Bach » avec un fond électro. C’est une approche bonne pour vendre des bagnoles, pas pour faire de la musique.

Comment avez-vous commencé à travailler à quatre mains ?

ER : Avant de rencontrer Gaspar, j’avais cherché quelques partitions de Bach sur internet, je les ai soumies à Gaspar, puis il m’en a soumis d’autres et nous avons fait un choix final sur la Sarabande de la Suite n°2, le menuet de la Suite n°1, La Toccata. J’ai alors commencé à « remixer » la Sarabande n°2 que je lui ai soumis. Nous nous sommes ensuite rencontrés en studio où la première chose sur laquelle nous avons buté était le dialogue entre nous, ça nous a pris presque la première journée de répétitions. Mais ensuite, tout s’est enchaîné rapidement et nous sommes vite passés de l’étape labeur à plaisir.

GC : Tout à fait. On s’est d’abord mis d’accord sur le répertoire et l’approche. J’ai donné à Antoine les morceaux que j’avais le mieux en doigts. On s’est vite posé la question de ce que cette rencontre pouvait avoir de contraignant. Un tempo extrêmement fixe imposé par les machines d’Antoine me semblait contredire la souplesse avec laquelle j’aime jouer ces partitions. En même temps il m’obligeait à reconsidérer cette œuvre sous un autre angle. Alors on s’est dit qu’on allait naviguer entre les deux approches. Très métrique par moments et hyper suspendue par ailleurs.
Puis il a fallu mettre en place un langage commun. D’abord au niveau de notre installation technique. La mise en place du set up a pris une journée entière… Puis au niveau de notre écriture, comme accorder nos deux langages. Ce fut très agréable, l’écoute et le respect et la curiosité de l’autre aidant. La rencontre humaine avec Antoine est d’une grande qualité. Ce duo créatif n’aurait pas pu exister sans ça.

Brusquer un peu ce bon vieux Jean-Sébastien, ça vous a fait du bien ?

ER : Oui ! Parfois nous l’avons un peu massacré volontairement, nous l’avons punkisé notamment sur le menuet 1 où Gaspar surjoue le menuet voire le distord pour le rendre faux et moi j’y ai ajouté une rythmique très easy techno, presque pour se moquer de lui. Puis on rebasculait dans quelque chose de très sérieux et respectueux, et ça repartait dans la démesure… Le pauvre, s’il a entendu ça, il ne doit pas être très content.

GC : Carrément ! C’était nécessaire en fait. On a très vite abandonné l’idée de « sublimer » Bach. Tu ne sublimes pas Bach, c’est déjà parfait. Y a pas une note à rajouter. Tu ne peux que le dégrader. Alors on y est allé à fond, de manière franchement irrespectueuse par moments. Mais pour que ça marche vraiment il faut du contraste, alors on a aussi tenté de jouer Bach comme il se doit, pour que ce soit encore plus violent au moment où finalement on le trashe. Puisqu’on était en permanence à la lisière du mauvais goût, on s’est dit autant y aller franchement en espérant passer de l’autre côté, celui où tout est renversé et où l’extrême atteint une certaine beauté. Et puis au moins c’est clair, y aura pas de discussions avec les gardiens du Temple. On a pris le droit de défoncer Bach et on l’a pas fait à moitié. Tans pis pour ceux à qui ça ne plaira pas. On leur dira qu’on était pas capables de faire mieux, point barre.

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Avez-vous des pistes pour prolonger cette expérience ?

ER : J’ai proposé à Gaspar qu’on se plonge sur une sortie disque à nous, où on oublierait complètement Bach et on se consacrerait uniquement à la création de quelque chose de très personnel. Et à mon grand bonheur, Gaspar a dit oui sans réfléchir, c’est preuve d’une belle confiance. Donc on va se mettre dessus en décembre-janvier et nous verrons où cela nous mène, en espérant que cela soit jusqu’à un album, l’avenir nous le dira.

GC : Bien sûr. C’était un peu le marathon, cette rencontre. Trois jours pour monter un programme filmé de 25 minutes c’est pas mal de pression. On a dû travailler vite et parfois on aurait voulu prendre plus de temps sur certaines matières sonores. On s’est très vite dit qu’on voulait se retrouver sans cette contrainte, et laisser Bach tranquille en nous concentrant sur la collision de nos deux univers. On va y travailler. On a aussi de très belles propositions pour rejouer la proposition autour de Bach. On en profitera pour l’affiner.

Si vous deviez mettre Bach au placard et travailler sur un autre artiste, classique ou autre, qui choisiriez vous ?

ER : Oula, c’est impossible de dire cela. Mais moi je proposerais peut-être plutôt une BO qu’un artiste à Gaspar.

GC : Héhé. Antoine a quelques projets de musiques de films en route. C’est vrai que c’est une excellente matière à accompagner l’image. Sinon il y a plein de répertoires que j’aimerais explorer. Les plus étranges sont ceux qui m’attirent le plus : Helmut Lachenman, Gesualdo Da Venosa, Morton Feldman, Scelsi…

Crédit photos : Hana Ofangel

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