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Miossec : « On ne manie pas les adjectifs impunément »

« Fier ». On n’a pourtant pas rêvé, on a bien entendu Christophe Miossec nous dire qu’il était « fier » de son disque. Un petit monde s’écroule. Lui qui n’a jamais épargné ses précédents albums, à l’exception notable de « Boire », ce miraculeux premier album qui le sauva des eaux. Surtout, il révolutionna une chanson française qui découvrait à l’époque cet animal rock venu renverser la table. Vingt ans plus tard, le corps de Christophe Miossec porte les stigmates de tous ses excès. Affaibli, mais aussi renforcé par cette nouvelle et étonnante « confiance en lui ». Rencontre avec un homme exigeant, à l’aube de « Ici-Bas, Ici-Même », un neuvième album magnifique et épuré, enregistré là où Miossec a retrouvé ses marques : chez lui, près de Brest.

Faire la promotion d’un disque est un exercice périlleux pour toi et ta maison de disques. Tu as souvent défoncé tes disques précédents, avec ou sans recul.

Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas de la modestie ou du masochisme. C’est un métier où c’est tellement vite fait de se déconnecter de ce qu’on est. Faire ce travail de sape et pouvoir dire ce que je pense vraiment de mes disques, cela me permet de mieux visualiser les choses. Et d’une certaine manière, c’est même prétentieux : cela veut souvent dire que je peux faire beaucoup mieux que ça.

On a le sentiment que ce « Ici-bas, Ici-même » pourrait être épargné. Comme s’il pouvait mieux résister à l’épreuve du temps, à tes yeux.

Je n’avais pas envie qu’il soit marqué temporellement. C’est toujours le danger des disques et des artistes que de courir après une certaine hype et une mode qui se défraîchit. Penser en dehors du temps, ne pas mettre d’effets ni de grosses couches et le fait que les instruments soient enregistrés le plus simplement du monde permettent de bien vieillir.

Il y a un lien avec ton premier disque, « Boire ». Tu voulais revenir à un côté plus direct, à l’essence même de la composition ?

J’ai eu davantage de temps pour réfléchir à cet album. Je me suis dis : « Qu’est-ce que tu as encore à raconter ? Si tu ouvres ta gueule, c’est pas simplement pour faire une chanson de plus. Que vas-tu raconter, cette fois ? ». C’était la mission que je m’étais donnée. Du coup, j’ai beaucoup plus travaillé. Parfois, les textes faisaient une palanquée de feuillets.

Plus de feuillets que pour les précédents disques ?

Oui. L’idée était d’être fier de quelque chose et que cette fierté ne retombe pas comme un soufflé, une fois le disque sorti.

Le travail d’Albin de la Simone sur les arrangements est palpable. On dirait qu’il a ouvert les fenêtres pour mieux faire respirer tes textes. L’image te convient ?

C’est marrant, quand on me parle des arrangements d’Albin et qu’on précise la chanson en question, il peut parfois s’agir de mon propre arrangement. Car sur ce disque, j’ai vraiment voulu tout composer. Sur les disques précédents, il y a eu des problèmes de droits, des trucs un peu chiants, etc. Là, je me suis dit que j’allais faire tout moi-même, même si on a ensuite travaillé le disque à trois.

Ton rapport à l’instrument évolue, alors. Ce n’est plus simplement fonctionnel pour t’accompagner dans la mélodie ? Tu t’assumes donc autant musicien qu’écrivain, désormais ?

Arrivé à 50 balais, je me suis demandé : « est-ce que je compose des chansons ou pas, finalement ? Je vais composer celui-là, je vais bien voir ce qu’il se passe. Si ça merde, c’est pas grave. Au moins, je n’aurai plus à m’occuper de la musique dans ma vie et je me retrouverai avec plein de temps pour faire autre chose. Car composer prend beaucoup de temps.

« Sur ce disque, j’ai vraiment voulu tout composer »

Tu t’es toujours astreint à une écriture minimale, avec une champ lexical volontairement réduit. Tu as toujours eu peur de trop en faire ? Comme une jolie fille au naturel et qu’on maquillerait un peu trop ?

C’est surtout une question de goût. Ce qui se veut littéraire, ça me fait assez marrer.

Parce que tu trouves ça prétentieux ?

Mal écrit. On ne manie pas les adjectifs impunément. C’est l’assemblage des mots qui est intéressant, plutôt que d’aller faire le malin avec de l’esbroufe. C’est comme un solo de guitare, il faut trouver le bon riff. La chanson, selon moi, ne doit pas être lue. Elle doit même ne ressembler à rien sur le papier. Elle n’a de sens qu’une fois chantée. Ce n’est surtout pas de la poésie. La poésie, j’en lis beaucoup, je sais à quoi ça ressemble. Mais la chanson n’existe que dans l’air et dans le son. Là, ça devient intéressant.

L’album démarre par « On vient juste de commencer », qui est aussi ton premier single. Quand on connaît ton obsession du rapport au temps et de l’usure qu’il provoque sur les corps, voilà un choix pas vraiment anodin. Si ?

En même temps, c’est assez drôle qu’un mec de 50 ans dise : « Ça vient à peine de commencer ». Il y a un mensonge intégral.

C’est de l’ironie ?

Non, il n’y a pas d’ironie du tout. Et d’ailleurs, c’est pour ça que c’est pas drôle, en fait (rires). Concernant l’obsession de ce rapport au temps dont tu parles, l’idée est juste de constater la vie et dire qu’on ne croit pas au paradis, avec ce temps qui nous est donné sur Terre pour savoir ensuite ce qu’on en fait.

Tu as souvent répété : « C’est le monde du travail qui m’a poussé à la musique, et pas la musique en soi« . C’est de moins en moins vrai aujourd’hui, non ?

J’ai commencé à reprendre un instrument à 29 balais, c’était juste plus possible de retourner au travail, c’était tellement le pied. J’ai bossé comme un taré. C’était un truc de solitaire, j’ai fait une croix sur mes amis, j’ai perdu pas mal de choses. La chanson est un domaine que j’aime pour ça. Tenter de faire des chansons populaires. Je ne pense pas qu’il y ait de chansons inconnues.

Mais tu ne cherches pas vraiment à faire des chansons populaires, toi ?

Si, pour moi, c’est populaire, selon mon goût. Une part de moi-même pourrait faire une musique beaucoup plus tordue. Mais mon rapport aux autres se casserait. En cela, ce nouveau disque est facile, où je me suis dit : « Qu’est-ce que tu fais avec deux accords ? ».

Tu es revenu vivre dans le Nord-Finistère. En quoi ce retour aux sources joue un rôle si important pour toi et ta carrière ?

Ce disque-là, c’est le disque de quelqu’un qui est beaucoup plus sûr de lui. Je ne dis pas ça de façon arrogante. Mais le fait d’avoir enregistré le disque à la maison joue. L’album « Finistériens » (NDLR : paru en 2009), on devait le faire à Ouessant avec Yann Tiersen. Je sautais au plafond, avec l’embarcadère à côté de chez moi, etc. Finalement, on a fait ce disque à Paris et pff… (NDLR : Miossec a souvent descendu ce disque). Cette fois, Albin et JB sont venus chez moi et tous les fondements du disque y ont été enregistrés. Le fait d’être sur tes terres, tu as plus conscience de toi et de ce que tu es. Tu as plus confiance en toi que quand tu es déplacé dans un studio étranger, avec des boutons partout.

Tu vas garder cette façon de faire par la suite ?

Pas forcément. Cela ne m’étonnerait pas que ça ne soit pas le cas.

« Une part de moi-même pourrait faire une musique beaucoup plus tordue. Mais mon rapport aux autres se casserait »

Au fil des tournées, tu as de plus en plus lâché ta voix sur scène, quitte à parfois gueuler. Mais sur disque, jamais. Pourquoi ?

Dans le contexte du studio, ça n’avait plus de sens.

Donc tu as essayé ?

Oui, mais ça ne marche pas. C’est le concert qui déclenche ça. Ou alors, il faudrait enregistrer un morceau tous ensemble, mais je ne suis pas sûr de ce que ça donnerait. Par contre, je me réjouis à l’avance d’aller brutaliser sur scène ces nouveaux morceaux.

Les « brutaliser » ? Avec un tel disque ?

Ah si si, c’est très facile. Je l’ai déjà fait. Sur « Boire » par exemple. Avec le contexte de l’époque, j’avais tellement peur que ça soit pris pour de la chanson française.

Tu viens de dire que tu avais assuré la composition du disque. Sur cette tournée, tu vas donc enfin prendre les instruments ?

Ah non, jouer sur scène d’un instrument, c’est un drôle de truc. A chaque tournée, la question se pose. Mais j’aime bien monter sur scène et partir dans un trip. Si, tout à coup, il faut s’occuper d’une guitare sur scène, avec les six cordes, penser à un truc pratique… Si j’aime les concerts, c’est parce que la tête décolle pour partir dans un endroit que j’aime bien. Si je joue, je vais devoir devenir responsable. Et sur scène, je recherche au contraire une forme d’irresponsabilité.

Tu continues à écrire pour d’autres ? Toi qui détestes t’entendre chanter, ça te plaît toujours autant d’entendre tes textes chantés par d’autres ?

Oui, ça rend très vaniteux (rires). C’est tellement plus réjouissant que de chanter son texte soi-même et de pouvoir l’offrir à un autre. Comme pour « 20 ans«  de Johnny. Il fallait se battre pour que cette chanson ne soit pas une de plus, dans son immense répertoire. Le public de Johnny s’approprie mon texte de la première à la dernière phrase, ça fait tout bizarre.

Dernière question, pour l’anecdote. Tu ne t’es pas inscrit sur une liste aux Municipales, cette fois ? (En 2008, il était sur une liste d’opposition au maire de droite, à Loc-Maria Plouzané).

A la demande générale, non. On a perdu à 19 voix près. Du coup, on cherche le coupable. Forcément, on se dit que ça vient de soi.

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