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Mike Ink, le colosse aux pieds d’acide

Parmi les héros méconnus de la minimal techno – rejeton de l’acid house -, on compte Mike Ink, pseudo lointain du co-fondateur du label allemand Kompakt, Wolfgang Voigt. Courant radical, musclé et épuré de la moitié des années 90, il est loin de la conception populaire de la ‘minimaaale’ mélodique des années 2000. Retour sur un projet que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Entretien avec Voigt à l’appui.

Les vieux de la rave l’adulent, les kids convertis à la techno n’en ont jamais entendu parler, Mike Ink c’est un nom brut avec deux « k », un mot de 26 points au Scrabble (vérifiez) qui kraque, qui kogne, qui kicke. « Au début des années 90, c’était très chic de sortir des disque sous des pseudos anonymes, pour que personne ne sache qui est derrière, rappelle Wolfgang Voigt. Aujourd’hui, le nom n’a plus vraiment de signification pour moi mais il représente la mémoire vive d’une grande période de la musique électronique. »

C’est sûr qu’à l’heure d’Internet et de la hype techno qui s’est emparée du globe et ses marchés, c’est plus malin de se produire sous son vrai nom et ne pas le changer toutes les deux dates si l’on veut un bon ‘reach’ Facebook, un référencement Google suffisant et un nombre d’écoutes Soundcloud pas trop honteux (c’est ce qu’il se dit dans le baïou, on n’a rien dit nous). Mais avant, des sorciers sans visage, des magiciens nocturnes et des militants marginalisés ont laissé des noms bizarroïdes et multiples.

Et si naïves qu’elles puissent paraître, ces preuves ne peuvent que laisser un goût de mélancolie imprégné dans chaque raver, perdu dans un petit matin éternel, les pieds dans l’herbe.

mike ink _2Mike Ink – DR

La rave, vous l’aurez compris à cette époque, se veut discrète pour mieux exploser à l’intérieur. Défouloir total, exutoire industriel, le mouvement a créé autant de niches radicales et de langages qu’il a pu. Voigt explique techniquement ce nouveau courant musical de cette manière : « Pour moi, la musique basée sur une basse acide, un charleston (le fameux ‘hihat’) et un kick est née en 1987-88 et s’est appelée acid house, commence-t-il. Le terme minimal-techno a ensuite fait sens au milieu des années 90. Après la procession triomphale et sans-précédent de la techno sur la planète musicale qui a ensuite créé d’innombrables styles composés de grosses caisses entre 110 et 210 bpm, la dénommée minimal techno est devenue de plus en plus le leader des styles de techno. »

« L’ingrédient principal du projet Mike Ink,

c’était utilisation abusive de la TB-303″

Des termes qui évoluent forcément avec le temps (et dont le sens est souvent dénaturé), comme la deep house, l’electronica ou le dubstep : « comparée à la minimal techno d’aujourd’hui, précise-t-il, le early minimalism de 1995 – 1996 a plus été un concept minimaliste sophistiqué qu’on peut associer à de l’avant-garde. » S’ajoutent à notre discret interviewé les projets (bien plus connus) de Plastikman, Rhythms & Sounds (Moritz Von Oswald et Mark Ernestus), Robert Hood ou encore Magda qui viennent appuyer cette nouvelle forme musicale.

Vidéo assez mythique

vous en conviendrez,

Mike Ink à l’émission House Frau en 1995

Le projet Mike Ink est fondé en 1990 et en découle une quinzaine d’EPs (Discogs est votre ami et votre créancier à partir de maintenant) qui ont calibré les dancefloors et s’arrête brusquement en 1996 « au moment où le nom est devenu trop populaire et incontrôlable » – et aussi lorsque ses autres alias prennent plus de place dans sa vie comme Studio 1 et GAS. « Les quelques morceaux sortis après 96 sont des rééditions ou des productions datées d’avant 96. » La musique de Wolfgang Voigt est donc forcément un pur produit daté dont l’évolution avec les années est toute relative.

Contrairement à qu’on veut nous vendre dans le film sorti cette année We Are Your Friends dans lequel joue le type de High School Musical, un producteur de musiques électroniques n’est pas toujours cet explorateur kitsch qui va enregistrer des sons dans l’environnement. Mike Ink un simple producteur débrouillard et doué. Il utilise donc les machines de l’époque à disposition : Roland 303, 505, 606, 707, 808, etc. « Je ne me balade pas dans la nature avec un microphone mais avec un appareil photo » ironise-t-il. Comme tout le monde en fait. Plus tard, « le sampler deviendra de plus en plus mon arme principale. »

« Les ingrédients principaux du projet Mike Ink ont été une utilisation abusive très individuelle et souvent exagérée de la TB-303, combinée à des samples aventureux piochés dans la pop, la musique classique, le jazz, la folk et même de la variété allemande. »

Mike Ink – We Call It Acid ( 1994 )

En 2015, on est plus près des 120 bpm que des 140 de l’époque. Alors, pour le nouvel adepte de la techno, la notion de minimal-techno ou d’acid-pop chère à Mike Ink peut paraître très brute et intransigeante. On peut naturellement se demander comment donner à un morceau en superficie hardcore un noyau d’hypnotisme. « Être hypnotique est l’un des buts principaux de ma musique. La plupart de mes morceaux est en effet vouée au dancefloor mais je ne suis pas DJ et suis accoutumé à la musique pop. Mes tracks sont donc parfois compliquées à insérer dans un DJ set. Je ne peux pas parler pour les autres musiciens du hardcore, mais j’affirme que mes tracks hardcore, en plus d’être violentes bien entendu, ont toujours un côté très chaleureux et tendre. Tu ne peux jamais vraiment l’expliquer… People feel it. »

« Je me décrirais juste comme…

un système autonome »

Accompagné de Michael Mayer et Jürgen Paape, Wolfgang Voigt distille sur son label Kompakt des voix pop et des mélodies empruntées un peu partout au point d’en faire un label dont on peut difficilement caractériser LE son, mais plutôt LES sons. « La pop ambient est la réponse de Kompakt à la musique lounge, chill out, art electronica et ambient. C’est une fleur intemporelle pour les amants et qui ne se fane jamais. »

Retrouvez notre hommage Kompakt, 20 ans racontés par les artistes avec des témoignages de Wolfgang Voigt, Jennifer Cardini, Chloé, Terranova, Kaito et Ada.

On comprend donc facilement les influences multiples et variées. Mais comment imaginer que la pop des Who ou le rock des Velvet (au hasard) puissent avoir une incidence sur les résultats de boîtes à rythmes et des générateurs de basses acides ? « Avant, pendant et après la techno, j’ai toujours écouté beaucoup de styles de musique : pop, jazz, d’autres musiques électroniques, krautrock, musique classique, variété et musique traditionnelle allemande. Tous ces genres ont influencé ma musique d’une certaine façon. » Et d’ajouter avec toute son assurance : « je suis redoutable pour combiner et fusionner la techno avec ces styles sous autant de noms de projets distincts. Mike Ink n’était que l’un d’entre eux. »

mike ink _5Mike Ink – DR

Lorsqu’on lui demande si à l’époque il s’inspire de travaux similaires d’autres producteurs, il répondra par un flamboyant « je me décrirais juste comme… un système autonome » et ça nous aurait presque fait un titre si on n’en avait pas trouvé un encore mieux. Comme il l’a déjà rappelé, Voigt n’est pas DJ ; il n’est donc pas dans ses besoins créatifs et professionnels d’aller ‘digger’ tout ce qu’il peut. Et puis, il reste encore 15 ans avant le lancement de YouTube aux débuts de Mike Ink. « Je ne compare jamais ma musique avec celle des autres… Ce qui ne veux pas dire que je pense qu’elle est meilleure. »

La minimal techno a donc été le point de départ de tout ce que vous entendrez au Berghain, au Rex ou à Fabric ce week-end après une heure de queue en moyenne. D’une musique radicale et ultra-rapide, elle a donné la recette parfaite de suffisamment de rythme pour se défouler et suffisamment d’espace entre les kicks pour se perdre profondément et surement dans la chaleur de la basse. « La minimal techno d’aujourd’hui est la meilleure de toutes les dance music sans paroles au monde, s’exclame-t-il. Elle a stagné, fonctionne de cette façon depuis 15 ans maintenant et il semble que ça continuera jusqu’à ce que la dernière grosse caisse aura claqué la porte. »

Mike Ink – Live Evil Part II – Side A
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