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Joey Le Soldat : « Notre jeunesse lutte juste pour qu’on lui donne la place qui lui revient »

Vous savez quand vous découvrez un artiste et vous n’arrivez pas à vous en défaire? Bah, là on est en plein dedans avec Joey Le Soldat. Et non, il n’est pas le cousin de Joe Le Taxi. Dans cette interview, le rappeur burkinabé nous raconte son enfance, son rap, ses combats. Ce petit-fils de tirailleur et fils d’un militant indépendantiste parle avec puissance et introspection du Burkina Faso et du continent africain dans des textes coups de poings. On y aborde le rapport à la langue française et au moré avec ce fan de storytelling, du Wu-Tang et de NTM.

Tu as grandi dans le secteur 23, le quartier de Tanghin à Ouagadougou. Peux-tu m’en parler ?

Avant l’extension de Ouagadougou (la capitale du Burkina Faso), Tanghin était un village. Le quartier a gardé un côté rural. On y produisait des céréales et principalement du sorgho. Aujourd’hui encore les gens continuent à cultiver des potagers. C’est un quartier qu’on dit « précaire » à Ouagadougou. Pendant longtemps, Tanghin a eu la réputation d’être un quartier violent. La police même n’osait pas trop s’y aventurer. C’est le plus grand quartier de Ouagadougou.

Plus globalement, peux-tu me parler de ton enfance ?

Entre l’école et le quartier, il a fallu apprendre à vivre et à survivre. Ma famille m’a beaucoup protégé et je l’en remercie. Je cultivais avec mes parents quand j’étais enfant. À 8 ans je m’accrochais à ma mère pour ne pas aller a l’école parce que mon instituteur utilisait un bâton pour nous apprendre à lire et à écrire en français.

Tu es petit-fils de tirailleur et fils d’un militant indépendantiste. Comment était-ce de grandir avec cette histoire derrière toi, à la maison ?

Le fait que je sois petit fils d’un tirailleur et fils de militant indépendantiste m’a beaucoup forgé. J’ai appris énormément de choses à travers eux, qui aujourd’hui donnent une âme à mes écrits. Mon père me disait toujours que le combat que mon grand père tirailleur avait mené un jour, ça sera à nous de le continuer. Que ce soit avec mon père ou avec mon grand père, je retiens surtout une formation à combattre les injustices sous toutes leurs formes. Ils m’ont appris à avoir une conscience politique.

Comment découvres-tu le hip-hop ?

J’ai découvert le hip-hop parce qu’à l’époque mes grands frères au quartier écoutaient tout le temps du rap. C’est à travers eux que j’ai découvert des groupes comme le Wu-Tang Clan, IAM, NTM, Dr Dre… C’est aussi l’époque où des groupes de rap burkinabè sont apparus comme Yeleen ou Faso Kombat, ils nous ont apporté la confiance. Nous aussi on pouvait monter des groupes de hip-hop.

Qui sont les artistes que tu suis en ce moment ?

J’adore les derniers albums de Kendrick Lamar. J’aime beaucoup Spoek Mathambo . J’ai vu son groupe BATUK en concert récemment à Ouagadougou. Tu sais en Afrique, il y a beaucoup de musiques que vous ne connaissez pas ici, et beaucoup de musiciens très talentueux. Ils m’inspirent aussi. En terme de hip-hop, le meilleur pour moi, c’est RZA.

Quand et à propos de quoi as-tu écris tes premiers textes ?

Mon premier texte date de 1998 à propos de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo que j’avais connu à travers mon père. Mon père lisait beaucoup le journal de Norbert Zongo qui s’appelait L’Indépendant. Du coup je parlais du combat que ce journaliste avait mené pour le peuple et la liberté jusqu’à ce que le système de l’ex-Président Blaise Compaoré décide de mettre fin à ses jours… Tu trouveras des choses sur le net à ce sujet.

Joey le Soldat 2017 Photo presse 2 ©  Florent Mazzoleni (1)

Tu écris en moré et en français. C’est facile pour toi de jongler entre les deux langues ?

Dans mon précédent album, je chantais en ouverture du titre « Microphone »: « On m’a dit « Soldat, tu veux devenir une star ? Faut que tu rappes en français, en anglais » Que j’oublie d’où je viens ? » Ça répond à ta question ?

Oui, complètement. Quand as-tu imaginé que tu pouvais peut-être vivre de ta musique ?

En 2009, j’avais remporté le battle nationale au Waga Hip Hop Festival, c’est à ce moment là que les Burkinabé m’ont découvert. La même année j’ai fait la rencontre du rappeur burkinabè Art Melody avec lequel on a commencé à bosser ensemble. On a monté un groupe qui s’appelle WAGA 3000. C’est là que j’ai commencé à jouer en Europe et que j’ai enregistré mon premier album, La Parole est mon Arme puis Burkin Bâ. Ça m’a donné confiance en moi.

Peux-tu en vivre aujourd’hui ?

Non. Comme beaucoup de musiciens, j’ai d’autres activités que je mène ici à Ouagadougou qui m’aident a joindre les deux bouts. Ça me permet d’avoir un peu plus la tête tranquille pour faire ma musique.

Comment fonctionnent les réseaux de distribution de la musique au Burkina Faso ?

Au Burkina, je dirais que y’en a pas (rires). Peut-être ça va arriver avec le temps, mais pour l’instant y’a rien.

Comment les Burkinabés ont-ils entendu ta musique au début ?

Je dois dire qu’au début au Burkina les gens se méfiaient de ma musique à travers tout ce que je dénonçais, certains même m’avaient conseillé de tourner ma plume vers autre chose pour ne pas m’attirer des emmerdes avec le système. C’est finalement le système qui a eu des emmerdes… Les burkinabè ont fait leur révolution, Campaoré est parti et le coup d’état a échoué.

C’est aussi via les prods qu’on se sensibilise à un artiste. Redrum ou DJ Form créent un panels de couleurs et d’ambiances originales. Quelles atmosphères vas-tu le plus puiser chez eux ?

D’abord j’en profite pour dire un grand merci à Redrum et Dj Form qui depuis quelques années me fournissent des prods. Je dois reconnaître que chaque beatmaker à un univers qui me plaît. C’est ainsi que je me nourris du coté old school 90’s de Redrum d’un côté et du côté electro chez Dj Form. Aujourd’hui ce sont ces deux faces qui font mon univers musical. L’instrumental c’est 50% du boulot en hip-hop. Il faut déjà qu’elle raconte quelque chose, comme la bande sonore d’un film. Je suis très exigeant la dessus.

JOEY LE SOLDAT

Entre « Sous l’Arbre à Palabres », « Jeunesse » ou « Tirailleurs », tu évoques l’histoire passée et présente de ton pays et de ton continent entre appels au dialogue, hommage à la jeunesse révolutionnaire et rappel de l’histoire coloniale. Quels sont les combats que tu mènes sur ces sujets-là ?

D’abord à travers « L’arbre à palabres » j’invite les gens à donner une place plus importante au dialogue car la violence se fait de plus en plus grandissante dans le monde d’aujourdhui. Les anciens avaient l’habitude de se réunir sous l’arbre à palabres pour régler les conflits. Il faut continuer. « Jeunesse » est une dédicace aux nouvelles générations africaines, mises de coté par nos dirigeants, alors que pourtant cette jeunesse lutte tellement, elle demande juste que nos dirigeants lui donnent la place qui lui revient. La plupart rêve de ce casser d’ici alors qu’elle a tant à offrir si on lui en donnait les moyens. « Tirailleurs », avec la rappeuse guinéenne Anny Kassy, est un titre que j’ai écrit avec tout ce que mon grand père m’a expliqué sur la seconde guerre mondiale. C’était la promesse de liberté qui les avait conduit dans cette guerre, au final ils ont servi de chair à canon et les terres africaines de matière première. Ça continue encore aujourd’hui. C’est un désastre.

Dans ton album, tu as aussi des textes de la vie quotidienne, tout aussi universels, et pas forcément légers. Tu as voulu faire des allers-retours entre sujets de société et petites histoires ?

Le rap c’est aussi ce que l’on vit, les épreuves que l’on traverse intérieurement. J’ai vécu pas mal de ces situations ces derniers temps qui m’ont conduit à en parler sur ce disque et vous remarquerez la mélancolie sur certains titres qui traduisent mon état d’esprit. Ma musique est alors plus introspective. Les Américains appellent ça storytelling. Des rappeurs comme Nas ou Kery James sont des références pour moi dans ce domaine. Une pensée aussi pour Prodigy du groupe Mobb Deep.

Photos © Florent Mazzoleni

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