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Jean-Luc Le Ténia, la la la la la…

…fredonnait Didier Wampas, roi des punks par excellence, dans une irrévérencieuse et saisissante pièce hommage éponyme. Wampas sacrait alors sans détours l’énigmatique songwriter manceau de « meilleur chanteur français du monde ». Ni plus, ni moins. Voilà de quoi faire sourire mais surtout intriguer et interroger celles et ceux pour qui cette âme ô combien torturée pourrait encore paraître bien secrète et méconnue, les forçant à se demander qui diable était Jean-Luc Le Ténia. Et surtout pourquoi semble-t-il encore à ce point incontournable ?

« Moi, je suis l’âme du Mans »

Né en 1975 dans la préfecture sarthoise, pays des rillettes et de la course automobile, Jean-Luc Lecourt, dit Le Ténia, se nourrira cependant principalement des mélancolies et du spleen que lui inspire la célèbre cité cénomane, en faisant pour toujours ses thèmes d’écriture privilégiés.

Frénétique et tourmenté, il usera constamment sa plume à la recherche d’une satiété artistique utopique, dans son cas quasi-impossible à atteindre mais résolument thérapeutique. En effet, Jean-Luc écrit comme il respire, en tout temps et en tout lieu, évoquant aussi bien des sujets profonds, sensibles et amoureux que le quotidien dans ce qu’il a de plus morose, banal, sale, violent voire carrément trash.

Entre prose soignée et flux sans filtre d’états d’âme et d’harmonies déréglées, Le Ténia déclame sa poésie outrancière et spontanée dans un je-m’en-foutisme des plus totaux, tel le plus sincère et étincelant des punks, proposant par la même occasion une synthèse mêlant anti-folk, lo-fi, chanson française et musique indie-pop. Sans tabous, tout y passe : l’amour, la mort, la politique, Le Mans, Le Pen, les croque-monsieur, les otaries mais aussi Kurt Cobain, le monstre du Loch Ness, Laurent Boyer ou encore Daniel Johnston. Pour ne citer qu’eux, il va sans dire.

Jean-Luc Le Ténia – L’âme du Mans

« Et qu’aurait-fait Daniel Johnston ? »

Daniel Johnston justement, reste probablement LA figure inspiratrice numéro un pour Jean-Luc, dont l’œuvre et la démarche ne cessent d’entrer en résonance avec celles, monumentales, de son alter-ego texan.

Auteur-compositeur-interprète, dessinateur et vidéaste, Jean-Luc Le Ténia compte approximativement 35 albums à son actif, quasiment tous auto-produits et distribués d’abord sous forme de cassette puis de CD et sur lesquels il s’accompagne la majeure partie du temps d’une guitare ou d’un simple synthétiseur. Il réalise par ailleurs ses propres vidéo-clips de façon toute aussi DIY que ses propres chansons à partir desquelles il travaille et dessine également énormément, notamment dans certains fanzines. Présent à chacune des étapes de production de ses morceaux, de leur composition au pressage de leur support, il contrôle tout.

Jean-Luc Le Ténia – Qu’aurait-fait Daniel Johnston ?

Enregistrement sur multi-pistes, sobriété dans l’instrumentarium, simplicité harmonique, valorisation des systèmes courts de distribution et du homemade, corpus prolifique et utilisation perpétuelle du quotidien comme source d’inspiration : un processus de création en somme qui n’est pas sans rappeler celui de la légende d’Austin et de son univers fécond, personnel, transversal et passionné.

Ajoutez à cela une imagination continuellement nourrie par un amour impossible et obsessionnel ainsi qu’un mal-être dévorant et l’écho avec l’univers de Johnston ne sera que plus flagrant et indiscutable.

Tout au long de sa (tristement courte) carrière, Jean-Luc Le Ténia reprendra d’ailleurs plusieurs de ses titres, dont « Life In Vain » (Une Copine Digne de ce Nom, 2003), « I’ll Do Anything But Break Dance For Ya, Darling » (Je suis l’océan, 2007), « Devil Town » (Devenir le Monde, 2007) ou encore « Don’t Let The Sun Goes Down On Your Grievances » (Automne, 2009). En 2009, il écrit et publie un hommage direct à son idole de toujours : « Qu’aurait-fait Daniel Johnston ? » (ALMAH, 2009). Enfin, son titre « Bonjour, Je M’appelle Jean-Luc » (Mieux Vaut Commander, 2006) ne peut que rappeler la tout aussi somptueuse que célébrissime « Story Of An Artist » (Don’t Be Scared, 1982) du jeune américain.

Ténia-mania

Franz Liszt, puis les Beatles et maintenant Le Ténia ? Ne répondant pourtant pas exactement aux canons de beauté de notre époque (et ne faisant rien pour), étant tout sauf un musicien virtuose et se refusant à une quelconque sacralisation de sa personne, il peut donc paraître surprenant de constater l’engouement presque fanatique qu’ont pu exprimer certain.e.s admiratrices et admirateurs de l’artiste.

Si les aficionados restent encore minoritaires et isolés, ils semblent néanmoins manifester une adoration tout à fait inouïe vis-à-vis de celui qui, jusqu’à la fin, a difficilement compris le pourquoi d’une telle frénésie à son égard. Foules en délire et hystéries collectives au cours de ses concerts (couplées bien entendu avec les réactions parfois diamétralement opposées de spectateurs plus perplexes), admiration bienveillante des professionnels du milieu (Didier Wampas, Thomas De Pourquery, Ignatus, Miossec, Katerine, plus récemment Salut c’est Cool, etc.), intérêt des médias (Canal +, France Inter),… nombreuses furent les amorces d’une reconnaissance plus étendue, malheureusement restée à son état embryonnaire. L’aura mystique et désabusée dégagée par le Manceau aurait-elle été incompatible avec une exploitation trop mainstream de son œuvre ? Sans doute. Tant mieux ?

« Mes chansons sont le ténia de l’amour »

Jean-Luc Le Ténia se donne la mort à son domicile le 3 mai 2011, quelques semaines après avoir posté la vidéo d’une de ses dernières chansons relatant son enterrement : « Jean-Luc Est Mort ».

Jean-Luc Le Ténia – Jean-Luc est mort

De son œuvre, il est aujourd’hui possible de (presque) tout connaître. En tout cas, une bonne partie, notamment grâce à son site internet toujours géré par un de ses amis proches où l’on retrouve l’intégralité de son catalogue en libre téléchargement, ses vidéo-clips, quelques dessins, poèmes ainsi que son journal intime. Jean-Luc ayant toujours pris le soin de tout enregistrer, tentant ainsi d’offrir l’immortalité à sa créativité exceptionnelle.

Il aurait eu 43 ans ce 15 mai 2018. Et si une chose est sûre, c’est qu’il aurait continué de mépriser ce monde, de s’en effrayer et de tenter de s’en échapper, avec hargne, sarcasme, (im)pertinence et splendeur. Inlassablement, il se serait employé à ridiculiser ses pairs autant qu’à les aimer follement, à sa façon, en musique, bien entendu.

« Et le temps continue à passer
Et les gens continuent à penser
Et Le Mans continue à rêver
Et les filles… »

Jean-Luc Le Ténia – Et les filles

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2 commentaires

2 commentaires

Crespin 14.07.2021

Vous trouvez ?
Et qu. Est ce qu ils veulent pas entendre a soudoreille gastronomique ?

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ignatus 17.05.2018

Bon article.

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