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Hip Opsession 2016 : le sampling de Charlemagne à J-Dilla

Comme tous les ans au mois de février, le festival nantais Hip Opsession nous donne envie de parler de lui. Ce moment fort du hip-hop dans l’hexagone réunit pendant 22 jours toutes les dimensions du mouvement : rap, graffs, conférences, DJing, beatboxing, docus, battles. Cette année, on a discuté du sampling avec Chilly Jay, un expert en la matière. Membre de l’organisation du festival, il anime cette année une conférence au nom énigmatique « Coupé / Collé : une histoire du sampling de Charlemagne à J-Dilla ». Avec l’association Opus Bleu, il a partagé sa passion insatiable de fouineur de bacs de vinyles, de DJ, contributeur radio, pédagogue…

Pour commencer, pourrais-tu te présenter et expliquer ta rencontre avec l’univers du sample ?

CJ : Je m’appelle Julien et j’écoute de la musique depuis tout petit. Dans les années 90, j’étais ado et j’ai commencé à entendre à la radio ce qui se faisait en terme de rap français. Je suis tombé sous le charme de MC Solaar à l’époque. C’est avec l’album Prose Combat que j’ai eu un premier tic sur le sampling. En écoutant le morceau « Nouveau Western« , j’ai reconnu une boucle que j’avais déjà entendue. En fouillant dans les compilations de Serge Gainsbourg de mes parents, je suis tombé sur Bonny and Clyde et j’ai trouvé l’échantillon qui avait été utilisé. Ça été ma première rencontre avec le sample. En continuant à écouter du rap et du hip-hop, j’ai rapidement compris que cela fonctionnait avec la technique du sampling. J’ai commencé alors à chercher tout un tas de samples originaux, à collectionner des disques, acheter des vinyles. Puis de fil en aiguille je suis devenu DJ sous le nom de Chilly Jay. J’ai fait une émission de radio sur le sampling sur radio Prun’ à Nantes et petit à petit j’ai construit une expertise sur ce sujet.

Chilly

Chilly Jay → émission du 15/02 de La planète de cire à réécouter

Par rapport à MC Solaar, tu as eu l’occasion de rencontrer Jimmy Jay, le producteur de Prose Combat ?

CJ : Oui on s’est rencontré quand il est venu au festival HIP Opsession à Nantes en 2012. C’était un grand plaisir car c’est un producteur qui m’a beaucoup marqué en tant qu’auditeur avec sa touche soul, jazzy, funky, assez peu pratiquée en France à cette époque là. C’était un honneur de faire sa rencontre

Mise à part votre sensibilité artistique, vous avez aussi le Jay en commun…

CJ : Oui, c’est la blague qu’il m’a fait lorsqu’on s’est rencontré « Ça c’est mon cousin. » Mais je crois qu’on est beaucoup de Jay dans ce petit monde-là. Il y a Jimmy J Hawkins dans le Rythm’n’Blues et puis J-Dilla bien sûr qui est évoqué dans la conférence, on ne peut pas passer à côté.

Pour revenir à ta conférence, la musique faite à base de samples a été critiquée par pas mal de musiciens depuis Schaeffer et la musique concrète. Les instrumentistes sont-ils toujours aussi snobs aujourd’hui ?

CJ : Je sais pas si on peux tous les mettre dans une même case mais je pense qu’il y a vraiment un split. De plus en plus d’instrumentistes mêlent leur travail de composition avec des échantillons de musique. J’ai vu Shigeto la semaine dernière qui bouclait sur des machines, envoyait des nappes et une fois qu’il avait son ossature électronique il prenait sa batterie derrière pour appuyer tout ça. Il y a aussi un tas de concert hommage où des instrumentistes reprennent des beatmakers qui eux-mêmes avaient samplé des instruments réels. Tout ça se mélange de plus en plus et les frontières s’abolissent. Des gens qui viennent du beatmaking, du sampling, essayent d’incorporer de plus en plus d’instruments et inversement. Donc tout ça est amené à se réunir

Conférence coupé / collé

Dans ta conférence tu fais le parallèle entre le sample, l’architecture, la peinture, le cinéma. Le sample selon toi se situe-il dans une veine artistique vieille de plusieurs siècles ?

CJ : En fait, j’essaie de voir les similitudes dans différentes pratiques artistiques qui consistent à utiliser des éléments du réel déjà façonnés. Réutiliser de la matière existante pour la décontextualiser, l’amener ailleurs. On a pu voir ça en architecture avec la technique du réemploi où on prend des bouts de structures déjà édifiées et on l’insère dans un nouvel édifice architectural. C’est exactement comme prendre un échantillon sonore d’un disque pour l’intégrer dans une nouvelle composition. On voit ça aussi avec les dadaïstes, les premiers collagistes, qui sont allées triturer du papier journal et couper des éléments typographiques, des photos pour créer une œuvre en se disant que toute matière est bonne à prendre. Avant on utilisait que des pigments pour la peinture, puis à partir du vingtième siècle on s’est dit qu’on pouvait casser les codes et s’accaparer n’importe quelle matière pour faire du neuf.

Que vient faire Charlemagne dans cette histoire ?

CJ : Charlemagne c’est pour l’exemple de la chapelle d’Aix-la-Chapelle qu’il a édifiée comme centre de son empire au VIIIème siècle. Elle utilisait des colonnes entières venues d’anciens édifices religieux de Ravenne en Italie. Il a, enfin c’est pas lui avec ses petites mains mais plutôt ses petits ouvriers qui ont décontextualisés ces parties architecturales déjà bâties pour les mettre dans sa nouvelle cathédrale.

Une question plus naïve : cette conférence est-elle aussi là pour redonner une certaine légitimité à l’art du sampling ?

CJ : Au tout début de ma démarche, il y avait de ça. Quand j’ai commencé la radio, j’étais émerveillé de découvrir toutes ces musiques et j’avais envie de partager cela en mettant en avant la part de recherche des beatmakers, de travail des samples. Cette volonté d’un passionné qui a cette envie de transmettre. Avec ma recherche et le temps qui passe, la légitimité s’est faite d’elle même. C’est quand même une pratique ancienne de plusieurs décennies. Il y a toujours des râleurs qui diront que c’est du pillage mais j’ai l’impression que ça s’est inscrit dans le patrimoine. La plupart des gens dans la musique acceptent ce phénomène. Après ça se joue aussi au niveau des anciennes générations, des gens qui viennent à la conférence et qui n’ont aucune idée de ce qu’est le hip-hop et comment c’est fait. Le fait de leur donner des exemples de Picasso à Pierre Schaeffer en passant par les Beatles, ça leur donne un autre angle de vue leur permettant de donner à cet art là une légitimité à travers de nouvelles questions.

Doit-on opposer le hip-hop avec backing band et le hip-hop avec sample ?

CJ : Je pense pas qu’il faille les opposer non plus, Shigeto mêle subtilement les deux par exemple. Deux façon certes qui peuvent être soit dissociées, soit associées. Je pense pas que l’une soit meilleur ou plus légitime que l’autre. Miles Davis disait : « il y a deux styles de musique : la bonne et la mauvaise. »

Et toi en ce moment, quel est ton projet artistique ?

CJ : Je suis d’abord un collectionneur de vinyle. Je reste un passionné de disques et je joue régulièrement avec mes platines. Le hip-hop m’a d’ailleurs amené à être beaucoup dans la diversité. J’essaie d’amener ce métissage que j’aime dans mes sets : musique africaine, brésilienne, soul, funk, rock, jazz. Je suis pas beatmaker mais pour autant, j’ai des projets qui incluent du sampling. Là, je travaille dans mon petit coin à des réalisations basées sur des dialogues de films de la nouvelle vague notamment (Truffaut, Godard, Rohmer). Je découpe généralement les dialogues d’une situation amoureuse que j’agence pour raconter une autre histoire, puis je les recolle sur des instru, des beats. J’aime beaucoup les mots et les histoires. Dans un DJ set j’aime raconter des histoires, amener les gens quelque part. Ce projet, c’est s’accaparer des mots et créer une univers onirique à partir d’une matière vocale et musicale déjà existante.

C’est donc ça, la qualité d’un DJ : savoir raconter une histoire ?

CJ : Là non plus je n’ai pas envie d’opposer les gens. Il en faut pour tout le monde. Moi c’est comment ça que je ressens ma production. Je pense qu’il faut rester ce que l’on est, ce que l’on aime partager avec le cœur et les tripes. Cela peut être raconter une histoire, dans l’énergie. Certains sont dans la technique à tout prix, en usant de la platine comme d’un instrument tels des solistes de scratch ou tel un jazzeux peut faire un solo de saxophone. Je préfère une position rassembleuse et fraternelle où l’important c’est de toucher les gens.

As-tu un sample fétiche ?

CJ : Hou, ça c’est la question piège. J’en ai des millions. J’aime beaucoup Mos Def. Quand j’ai découvert pour la première fois le sample original de son gros tube « Ms. Fat Booty » (sample : Aretha Franklin – One step ahead), ça m’a vraiment bouleversé. J’ai senti la chaleur du titre de Mos Def que je connaissais via le prisme de l’original. J’ai vu comment tout avait été découpé, à quel point des petits bout de voix avaient été pris ici et là, des notes assemblées différemment. Bon j’ai écoute l’originale 25 fois pour voir tous les petits détails. Mais ça a été une belle émotion d’écouter ce morceau la première fois. Surtout quand j’ai trouvé le vinyle du sample original. C’est vraiment le kiff du DJ fouineur de bac qui voit le disque apparaître devant ses yeux.

Mos Def – Ms. Fat Booty

Pour tout producteur et DJ hip-hop, il y a une activité incontournable qui s’appelle le diggin. En quelques mots, tu peux rappeler ce que c’est ?

CJ : Tout d’abord To dig cela veut dire creuser. Il y a ce côté chercheur d’or, un peu comme la conquête de l’ouest où l’on veut trouver les plus belles pépites avant les autres. C’est quelque chose qui existe toujours même si cela se perd avec l’expansion d’internet. Je le déplore un peu mais c’est le jeu, il faut aussi l’accepter. Il s’agit de fouiller les bacs de disques les plus improbables pour en tirer la meilleur substance. Si l’on est beatmaker on va chercher la nappe, le beat d’une batterie ou la boucle de piano dont on a besoin pour créer ce que l’on a en tête. Quand on est DJ, ça va être la track incroyable, le morceau qui va faire bouger son dancefloor. Quelque soit la démarche, il s’agit de fouiller les bacs pour trouver la référence inconnue avec aussi ce côté compétition qu’on trouve un peu partout dans le hip-hop. Graffiti, danse ou rap… On essaye de se dépasser ainsi que ses concurrents dans un esprit positif. Le diggin ça va être aussi le premier qui va trouver cette référence incroyable. La légende dit que les DJ’s dans les block parties des années 70/80 enlevaient les macarons qu’il y avait sur les disques pour que personnes ne sache quel break ils avaient joué. Il y a ce côté « perle rare » qui implique de passer des heures dans des vides greniers, des dépôts ventes, de voyager pour aller chercher sur place la matière disque pour agrémenter son art et sa discipline.

Pour un DJ à ses débuts,  l’activité du diggin’ n’est-elle pas trop coûteuse ?

CJ : Si, évidemment. Mais on peut toujours trouver des pépites à pas cher dans des vides greniers si on se lève tôt le matin et qu’on est motivé. Après, investir fait partie de la passion. Puis, le rapport à l’œuvre est plus intéressant quand on la matérialise. Dans un DJ set, quand quelqu’un vient me demander une référence de ce que je joue, je suis content de lui montrer la pochette. Il peut toucher et s’approprier un peu cette histoire. Le rôle du disquaire est très importante là-dedans. C’est lui que l’on va voir quand on est débute pour nous aiguiller. C’est une relation humaine que je trouve importante et qu’on perd quand on est chacun chez soi à piquer du mp3 sur le net. Je ne vais pas dire que ce n’est pas bien de faire autrement mais moi ça me tient à cœur de garder cette part d’humanité, de transmission. On ramène le CD chez soi et on peut lire sur la pochette que ça a été fait dans tel studio avec tel bassiste à telle époque. C’est comme ça que je vois la continuité de cette musique. Même si cela coûte de l’argent et que je me casse le dos le soir en portant des bacs de disques. Il y a aussi une génération de jeune qui veut débuter et qui se pointe avec une clef USB et un petit contrôleur. Je critique pas, c’est comme ça. Mais cette jeunesse n’a jamais été confrontée au disquaire et à cet apprentissage là. C’est pour l’amour de la musique aussi. C’est ça la transmission de génération en génération. Quand quelqu’un décède, l’enfant hérite de sa collection de disques. C’est beaucoup plus personnel qu’un disque dur avec 50 Go de sons.

En parlant de vinyle, tu veux bien partager ta dernière trouvaille ?

CJ : Ma dernière pépite en date… Je me suis remis à acheter des choses plus actuelles en ce moment. Mon dernier achat c’est le disque de Ballaké Cissoko et Vincent Ségal, Musique de Nuit, la réunion entre la Kora africaine et le violoncelle européen, un beau combo. Sinon pour relier à la thématique du sampling, le dernier disque qui m’a vraiment marqué vient des Danois de Den Sorte Skole avec l’album Lektion 3. Les mecs sont allés chercher entre 800 à 1000 disques extrêmement rares et variés venus des 6 continents. Ils ont fait un assemblage vraiment magnifique de ces disques, qui s’entremêlent et se superposent sans que l’on s’en rende compte. Au final, ils ont créé une pièce musicale d’1h30 vraiment riche et limpide. On arrive presque à la synthèse parfait du sampling, à la maturité de cet art. Ça m’a retourné le cerveau. Il y a un beau livret qui parle de leur amour du diggin’ et du sampling, qui références tous les disques utilisés.

Plus d’infos sur chillyjay.com

Crédit photo : Lucas Perrièot

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