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Hedi Slimane, quand la mode donne le ton à la musique

Coïncidence ? Hedi, de son prénom, signifie en arabe « celui qui guide au droit chemin ». Et guider, c’est ce qu’il fait. Portrait d’une figure prescriptrice du stylisme et de la photographie mais bien trop souvent oubliée en matière de musique.

Ce devait être le mois de mars. La chaleur à Santa Ana est une constante. 25 degrés à l’ombre. Dans cette bourgade résidentielle à la frontière du Los Angeles cool, les boulevards interminables sont bordés de palmiers. À l’Observatory se tramait tout un programme. Une file de jeunes gens, de la douzaine à la vingtaine s’agite, leurs looks sont des plus improbables. Nous sommes à l’entrée du Burgerama. Ce festival initié par Burger Records, label indépendant créé en 2007 dédié à la scène rock californienne, voit défiler les jeunes groupes. Ils ont l’allure je-m’en-foutiste, l’inconscience consternante et jouent sur scène comme dans leur salon.

hedi slimane photo of crowd surfer

Dans la petite foule, un homme au perfecto noir. La blancheur de sa peau jure avec le climat tropical de ce petit bled qu’est Orange County et pourtant c’est non loin de là qu’il vit. Il a le nez fin et pointu, les yeux bleus perçants et creusés. Ses lèvres fines se retroussent lorsqu’il parle de son accent français à couper au couteau. Ce visage singulier lui vient d’un père tunisien et d’une mère italienne. Terré dans le noir de la salle, il se cache derrière un énorme objectif.

Hedi Slimane photographie en noir et blanc depuis ses onze ans. Une histoire de passion et d’identité. On le connaît pour ses positions dans la mode : il a notamment refait l’image d’Yves Saint Laurent, a repêché cette marque vieillissante, lui donnant le coup de fouet visionnaire qui la caractérise maintenant. La silhouette androgyne et rock dont il signe tous ses looks, étriqués et monochromes, s’inspire de ceux qu’il a dans le viseur depuis toujours : la scène rock. Des concerts et festivals qu’il coure, il transmet l’élan juvénile, insolent et viscéral. C’est l’imagerie-même de ce que le rock raconte qu’il s’applique à capturer, habilement, justement. Les clichés de foules ruisselantes de sueur, de jeunes sans nom se laissant porter par celle-ci, de la rencontre entre le public et l’artiste s’ajoutent petit à petit sur son site, tel un journal de vie.

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Des regards perdus, des poses lascives, des bouts de chair exhibés, de la fumée qui s’élève dans les airs. Son œil décèle les imperfections, la beauté des visages purs comme des visages abîmés. Ses tirages systématiquement en noir et blanc révèlent des instants intimes et des figures possédées. Fasciné par la jeunesse et ses révoltes, il définit tout en incarnant un archétype, un personnage, du Sailor de David Lynch au Kit de Terrence Malick. La dégaine assurée, le t-shirt blanc et les bottes sales, c’est l’insurrection qui en dégouline qu’il porte.

Aucun défilé de Saint Laurent Paris (c’est ainsi qu’il a rebaptisé la marque) ne se fait sans une bande son méchante et nouvelle. C’est l’outil qu’il utilise pour faire découvrir et diffuser les talents bruts qu’il déniche. Lorsque l’on pense aux figures prescriptrices de la musique, on oublie trop aisément une personne comme lui. Créateur de tendances, prophète du bon goût indiscipliné. Ça a commencé par faire du bruit avec Pete Doherty et les Littl’ans, petit groupe qu’il accompagne sur l’ingénue ballade « Their Way ». Le styliste demande alors à la bande un titre d’une quinzaine de minutes, le temps que toutes les mines renfrognées, les dégaines de morveux/ses et les silhouettes sylphides passent devant le gratin excité des férus de mode.

Pete Doherty / Elle Magazine / Editorial / Retrospective

Des défilés, il y en a quelques uns par an, alors autant vous dire qu’il en a commandé des bandes sons. Celles-ci, créées sur-mesure ou en prolongations inédites de morceaux déjà existants, accompagnent autant qu’elles définissent le ton, le style, le moment : The Garden, Thee Oh Sees, La Femme, Curtis Harding, etc. Les noms sont nombreux et s’enchaînent. Hedi Slimane les a photographié, il les a parfois fait défilé (Joo-Joo Asworth de Froth, Wyatt et Fletcher Shears de The Garden par exemple) mais il leur a surtout servi de tremplin, pour accéder à une certaine visibilité. À la manière de la synchro, de la publicité à la bo de films, il a, au travers ses défilés, donné le micro à certains qui l’avaient déjà (Phoenix, Daft Punk,…) comme à ceux qui en rêvaient.

Il y a ceux qui l’ignorent et ceux qui s’en doutent, que l’on se préoccupe de la mode ou pas, elle s’insère dans nos vie sournoisement. Le perfecto, le slim troué ou le costume étroit qui s’est glissé dans nos dressing, même s’il n’est pas estampillé du logo de Saint Laurent, il s’y trouve sans doute grâce à lui. Parce que les magazines auront relayé la tendance, que le prêt-à-porter abordable s’en sera inspiré et que les personnalités l’auront accaparée. Difficile de savoir ce qu’il en est de la répercussion de la passion de ce couturier pour la musique sur les playlists Spotify, les téléchargements et les programmations des salles, mais il n’y a pas de doutes à avoir sur le fait qu’elle existe. Et qu’elle est évidente. Et ça, son départ de Saint Laurent Paris n’y changera sans doute jamais rien.

Site : www.hedislimane.com/diary

Crédit photos : Hedi Slimane

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