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Et sinon vous connaissez Shanti Celeste ?

Avec ses influences house, techno et funk tirées d’Outre-Manche, elle est aujourd’hui la reine du four on the floor. De Bristol à Londres, en s’arrêtant à Berlin, Shanti Celeste fait voyager sa musique. On lui envoie tout notre amour.

Avec Shanti Celeste, il y a cette impression que sa musique colle à la peau. Comme une marque. Constamment. On ne sait pas ce qu’elle nous fait – et elle ne le sait probablement pas non plus – mais c’est tout notre système nerveux qui part en sucette. Je la découvre pour la première fois lors d’une savante activité de scrolling appuyée sur internet durant mon fol été 2017 : une vidéo de la chaîne Boiler Room à Dekmantel s’invite sans m’avoir rien demandé dans mon fil. Première écoute, première claque. Shanti se lâche : un set tendu et de la house galopante – je me surprends à bouger la tête comme à mon habitude lorsque la musique est bonne. Une manière extrêmement étrange, similaire à du smurf, qui voit mon visage translater de gauche à droite sans effet sur mon cou.

Alors lorsqu’elle est annoncée en mai 2018 à l’affiche d’une soirée bruxelloise au C12, je fonce tête relevée. La chaleur monte, j’enlève ma veste, j’ai envie de danser. Automatiquement je lève les bras, je me mêle à l’euphorie des autres et je perds la notion du temps. Résultat des courses : aux côtés de Pearson Sound et Cabasa, elle offre un set ahurissant : une techno classique certes, mais au pouvoir séducteur et hautement satisfaisant. Complètement déboussolée, me voilà prise en flagrant délit de surprise : « Je m’attendais pas à ça ». Et je pense : « N’est-ce pas le but en fin de compte, d’aller se farcir 7 heures de son dans une galerie pour se faire (sur)prendre ? Ah non, il y a la teuf aussi, autant pour moi ».

A l’été 2018, je passe à la vitesse supérieure : rendez-vous sur la mainstage du festival Dekmantel pour un set de dream house, en compagnie des oiseaux de jour débarqués aux Pays-Bas pour cette messe annuelle. Gênée, Shanti cache son visage quand elle passe l’un de ses morceaux. Il est toujours plus facile de passer des sons qui ne sont pas les siens. Repensez à Helena Hauff qui nous disait un jour : « Passer mes morceaux dans mes sets ? Ça ne me viendrait jamais à l’idée. » Pourtant la foule attend Shanti – bras levés – quand elle balance « Selector ». OK, je fonds totalement.

Shanti Maas aka Shanti Celeste a 28 ans. D’origine chilienne, elle grandit dans la région montagneuse du nord-ouest de l’Angleterre Lake District où elle suit une formation musicale, chante dans un groupe et apprend le piano – sans trop persévérer. Elle descend ensuite dans le Sud, à Bristol, poumon vert du Royaume-Uni (et pas que pour la série Skins, je vous vois venir) mais connue aussi pour le punk et le reggae mais surtout le trip-hop de Massive Attack. Shanti y suit des cours d’illustration à l’Université de l’Ouest de l’Angleterre (UWE). A 17 ans, elle apprend à mixer sur les vinyles dubstep et de minimal d’un pote. Rapidement, elle cherche l’inspiration côté américain – New York, Detroit, Chicago – et se branche sur la house et la techno. Elle épargne assez pour s’acheter ses premières platines, des baffles Alesis, une carte son et un clavier.

A cette époque, Shanti mixe beaucoup. Dans une interview pour Stamp The Wax, elle se souvient : « Je trouvais ça génial. Je me suis dit ‘Toutes ces réactions sont cool, imagine si c’était pour un de mes morceaux, imagine si les gens faisaient ça pour quelque chose que j’ai créé’. » Elle se complaît dans la vision d’une foule qui s’amuse devant elle, qui lui rend en quintuple ce qu’elle donne. Suite souvent logique, elle commence à produire, et publie en 2013 son premier 12″ sur le label Brstl (qu’elle cogère avec Chris Farrell) avec Need Your Lovin’ (Baby)/Result. Elle sort son deuxième EP Days Like This l’année suivante, sur un autre label bristolien, Idle Hands, (maison de Chris Farrell toujours). Secrètement, elle pose sa douce voix sur ce chaleureux morceau de deep house qui nous ramène en été, et nous rappelle une fois de plus que non la deep house n’est pas qu’un gros mot dans les années 2010.

Shanti continue sur sa lancée avec Universal Glow, signé en 2014 sur Broadwalk Records, le label de Julio Bashmore qui deviendra un de ses partenaires de prédilection. L’EP représente sa naturelle évolution durant l’année, avec les morceaux « Universal Glow », « Felix » et « Porto Seguro ». Elle ne cesse de produire en 2015 : en plus de ses apparitions sur Idle Hands et Brstl (Moods/Lumi), elle signe « SSS », un morceau electro (au sens cosmique hollandais, à la Legowelt, ou aux origines de Detroit de Drexciya), sur le label londonien Apron Records, l’EP Being sur le label américain Future Times et Alma (« Golden », « Nu4him », « Sun ») sur Secretsundaze, le label de Giles Smith et James Priestley.

Shanti

En plus d’un EP partagé avec Call Super pour les dix ans du label hollandais Dekmantel, Shanti re-saute dans le vide en février 2017 : elle crée son propre label Peach Discs. Pour la première fois, elle se sent libérée, délivrée : ni changement de ligne, ni contrainte pour correspondre aux critères. Avec Peach Discs, elle est maîtresse de son art : « Je veux sortir une musique qui me rende heureuse et fonder une petite famille avec tous mes amis et amis d’amis qui, je le sais, font de la bonne musique », annonce-t-elle à sa création. Elle lâche un premier EP Untitled avec les morceaux « Loop One » et « Selector » qu’on a inséré plus haut dans cet article.

Pourtant, Idle Hands reste historiquement le label déterminant dans le début de la carrière de la productrice british, elle qui travaillait derrière le comptoir de la boutique lorsqu’elle a ouvert. En avril 2017, Shanti sort une nouvelle fois un EP sur le label : Make Time. La face A avec « Make Time » laisse entendre des bruits de percussion, l’eau qui ruisselle, les synthés et quelques vocaux fragmentés, une techno ambiante plus introspective. Sur la face B, « Thoughts », techno ambiante mais plus piquante, donne la vague impression qu’une multitude de petites lampes sont disposées en quinconce sur notre corps et qu’elles s’allument chacune à leur tour dans un ordre aléatoire. On se laisser planer ? Un, deux, trois : trippez.

Entre temps, Shanti déménage à Londres – ville qu’elle apprécie pour son multiculturalisme, « pour la musique, l’art et la mode », dit-elle à Crack Magazine – et vit aujourd’hui à Berlin, la techno city. Original ? OK, non. L’artiste reste pourtant encore très engagée dans son pays. En février dernier, elle était invitée à animer avec son pote Hodge un atelier de production gratuit au club de Brighton, le Patterns. Les deux s’amusaient à déconstruire leurs propres productions musicales et conseillaient les artistes locaux en devenir, qui ont pu ensuite jouer les morceaux créés pendant la journée.

Shanti produit pour la bonne cause aussi. En janvier 2016, elle fait partie des neuf artistes compilés sur la deuxième collecte de fonds annuelle du label de Glasgow Craigie Knowes. Les profits sont reversés à l’ONG War Child, qui vient en aide aux enfants dans les zones de conflit armés. Aux côtés de Legowelt et Yoshinori, elle nous emmène avec « Dolphin Chant ». Elle a ensuite refusé d’aller mixer en septembre dernier au Meteor Festival, à Tel Aviv. Le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahu ayant promulgué en juillet une loi définissant Israël comme ‘État-nation du peuple juif’ (loi contraire aux principes fondateurs d’Israël), plusieurs artistes programmés (Mall Grab, Honey Dijon, Shlohmo ou encore Lana Del Rey) ont annulé leur prestation et répondu à l’appel du mouvement BDS (Boycott, Diversity and Sanctions).

Plus récemment enfin, lors de l’ADE 2018, une lettre ouverte tourne pour retirer le DJ Konstantin des trois soirées auxquelles il devait participer (rappelez-vous). La lettre intitulée ADE – ne vous réjouissez pas du sexisme récolte alors plus de 2000 signatures : « Nous, femmes, danseuses, DJs, auteures, bookeuses, activistes et mélomanes, nous en avons assez du sexisme dans l’industrie de la musique électronique. » Shanti fait partie des artistes signataires, aux côtés de The Black Madonna, Helena Hauff, Octo Octa, Discwoman et Shamiro van der Geld.

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Depuis septembre 2014, Shanti nous régale une fois par mois sur NTS. La webradio londonienne, créée par Femi Adeyemi, l’un des fondateurs de Boiler Room, et Clair Urbahn, une productrice anglaise, lui laisse carte blanche. Pendant deux heures, Shanti envoute avec sa sélection pointue et vient accompagnée d’amis-artistes tels Palms Trax, Daisy Moon ou Willow. Dans sa dernière en date avec Leewok & Curly Waters, on se repaît de sons soul et R’n’B : « Girl » des Destiny’s Child, « Tell me » de Groove Theory, « Heartbeat » de Moodie ou encore « Don’t rush » d’Ann Cain. Retenez moi, je vous dis.

Laissez-moi finir par cet extrait d’une interview pour Mixmag en janvier 2017. Le journaliste lui demande en quoi la dance music est nécessaire dans une époque comme celle que l’on vit actuellement, où l’on a l’impression que le monde va s’effondrer. La réponse de Shanti : « Tu vois, quand tu es en club, que les lumières sont un peu rouges, que tu regardes autour de toi, que tu vois tous tes potes en train de danser, et que tout le monde a l’air vraiment heureux ? C’est ça qui est important. » Pas mieux.

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