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Entraide entre les générations de femmes dans la musique

Deuxième volet de notre article dédié au programme de mentorat pour les femmes entrepreneuses dans la musique : MEWEM. Après vous avoir présenté cette initiative de la Fédération Nationale des Labels Indépendants (FELIN) ici même, on rentre un peu plus dans notre sujet avec l’interview d’une « mentore » en la personne de Béatrice Macé, cofondatrice du festival les Trans Musicales de Rennes et d’une jeune femme qu’elle a pris sous son aile, Daphné Honigman, et qui a lancé le Dérives Festival.

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Béatrice Macé, photo par Sarah Bastin

Béatrice Macé, vous êtes cofondatrice des Trans Musicales, avez notamment été élue Présidente de la Fédurok, désignée par le CA du CNV comme Présidente de la Commission 2 « Festivals » …, pour quelles raisons avez-voulu participer au programme de mentorat MEWEM ?

Béatrice Macé : Même si au premier abord on peut penser que les choses évoluent et s’améliorent depuis les rapports Reine Prat, en 2006 puis 2009, les chiffres que le réseau HF compile continuent à montrer une situation où les femmes sont toujours sous-positionnées et désavantagées dans leur parcours professionnel. Ce qui est, de mon point de vue, totalement injuste et injustifié. Et puis toujours = c’est systémique. Le système qu’il soit global ou restreint au domaine culturel n’a pas changé. Alors nous devons chacun et chacune prendre une part active à cette revendication d’équité de considération des femmes dans notre monde. Un peu plus active que d’être directrice de structure culturelle en ce qui me concerne. Je suis adhérente de HF Bretagne, l’Association Trans Musicales l’est aussi. Mais la proposition de participer à MEWEM allait plus loin, plus concrètement et me demandait un investissement dont je pense avoir besoin à titre personnel : celui d’essayer de faire changer les choses au-delà du projet que nous portons avec Jean-Louis et Erwan.

Quels sont les points principaux sur lesquels il vous semble d’appuyer pour aider au mieux votre « mentorée » ?

C’est ma première expérience de mentorat. Je suis donc en train d’apprendre. La relation s’est construite facilement et rapidement avec Daphné. C’est d’abord une rencontre et relation humaine à deux voix. Les points d’appui apparaissent au fur et à mesure des conversations, des échanges. Ce sont les enjeux à identifier et à débroussailler pour faire avancer la personne dans son processus d’évolution. L’objectif est d’être utile à la personne. Comment ? Je pense que le mentorat est un accompagnement. C’est un cheminement aux côtés de la personne sur les sujets qui sont importants pour elle. Et nous lui apportons un regard différent, plus sur surplomb par rapport à son parcours et ses intentions, et aussi « documenté » par notre expérience personnelle. C’est à la fois un partage et une transmission. Je pense que les personnes qui ont décidé d’être mentorées sont à un moment particulier de leur parcours où il faut prendre de « grandes décisions ». Nous sommes là pour les aider à mieux formaliser leurs questions. Et leurs questions deviennent nos points principaux.

Dans le mentorat, il y a notamment une aide à ‘progresser dans sa posture de cheffe d’entreprise’. Que cela signifie-t-il ?

Même si je me considère comme actrice culturelle et cheffe d’entreprise, j’ai plus travaillé ma première fonction. Je pense qu’elle détermine la seconde plus que l’inverse. Donc j’ai dans un premier temps commencé par parler projet avec Daphné : projet professionnel et projet personnel. Nous commençons juste à travailler la dimension économique. Dans les circonstances actuelles, nul doute que cela va prendre une grande place. Mais je n’ai pas de réponse plus précise à vous proposer.

Retrouvez le premier volet de notre article dédié à MEWEM ici.

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Daphné Honigman, photo par Sarah Bastin

Daphné Honigman, quel est votre parcours professionnel avant le projet du Dérives Festival ?

Entre 2012 et 2014, j’ai passé près de deux ans à Berlin, deux mois en Espagne, et j’en ai pas mal profité pour voyager dans les pays alentours. J’ai pris goût au voyage, ça m’a ouvert les yeux et l’esprit sur le monde et donné envie d’aller toujours plus loin pour découvrir d’autres cultures, modes de vie, et toutes ces choses qui améliorent notre compréhension de l’Autre et, ainsi, de nous-mêmes. Je suis revenue à Paris en 2014 après une licence de droit français et droit allemand et une année sabbatique, et j’ai suivi un MBA en deux ans de Management de Projet Culturel en me spécialisant dans les secteurs de la musique et du spectacle vivant. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’opportunité de connecter mes passions pour la musique et le voyage, en concevant Dérives Festival avec deux amies pour notre projet professionnel de fin d’études. Au départ, ce n’était qu’un projet théorique… Qui s’est finalement concrétisé en 2017, et continue à évoluer depuis.

Avant la concrétisation du projet, j’ai également passé un an au sein du collectif SOUKMACHINES, où je touchais un peu à tout : communication, production, administration. C’était une super expérience et c’est un projet que je soutiens toujours à fond (je suis toujours dans le collectif aujourd’hui). Je les ai découverts au Pavillon du Docteur Pierre à Nanterre en 2015, c’était la première fois que je voyais une teuf en bas de chez moi, ça passait des musiques africaines et latines en pleine journée, j’ai été impressionnée par le format et la diversité musicale, à l’époque où j’étais habituée à n’entendre que des musiques électroniques dans tous ces événements qui attirent en banlieue des Parisiens en manque d’espaces. Travailler pour un véritable acteur associatif de la vie locale et culturelle, avec des valeurs de partage et d’accessibilité réelles et appliquées qui n’empêchent pas pour autant l’association de proposer un contenu culturel innovant, original et hyper qualitatif, a clairement influencé mon engagement culturel et mon positionnement dans ce milieu.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la création de votre entreprise ?

Pour faire naître le projet Dérives, nous avons créé une association de loi 1901, nommée FAR EAST PROD. Le choix de l’association était évident car nous voulions développer un projet à impact culturel et social et non une activité purement commerciale. Comme beaucoup d’acteurs de ce secteur, je ne me verse aucun salaire encore aujourd’hui et compte sur des activités annexes : j’ai été serveuse, chargée de recrutement des profs dans une boîte de cours de musique à domicile, je donne aussi des cours de musique… on jongle toujours un peu en fonction des périodes ! La réglementation d’une association en France limite les possibilités de rémunérations des acteurs impliqués pour des petites structures, et il n’est pas facile de travailler sur un projet non lucratif en espérant pouvoir en vivre. Aussi, l’équipe du festival change chaque année, et comme nous sommes tous bénévoles, ça a parfois été difficile de travailler en équipe et de manière continue avec une implication instable forcément liée à ce modèle économique fragile qui impose un investissement chronophage. Mais au final, aujourd’hui on a une super équipe, et plus motivée que jamais. Je réfléchis toutefois à la création d’une nouvelle forme juridique pour notre structure, qui ira de pair avec l’élargissement du spectre de nos activités dans le domaine de l’accompagnement et de la diffusion artistique des scènes extra-européennes.

Vous organisez le Dérives Festival, qui met à l’honneur les cultures du monde. En ce sens, Béatrice Macé à l’origine des Trans Musicales, doit bien connaître le terrain et les problématiques de la programmation à échelle mondiale, des voyages et des réseaux internationaux. Vous aide-t-elle dans ce sens ?

Plus que les problématiques liées à la diffusion internationale du spectacle, qui sont inhérentes à tous types de structure dans le secteur de la musique, Béatrice m’aide à positionner et structurer mon projet, et mettre des mots sur la vision que je souhaite transmettre, pour pouvoir mettre en lumière la pertinence du festival auprès des bons interlocuteurs. Elle a commencé, comme moi, bénévole au sein d’une association qui voulait sortir des sentiers battus et atteindre un public qui viendrait casser sa routine pour une expérience nouvelle ; ce qui fait qu’elle m’apporte son regard aiguisé d’experte en la matière, tout en comprenant le chemin par lequel je suis en train de passer. Si Dérives Festival a une ligne artistique différente de celle des Trans, je retrouve ma vision et mon projet dans certains aspects mis en valeur par le mythique festival rennais, comme le défrichage musical, le décloisonnement des genres musicaux, l’attention portée aux publics à travers une volonté de transmission et d’échanges. C’est, à mon sens, l’un des enjeux majeurs de la programmation à l’échelle internationale : parvenir à réunir les conditions pour que, lors d’un concert, l’émotion passe et crée une connexion entre les artistes et le public de telle sorte que le barrage de la langue, de l’apparence, de la culture devienne caduque. Il s’agit de convaincre notre audience que, comme le dit si bien Béatrice, « l’inconnu vaut toujours la peine d’être vécu ».

Quelles sont les autres choses essentielles sur lesquelles Béatrice vous fait-elle avancer plus sereinement ?

Je dirais que le mentorat est avant tout un travail d’accompagnement ; Béatrice m’aide à cadrer mon travail, mettre en avant les forces de mon projet et mes compétences, et pointe mes limites, notamment quand je m’éparpille trop… C’est très utile et enrichissant d’avoir un regard extérieur avec de l’expérience pour les entrepreneur·ses en début de carrière comme moi, car il est parfois difficile de savoir quand prendre du recul et déconstruire pour mieux reconstruire, et quand il faut croire à son instinct et foncer tête baissée. On travaille également sur le savoir-être, la confiance, le positionnement… C’est un travail de réflexion intérieure et d’image extérieure qui est vital pour réussir à se démarquer en tant qu’entrepreneur (et surtout en tant qu’entrepreneuse) dans ce secteur très concurrentiel sans pour autant dénaturer son projet.

Retrouvez le premier volet de cet article dédié à MEWEM ici.

Crédits photo en une : Sarah Bastin

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