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Daughter au Trianon, 75 minutes à l’abri du monde

Daughter, je connaissais. J’avais écouté leurs deux disques, et certaines de leurs sessions live pour la radio. Toujours un peu d’une oreille distraite. Toujours entre deux choses plus importantes à faire.

Les membres du groupe arrivent sur scène. On s’arrête de discuter de tout et de rien. J’étais justement en train de dire que peut-être pourrais-je écrire le report de ce soir. Et puis, dès les premières notes, je suis coupée des distractions, j’oublie les choses importantes à faire. J’apprécie ces concerts qui me font oublier qu’il existe un monde derrière les portes, les embouteillages et les cris. On est bien, dans la pénombre des salles, les oreilles et la cage thoracique emplies de la réverbération des guitares et d’une voix duveteuse.

Pourtant, Elena Tonra ne nous berce pas de douces ballades. Elle écrit des chansons et des textes durs, qui nous parlent de solitude, de séparation, de manque, portés par des instruments qui se veulent surtout atmosphériques, nébuleux. Dans cet écrin parfois bleuté, parfois orné de rouge dû à une composition scénique minimaliste, mon regard se perd. Sur les gens. C’est une parade pour éviter de me pencher trop sur mon ressenti. J’ai envie d’apprécier le concert. Mais pas de me noyer dedans. Alors j’observe.

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Mon regard s’arrête sur une jeune fille dans les premières tribunes. Elle est habillée en rouge, avec de longs cheveux noirs qui lui tombent sur les épaules. Son regard se perd à mille lieux du Trianon. Où exactement ? Elle seule le sait. Ses traits ne sont pas tristes, ni tirés. Son visage est calme mais mélancolique. Elle ne réagit pas à la musique et pourtant, on sait qu’elle écoute attentivement, ses yeux désormais rivés sur Elena. Les miens parcourent la foule et rencontrent les mêmes traits, les mêmes expressions lointaines.

Certains ferment les yeux et balancent doucement au rythme de la musique. “Don’t bring tomorrow, ‘Cause I already know, I’ll lose you…” Aux notes de « Tomorrow » une jeune fille essuie ses larmes avec son écharpe.

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Mes yeux se posent à nouveau sur la scène. Je rougis. Je me sens aussi gênée que si j’avais espionné le public à travers la fenêtre de leur chambre. Aller à des concerts pour oublier le reste du monde. Je souris à l’idée. Mon attention reste rivée, là, sur la scène, pendant qu’Elena et la pianiste scandent « No care, no care in the world », le regard grave sous les strobes. Soudain, je ne peux à nouveau occulter ce public qui se réveille pour le titre phare du groupe, « Youth ». Les gens fredonnent les paroles et sortent les téléphones portables, dans un enthousiasme qui me surprend. La sobriété revient pour le titre « Smother ». C’est ma chanson. Celle qui nécessitera quelques secondes avant de m’en remettre pour écouter la suite.

Le concert se termine dans une longue outro durant « Fossa » et les membres du groupe posent leurs instruments avec regrets. Ils ne veulent pas partir. Et nous ? Nous non plus. Pourquoi ? Peut-être pour ne pas oublier trop vite que, si on dit parfois d’une oeuvre qu’elle est belle à en crever, certains concerts nous font surtout nous sentir vivants.

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Crédit photos : Hana Ofangel

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