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Dans l’entremonde, au festival Baleapop

Imaginons qu’entre deux couches du monde, il existe des entremondes. Qui est aussi monde, mais autrement. Et qui justifierait la théorie de Jeanne Boulart, boss de Baleapop, selon laquelle « les festivals, c’est les nouvelles tribus ». Reportage pas super précis mais tout à fait ému de la dixième et dernière édition d’un des plus beaux événements français.

N’en déplaise aux aficionados des plats tout faits du premier rayon de leur supermarché de quartier, il existe un entremonde particulièrement fourni pour qui prend le temps de manger. Car oui, il est bien question de bouffe lorsqu’on parle d’un festival basque, qu’on l’aime bien en bouche ou qu’elle nous sorte par les deux oreilles.

Cet entremonde est le nôtre, à vrai dire. Il n’existe pas que dans les têtes, il est là depuis le début et on y trouve les mêmes troubles qu’ailleurs, les mêmes marches d’escalier trop hautes, les mêmes bourrasques qui foutent la mèche à la verticale, les mêmes poches trouées. Comment le reconnaître alors ? A Baleapop par exemple, il est en plein air, il se marre tout le temps et il ne déjeune jamais à la bonne heure. Ça fait pourtant 10 ans qu’on lui explique que danser sur des plages publiques et gratuites n’est pas exactement la définition d’une bonne vie bien faite, rien n’y fait. 10 ans qu’on lui rabâche de ne pas mettre les doigts dans la brise, de ne pas dormir le visage collé contre sa toile de tente dans un camping de Saint-Jean-de-Luz ou à l’intérieur d’un buisson à Bidart, d’éviter de couper ses données mobiles parce que ben oui « t’es où ? », « tu fais quoi ? » et « t’as vu les news ? » quand même. Rien de tout ça.

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Dans le monde de l’entremonde de Baleapop, celui où il faut lire entre les lignes, s’ennuyer pour s’amuser parfois, on n’est pas contre les paradoxes.

Oui, on est plein de bobordelais et de photographes paparizziens. On croise de temps en temps quelques hippies qui garent le camion sur le point de vue du square de la Croix d’Archilua, non loin de la plage d’Erromardie, parfois des maudits ravers qui ouvrent la portière du même camion pour jouer en exclu du front de mer un live bruitiste pour les couche-tard que seule la fin de la poche du cubi de Txakoli rouge peut arrêter. Oui parfois des pull roses Manif pour tous débarquent là sans trop savoir qu’ici leurs lois ne sont pas autorisées.

Badauds sacrifiés sur l’autel de la teuf,
Futurs patrons de PME
Et de résidences secondaires
Avec vue-sur-Baie
Ci-gisent leurs cœurs mous
Aux pieds d’un Bernardino Femminielli mi-nu
Pompant le braquemart géant
D’une poupée gonflable

bernardino

Mais surtout, les fans de musique sont légion. Il y a les pointards du rock qui pullulent, des guitares de petit fantôme et de la folk de Botibol ; des licornes au miel de Connan Mockasin qui régalent, d’autant plus s’il y a des problèmes techniques pour faire parler, gémir, grimacer et s’effeuiller son frontman ; du synthé d’Emile Sornin de Forever Pavot, semble-t-il bloqué sous acide dans le générique du dessin animé de Tintin. A vie. Il y a les techno heroes, de ceux qui ont demandé au four-to-the-floor-techno-Berghain de passer son chemin. Mais de l’afro-house de Young Marco qui avait arrêté le déluge en 2015, des séances d’improvisation electro, bass, breakées à 10 mains de DSCRD, de la terreur punk d’Usé, « scandeur de mantras » et percussionniste amiénois, on souhaite la bienvenue, on donne le couvert, on borde le lit.

Ce sont deux trop courts jours et nuits passés dans le Parc Ducontenia de St-Jean en compagnie des festivaliers de Baleapop, devant les installations de Manon Boulart, Nicolas Daubanes, Ivan Argote ou Séverin Guelpa… Si courts. Bon, si ça avait duré 24h de plus, on aurait encore trouvé quelque chose à redire, non ? Le festival confirme la règle qui voudrait que notre mortalité soit la condition d’une vie pas trop emmerdante : la fin annoncée de Baleapop n’a fait qu’ajouter à l’électricité dans l’air. Entre les doigts qui pianotent, qui s’effleurent et qui tapotent, une envie de se rapprocher. Les rencontres éphémères se produisent partout, dans un mouvement aléatoire, amis-pour-la vie d’une heure, mélanges d’accents et de postillons, de caresses et de roulades, de poings et de genoux levés.

Alors quand vient le grand final du samedi, un Zaltan torse poil flamboyant joue deux fois « Born Slippy » d’Underworld ainsi que le « Bouge de là » de MC Solaar pour bien signifier à tout le monde que c’en est fini, barrez-vous, en riant. Jeanne Boulart et Pierre Lafitte, les parents du festival, ainsi que leur famille Moï Moï, ne répondent plus de rien. On entre alors dans un moment purement sensible, émouvant, palpable, non réformable, non réfléchi, qui crie à qui veuille bien l’entendre ou le voir que c’est là, maintenant, tout de suite que tout se joue, que la vitalité naît de cette compression des corps et de la vibration des ondes. Des larmes et des rires de la communauté ivre qui presse le patron d’Antinote sur scène, les embrassades qui durent de longues seconde et qui marquent au fer rouge, à vie, tout le public se sent l’humeur geignarde. Bouleversant. Une voix s’élève du public enjoignant à ne pas être triste. Baleapop n’est pas mort. Il part en trombe, ses membres ne se sont pas en froid, il n’est pas ruiné, il est plus beau qu’il ne l’a jamais été, ses ailes sont multicolores, ses projets sont devenus chantiers, ses chantiers ont fait des petits. Et même des grands.

« Quiconque muni de bouts de paille, de patience et de bons amis peut parvenir à construire des palais » Baleapop 2009 – 2019

Dans l’entremonde, qu’on croit caché du monde classique, on y trouve des choses comme Baleapop. Mais ça n’est que l’un des millions de milliards de sens du mot amour.

muxu

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