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Critiques musicaux de tous pays, unissez-vous ! (mais sortez de votre bulle)

Ça sonne comme une évidence, les portes d’entrée vers une oeuvre sont responsables d’une grande partie de nos sensations. Conseils avisés et personnalisés d’un proche, chroniques radio, blogs, youtubeurs et médias défricheurs constituent le point de départ de milliers de scénarios possibles pour appréhender disques, films, tableaux, récits, poèmes. Voici une tribune pacifique qui raconte la puissance des portes de la perception, euh, prescription. Et, contrairement à ce que nous conseille tonton Huxley, vous n’aurez presque pas besoin de mescaline pour lire cet article.

Critiques de tous temps, unissez-vous, vous n’êtes pas que des chieurs impotents universellement haïs. Enfin, presque (alternative fact). A l’époque où la culture est populaire et se déguise souvent sous les traits du divertissement, votre rôle a faibli mais subsiste. Il faut vous y faire, François Truffaut punchlinait déjà à l’époque que « tout le monde a deux métiers dans la vie : le sien et critique de cinéma. » Comme quoi il n’était pas que bon jardinier.

Le profil type du lanceur d’alertes des mouvements encore invisibles des grands médias a évolué avec le temps, souvent parallèlement avec les arrivées successives des nouvelles technologies de communication. Avec le temps, vous avez deviné, on est aussi passé d’une circulation de l’information des plus verticales – peu de médias, peu de canaux culturels, pas encore assez d’ouverture sur le monde – à un réseau global où chaque individu est transformé en média visible aux yeux du monde grâce à la magie d’internet.

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Je suis un critique, tu es un critique

Au milieu de tout ça se sont construits des magazines et fanzines musique dits défricheurs (quoiqu’après une rapide googlisation du mot, son sens se soit relativement perdu : le magazine VSD l’utilise pour se présenter, CQFD) et avec eux certains critiques célèbres comme Robert Christgau, Greil Marcus, Lester Bangs, Nick Kent. Et si la phrase de Franck Zappa (artiste dont la musique a été régulièrement démolie au hachoir par Bangs) : « Most rock journalism is people who can’t write, interviewing people who can’t talk, for people who can’t read » reste pleine de sens, force est de constater que ses 105 albums (dont 43 posthumes) n’auront pas pu empêcher à cette pratique de persister. On ajoutera que derrière le critique culturel se cache également et avant tout un artiste raté.

Ainsi, tout le monde est un critique en puissance. Nous sommes à une époque spéciale : le jour où Beyonce décide de poster un morceau du chanteur Christophe sur sa page Facebook, le Français toucherait plus de personnes qu’il n’en aurait jamais même rêvé de la part de toutes les tournées et plateaux TV qu’il s’est fadés de sa vie. C’est déjà arrivé, il y a quelques années, Skrillex a partagé un morceau d’Aphex Twin en apprenant au monde que c’était l’artiste qui l’avait le plus influencé dans sa vie. Croyez-nous sur parole, dix ans d’articles du leader du webzine électro Resident Advisor n’ont pas eu autant d’effet que ce jour-là.

Ce qui peut être agaçant, c’est que certaines choses ne changent pas et ce malgré la popularisation de la culture. Il est par exemple très rare qu’on vous parle dans les médias culturels « spécialisés » de culture populaire avec la même technicité ou la même verve qu’une musique en apparence moins facile d’accès. Par médias culturels « spécialisés », je traite ici particulièrement des médias plutôt bobo-branchés (dont nous faisons partie) parfois perdus dans un malheureux entre-soi et je mets de côté les magazines de droite par pur et simple mépris (et parce que je ne les lis pas : eh ben bravo, la voilà la preuve de non-ouverture). Pour preuve, comptez-moi le nombre d’articles qui traitent de la musique de Rihanna ou de Johnny de façon intelligente. Non, d’un côté vous aurez les points de relais d’info qui vous diront à quel point ils sont beaux, sexy et bien fringués (médias de masse), de l’autre à quel point ce sont de simples beaufs débiles (médias culturels branchés).

Frederic-Beigbeder

Frédéric Beigbeder

Chroniqueurs de tous pays

Il faut à tout prix éviter de rester entre vous comme dans le Médoc ou en Vendée, on voit déjà que vos enfants ont un air un peu bizarre ( #padamalgam). Parlez-nous de Rihanna comme d’un solo en field recording d’une face B d’un EP de free jazz. Et parlez-nous de free jazz dans un langage qu’on peut comprendre, nous, pauvre mortels. Amenez-nous à écouter Céline Dion différemment comme dans le Mommy de Xavier Dolan, du Françoise Hardy dans le Moonrise Kingdom de Wes Anderson (mais pas trop, pour pas qu’on se retrouve avec mille groupes comme The Pirouettes), du France Gall dans un set de Romain Play du Camion Bazar, allez voir ceux de Laurent Garnier habités des voix de Nirvana et de The Doors entre deux morceaux de techno.

Parce qu’on ne tombera pas tous les 10 ans sur une Amy Winehouse qui ralliera aussi bien les critiques que le grand public, le rôle de prescripteur restera important. Et même s’il reste encore quelques chroniqueurs presse, TV ou radio qui sont probablement bien payés et que ce sont bien les derniers, il est essentiel de rappeler une chose : le journalisme de confort n’a pas de sens. A rester entre eux à parler un langage qu’eux seuls comprennent, ces faux-prophètes élargissent leurs angles morts et loupent l’essentiel, le vivant, l’émouvant.

Un jour, un ami m’a raconté entièrement le film La planète des singes : Les Origines de Rupert Wyatt (aucun lien, fils unique) qu’il venait d’aller voir. Comme je n’avais pas vraiment l’intention d’aller payer une place de cinéma pour voir des singes humanisés en images de synthèse, je lui ai laissé me spolier tout le film. Bizarrement, il me l’a tellement bien raconté – et sans doute ajouté tant de magie – que c’est l’un des souvenirs cinématographiques les plus puissants que j’ai gardé en mémoire. Encore aujourd’hui, je me rappelle d’avoir été comme aspiré par son histoire. Alors que ce film est relativement nul. Mais en le voyant, je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir un romantisme particulier et une grande épopée. Grâce à lui.

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2 commentaires

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Brdr 01.03.2017

Réflexion intéressante, merci pour cet article.

Personnellement, je reste sceptique sur l’existence réelle d’un lectorat pour les critiques musicales en ligne. Des blogs et des sites de critiques, ça il y en a. Chaque étudiant en journalisme – ou presque – désireux de montrer ses talents y va de ses chroniques. Des centaines, des milliers, des millions de critiques de disques ou de concerts inondent la toile. Mais pour quels lecteurs ? On a parfois l’impression que ces textes sont lus uniquement pas deux personnes : la mère de l’auteur(e) et l’attaché(e) de presse de l’artiste.

Je ne jette pas la pierre à la nouvelle génération de rock critick amateurs, j’ai moi même exercé il y a quelques années. J’y ai glané un peu d’expérience et surtout, beaucoup de CD gratuits et d’invitations à des concerts. Quelques années plus tard, une question reste néanmoins : les artistes concernés ont-ils vendu un disque ou un ticket de plus grâce à mes écrits ? J’en doute. Et j’en doute d’autant plus depuis l’émergence de Spotify, Deeez ou Youtube. A chaque sortie d’un disque de son artiste préféré, mon réflexe est désormais plus de lancer ces plateformes que d’aller lire la chronique de mon webzine préféré (désolé sourdoreille).

Dès lors, peut-être faudrait il réinventer effectivement l’exercice. On pourrait faire le choix d’un pur exercice littéraire (mais n’est pas Lester Bangs qui veut!) ou se limiter aux artistes émergents (mais qui ira cliquer sur des liens aux identités inconnues ?). La balle est dans le camps de la nouvelle génération d’auteurs. Un seul conseil : amusez-vous bien !

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Distortion 17.02.2017

Cet article est beau. Bravo !

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