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Une chronologie de la pop enchantée

Dans ce papier, on tente de dresser une pseudo-histoire de la pop enchantée, un non-style qu’il ne tient qu’à nous de définir. Outre certaines passerelles « techniques » évidentes entre les artistes qui suivent, le terme nous sert ici surtout pour définir de nouveaux ponts. Et si, au-delà du style, ce qui rassemblait le plus Pink Floyd, The Zombies, Robert Wyatt, Cocteau Twins et Flotation Toy Warning se tenait dans leur capacité à attiser notre imaginaire ? Et si tous les rêves qu’ils nous inspiraient étaient là leur plus secret souhait ? Oh, les mesquins.

1967 : Aux pseudos-origines, Pink Floyd

Lorsqu’on se plonge dans cette pop enchantée, tout a tendance à nous ramener à Pink Floyd. Si vous êtes comme nous de fervents défenseurs de l’époque The Piper at the Gates of Dawn (1967), vous conviendrez qu’on y trouve déjà toutes les prédispositions au rêve agité. Les voix superposées donnent un ensemble dissonant qui attise la curiosité. On ne se love pas dans la chaleur douillette d’un lit, nos sens ne s’endorment pas tout à fait, ils sont au contraire hérissés sans être blessés. En demi-sommeil hallucinatoire.

L’heure n’est pas encore arrivée pour David Gilmour de vendre des chaînes stéréo pour diffuser The Dark Side of the Moon (1973) dans les Fnac et les Virgin Megastore du monde. L’ensemble est bancal et relativement expérimental et évoque parfois plus le cauchemar que le rêve, mais les bases sont posées : on ne contrôle plus nos songes. Floyd, oui.

1968 : The Zombies, le manège enchanté

La possibilité de fuir le monde est évoqué au même moment en mots et en notes par The Zombies, groupe anglais bien moins reconnu du grand public. Erreur révélatrice d’une industrie qui n’en est alors pas loin de jouer à pile ou face pour choisir ses nouvelles stars pop. En 1968 sort Odessey and Oracle, un second album du groupe ayant tout l’air d’une invitation à la fugue. En concevant ce parc d’attraction pop à l’aube de la fin du rêve hippie de changer le monde, The Zombies tend un pont vers l’imaginaire. L’auditeur se retrouve dans une version colorisée de la maison en sucre d’Hansel et Gretel, ferme les yeux, les rouvre avec Pollux et Azalée dans un curieux manège enchanté augmenté. Une succession de huis clos merveilleux sans porte de sortie que la claustrophobie guette comme la descente d’un junk.

L’album intègre des codes de la pop baroque à l’instar des productions de Phil Sector ou de Brian Wilson : clavecin, clavicorde, violon, hautbois, cor et flûte traversière peuplent les tableaux bizarres des sixties progressives des Beach Boys, des Yardbirds ou de Jeff Beck. Célébré à titre postérieur (industrie : « eh revenez, en fait, il était bien votre album »), un jeune groupe lyonnais a notamment récemment pris le nom d’Odessey and Oracle comme nom de scène, prouvant l’universalité et la survie durable de cet objet de possession mentale total.

1974 : Robert Wyatt, l’exploration moribonde

Robert Wyatt sort Rock Bottom, second album solo, son premier après son départ de Soft Machine et un accident lui paralysant les membres inférieurs (lui obligeant à arrêter définitivement la batterie). Dans cet immense joyau de rock progressif, il allie sa voix (et quelle voix) à d’intimes et voyageuses instrumentations. Telles les grandes explorations de la Renaissance et du XVIe siècle, le voyage n’évoque ici pas uniquement la soif de découvrir et la faim de nouvelles aventures, mais aussi un sentiment constant de peur (de mort) imminente pour qui ne sait pas ce qui peut bien se trouver derrière la ligne d’ombre des planisphères, pour qui ne sait même pas que la Terre est ronde, pour qui ne part que parce qu’il n’a plus rien à perdre. Oui, Christophe Colomb, Jacques Cartier, James Cook et Marco Polo n’étaient que de moribonds vogueurs.

L’album de Wyatt est un tel ravissement qu’on remercierait presque le ciel de son handicapante chute de la fenêtre si on manquait d’humanité. Autant vous dire qu’à côté, le Goodbye Yellow Brick Road d’Elton John sorti peu avant semble un voyage guidé par le Routard et organisé par le Club Med du quartier.

1986 : Cocteau Twins, l’harmonie celtique

Les années 80 et 90 verront les Écossais de Cocteau Twins débarquer en totale contradiction avec les effets synthétiques et dégoulinants du moment. Prenons par exemple Victorialand, sorti en 1986, après quelques trois albums, sept EP et deux compilations sorties depuis 1982. Pour ce disque « concept » autour de la Terre Victoria, une région de l’Antarctique, les Cocteau enlèvent leur casquette post-punk. Comprenez-le comme ça : l’ermitage plutôt que le front, le temps d’un disque. En plus d’une guitare acoustique et ses effets de réverbe polaire, on y trouve du saxophone soprano et du tablâ, une percu indienne, qui tapissent ce chef-d’oeuvre.

Lorsque l’être humain essaie de mimer la nature, il ne lui arrive qu’à la cheville. Pourtant quand il l’accompagne, il est capable de grandes beautés. Si on écoutait Chassol, on parlerait d’harmoniser le réel. Mais en Antarctique, comment parler de réel ? Là où les monts et les glaciers les plus bruts n’ont jamais attisé que l’imagination collective pouvant étourdir le plus cartésien des géologues. Rien n’est trop abstrait pour qui s’affuble le nom du poète français. Rien n’est trop merveilleux pour les Celtes et leur mythologie.

2004-2005 : Flotation Toy Warning, le sublime fardeau

En 2001 débarque une bande londonienne prête à en découdre avec nos nerfs. C’est au label bordelais Talitres qu’on doit sa découverte en 2005 via la sortie française de l’album Bluffer’s Guide To The Flight Deck, sommet de pop possédée. Une fanfare nonchalante est menée par une voix à chialer que le groupe traîne comme un fardeau, tel un cortège de pleureuses nord-coréennes. Comme les mots semblent futiles au son du clairon pacifique de Flotation Toy Warning. Le groupe était notre « oublié du mois » il y a tout juste un an et, hasard du calendrier, avait décidé de revenir douze ans après son dernier disque pour nous laisser sans voix, hagards hagards.

Il nous semble qu’une constante semble s’imposer à ces groupes dont on fait une éloge non dissimulée dans ce papier : ils nous paraissent tous fatalement sous-estimés, laissés sur le bas-côté de la grande Pop culture. Dernière petite remarque : on ne s’attarde pas trop sur le label Talitres dont on a maintes fois chanté la grandeur, mais entre ses signatures de Le Loup, François & The Atlas Mountains ou Stranded Horse, on aurait pu aisément tous les faire figurer ici. Sans problème.

Bon, et puis après, on aurait pu ajouter des Syd Matters, Peter Hammill (de Van der Graaf Generator), Bertrand Burgalat ou Magnetic Fields, mais on nous accuserait de changer de sujet. Mais pour nous, ils participent tous amplement à l’exploration géographique de notre esprit. Et à cette beauté bizarre. Mais la beauté quand même. Pour conclure, la pop enchantée est à la pop trop évidemment produite ce qu’Olive Hoover, la petite fille de Little Miss Sunshine, est aux concours de mini-miss : hors concours, difforme des codes en vigueur, mais bien vivante. On pourrait dire vibrante.

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