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Aux origines de Luciano

En 2004, un an après la publication d’un des plus grands chefs-d’œuvre de la musique électronique, Alcachofa de Ricardo Villalobos, sort Blind Behaviour, premier long format du DJ et producteur suisso-chilien Luciano. Cet album avançant à tâtons, plein d’erreurs et de romantisme met pourtant définitivement Luciano sur le devant de la scène. Si aujourd’hui, ses bacs à vinyles, comme ceux de Carl Cox et de Richie Hawtin ont établi domicile à Ibiza, on n’oublie pas celui qui a contribué à la popularisation d’une musique house et minimaliste délicieuse.

A la fin des années 90, une époque pendant laquelle les jeunes qui s’intéressent à la musique électronique n’ont toujours pas prononcé le mot minimaaaaale – ou en tout cas pas de cette horrible façon – un lien fort va lier l’Allemagne et le Chili. Pendant que le premier vit sa révolution culturelle, gravitent une dizaine de pionniers dans l’autre. Ils s’appellent LucianoDandy Jack et son frère Adrian, Uwe Schmidt (Atom Heart ou Atom™), Cristian Vogel, Jorge Gonzáles, etcetera.

Quelques petits battements de cils suffiront au Chili pour devenir une terre promise de la rave et de l’hédonisme pour les Allemands : les très populaires frères Schopf, Martin (aka Dandy Jack) et Adrian, habitant chacun dans un des deux pays s’envoient leurs galettes respectives (cf. notre sujet sur le Chili des 90s : Puma Squat, le condor des Andes). De plus, les fréquents allers-retours de l’aigle germano-chilien Ricardo Villalobos aident à susciter l’intérêt pour la terre andine.

Dans le pays où on ne peut marcher que du nord vers le sud ou inversement en risquant tous les jours de se cogner à une montagne ou tomber dans l’eau, les harmonies et percussions latines vont trouver dans la musique de Luciano la minimal techno de Mike Ink ou de Plastikman, le dub et l’électronica, la house de Détroit. Le calme et l’oisiveté feront le reste.

Luciano-N-2006

Né en Suisse en 78, Lucien Nicolet se délocalise tout jeune au Chili où il fait ses premières armes : le DJing à 15 ans (1993), la production à 19 (1997). Avec Ricardo Villalobos, ils partagent des affinités derrière les platines, dans la vie et dans des productions nouvelles et étirées, qui font danser avec très peu de matière. L’homme aux faux airs de Michael Youn est pour l’anecdote le premier DJ chilien à se faire booker hors du Chili (en Argentine / source), lorsqu’il évolue encore sous le pseudo Magi-K. A force de jouer à Santiago, en Amérique du Sud, en Europe et de blinder de plus en plus facilement les clubs, la confiance le gagne et il va développer sa propre musique.

En découle en 2004 le premier essai de sa carrière sous le pseudo Lucien-N-Luciano, l’album Blind Behaviour. Le label qui le publie est Anglais, son nom est Peacefrog Records et a sorti les premières boucheries de Luke Slater (1992) mais fait aussi voyager Détroit en Europe avec des maxis de Robert Hood, Theo Parrish, Kenny Larkin et Moodymann, et qui s’est plus récemment ouvert à tout en passant par Nouvelle Vague, DJ Shadow, Little Dragon. Ce genre de label mythique qu’Internet te fait découvrir un jour et dont, honteux, tu n’avais pas même idée de l’existence.

Chronique avec 11 ans de retard

Blind

Dans Blind Behaviour, on trouve pléthore de naïveté et une tonne de pistes à suivre.

Son utilisation romantique du vocoder sur sa propre voix dans « Alain Brito », ses paroles cucus d’amour de la simplicité du lever de soleil dans « Ice » et ses accords brillants de synthé montrent un homme mis à nu, qui ne se contente pas de reprendre des codes existants. D’autres morceaux plus aboutis aux relents d’Aphex Twin et d’Autechre montrent une maîtrise des rythmes et une exploration des sons, comme dans « Coquillage » ou « La Danse des Enfants ». Le dub est aussi très présent, autant dans un « Futur Sense », morceau couplé à des mécanismes d’électro et de science-fiction (avec le parler de Francesca Leon) et sur « La Ondita » où il réussit à ralentir au maximum un morceau disco, avec Cassy Britton au chant.

On notera aussi le joli exploit de rendre très érotique « Yoghurt Pressure », un morceau d’un genre de house plus généralement utilisé pour des pornos cheaps ou des musiques d’ascenseur. Et s’il ne fallait garder qu’un tube, ce serait sans trop de mal « Madre, Mother & Mère », un terrain d’expérimentation qui n’oublie pas une seconde de le rendre dansant avec la voix de Andrew Bean.

Luciano – Madre, Mother & Mère

Avec Blind Behaviour, Luciano met sa petite pierre supplémentaire à la minimal house (ou micro house) et lui donne un cadre de plus en plus précis. La naïveté deviendra sa force, son essence même. Elle sera jouée au petit matin, quand les jambes fatiguées s’étendent sur le sol et qu’on n’a plus que son sourire à offrir au soleil.

Aujourd’hui, le label Cadenza de Luciano cartonne, il a signé Villalobos (of course), Loco Dice et certains tubes comme La Mezcla de Michel Cleis (2009). Il met en avant une house très efficace et d’autres productions plus intimistes, comme celles de Rhadoo ([a:rpia:r] / RPR Soundsystem), le producteur roumain directement issu de la musique des Chiliens. Il est retourné vivre en Suisse avec sa famille et squatte Ibiza toute l’année. On pourra toujours s’attrister sur ses résidences à Ibiza où ses sets entre house kitsch et tech-house n’ont aucun intérêt artistique, Luciano continue de proposer de très belles créations, comme son tout dernier Cachai / Dance Unity EP.

Si vous n’avez pas perdu assez de temps comme ça, vous pouvez toujours regarder le documentaire La ruta del sol filmé par ses potes sur une tournée en Amérique du Sud. On le voit notamment finir son tour par une initiation chamanique au Pérou avec prise d’ayahuesca en bonus.

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