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Arcade fire, nouvel Orphée

Comment parler de Reflektor tant l’attente et l’agitation autour du nouvel album d’Arcade Fire furent énormes, presque étouffantes ? Surtout lorsque le groupe attise la folie à coups de concerts surprises et de teasers vidéo. Mais comment ne pas parler d’un groupe qui depuis dix ans ne cesse de vous bouleverser à en pleurer ? Impossible. Surtout lorsque ce quatrième album se révèle à la hauteur de nos attentes. C’est dire.

Nous avions laissé Arcade Fire au sommet de son art et de sa notoriété avec The Suburbs : succès populaire (n°1 des ventes aux USA, au Canada et en France), critiques quasi-unanimes, récompenses à gogo (album de l’année lors des Grammy Awards 2011)… Tout juste pouvait-on lire ou entendre quelques retours négatifs sur le virage trop pop et accessible de ce troisième opus. Aujourd’hui, les Canadiens prennent le contre-pied idéal de ce qu’on pouvait attendre ou craindre pour ce quatrième album : pas de retour en arrière vers une musique foutraque et grandiloquente. Pas non plus de fuite vers les ambiances et les formats pop. Reflektor renouvelle le genre Arcade Fire sans jamais renier ce qui nous a fait vibrer sur les trois précédents albums.

Reflektor explore et revisite le mythe d’Orphée et d’Eurydice (dix ans après un certain Nick Cave). Orphée, héros de la mythologie grecque et figure marquante pour de nombreux poètes et musiciens, reste connu pour sa capacité à tout réussir grâce aux mélodies jouées sur sa lyre. Son histoire d’amour avec Eurydice reste également un classique de la mythologie : le jour de leur mariage, Eurydice meurt d’une morsure de serpent. Hadès, le maître des Enfers, charmé par la musique d’Orphée, accepte de lui rendre Eurydice à condition qu’il marche devant elle et ne se retourne pas tant qu’ils ne seraient pas arrivés tous les deux dans le monde des vivants. Presque sorti des Enfers, Orphée ne put s’empêcher de se retourner et Eurydice disparut définitivement. Un clin d’œil à l’un des films préférés de Win, Black Orpheus de Marcel Camus (dont la matière est exploitée dans le clip de Afterlife).

Mais ce mythe, revisité dans deux titres, n’est qu’un des nombreux chemins empruntés par le groupe sur cet album pour questionner l’au-delà, s’interroger sur ce qui se passe juste après le dernier souffle. Il est aussi fortement question du rapport à l’image, notamment dans nos sociétés modernes et connectées. D’un monde de reflets. Le groupe réactualise notamment la critique du philosophe danois Kirkegaard sur les dérives de nos sociétés focalisées sur l’apparence et l’image. Sur le titre Flashbulb Eyes, Arcade Fire se demande si l’appareil photo ne serait pas capable de capturer l’âme de la personne photographiée. Une croyance que l’on retrouve dans certaines cultures, notamment en Haïti. Le pays d’origine (et de cœur) de Régine traverse d’ailleurs avec force l’ensemble de l’album, sans pourtant être jamais cité. Dans Here Comes The Night Time, le groupe critique assez ouvertement les missions humanitaires catholiques affluant sur l’île depuis le tremblement de terre.  Le tout sur une musique hyperentraînante et dansante ! Car si les thèmes abordés restent, comme souvent avec Arcade Fire assez sombres, étranges et mystérieux, la musique joue régulièrement le décalage sur cet album.

Les rythmes sont très syncopés, dansants mais évoquant parfois un état de transe. On pense bien sûr aux rituels vaudou toujours présents en Haïti. Le groupe a d’ailleurs passé beaucoup de temps sur l’île au moment de la préparation de l’album. Enregistré en Jamaïque, il transpire littéralement les Caraïbes. Ces sonorités sont constamment mélangées avec des ambiances oscillant entre le rock, la pop et l’électro. Car la patte James Murphy se ressent évidemment très fortement, pour notre plus grand plaisir. Cela concerne les sonorités électro mais aussi le rythme et la batterie, particulièrement mise en avant sur ce disque. La tête pensante de LCD Soundsystem a en effet retravaillé l’ensemble des titres de l’album avec une finesse et une discrétion qui rendent l’ensemble particulièrement efficace.  Comme si cette alliance avait toujours été une évidence.

Rarement les cuivres auront été autant présents dans la musique d’Arcade Fire. Sans aucun doute le résultat du travail du saxophoniste Colin Stetson dans la réalisation de l’album. Et si Owen Palett a retrouvé ses anciens potes de Funeral sur ce 4e opus, on s’étonne de la quasi-absence de cordes sur l’ensemble des deux disques. C’est au bout du troisième titre, Flashbulb Eyes, qu’on entre vraiment aux Antilles et dans l’univers de cet album. Le titre, aussi improbable qu’efficace, nous transporte dans un délire complètement psyché et dansant. Tout ce qui fait l’album est ici condensé en moins de trois minutes. C’est d’ailleurs la chanson la plus courte de l’album, la plupart dépassant les 5 minutes.

L’album défile ensuite avec une étrange harmonie alors que chaque titre explore des terrains différents. La fin du premier CD se termine avec un ovni : Joan of Arc, débauche de rock abrasif (presque punk) en intro débouchant sur un rock très rythmé et puissant. C’est la partie de Régine qui fait basculer le titre dans un univers complètement différent, aussi bien par ses mélodies que par ses paroles, tantôt en anglais, tantôt en français. La langue de Molière est d’ailleurs plus présente ici que sur les albums précédents, notamment sur It’s Never Over (Oh Orpheus), l’une des merveilles de l’album. Une ode à l’amour prenant la forme d’un échange entre Win et Régine.

Le deuxième disque se termine par deux titres très différents mais ô combien marquants : Afterlife tout d’abord. Sûrement l’hymne de ce double album, réalisé à base de montées en puissance successives, de cassures rythmiques, de chœurs puissants et enflammés. Comme si les Arcade Fire d’il y a dix ans avaient pris une dose de LCD Soundsystem et de rythme des Antilles. Tout ça pour arriver sur le titre de clôture de l’album, Supersymmetry. Une chanson beaucoup plus calme et envoûtante qui commence comme une comptine toute douce pour se perdre petit à petit dans des ambiances electro minimalistes. Comme si, à défaut d’avoir réussi à verbaliser ce qui se passait au moment du dernier souffle de la vie, Arcade Fire avait au moins réussi à le mettre en musique.

Orphée était celui dont l’art pouvait charmer les animaux sauvages, celui qui a amadoué les monstres des Enfers par le pouvoir de sa musique. Nul doute qu’Arcade Fire réussira ce tour de force avec nombre d’entre nous.

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