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Apollo Noir : « C’est pas que je n’aime pas trop la réalité mais je la vis tous les jours »

2019, la planète Terre est attaquée par une armée d’aliens suréquipés. À leur bord, le colonel Sfjkghfk est bien décidé à détruire à jamais cette bulle d’eau arrogante. Ce papier ne raconte pas leur histoire. Par contre, de sons ovniesques, d’histoires cyberpunk, de SF et de musique transversale, il est ici bien question. Rencontre avec le producteur électronique français Apollo Noir.

La première fois que je me plonge dans les abysses de la musique d’Apollo Noir, c’est à l’occasion de la sortie de son premier album, A/N. Sorti dans la maison de Joakim, Tigersushi, ce disque à l’énergie brute a alors l’audace de poncer l’intégralité de ma cochlée sans penser à la vernir. Terminé bonsoir.

Membre éminent de la diaspora auvergnate à Paris, Rémi Sauzedde est l’un de ces fous du son, hyperactif jusqu’à en devenir intenable, insatiable d’innovation. Tombé dans la marmite cyberpunk sur le tard, il se repaît de la littérature SF qui nous rappelle que oui, on va bien tous crever mais qu’un autre présent est possible. Son histoire est celle d’un type normal juste un peu plus passionné que la moyenne, et qui se donne les moyens de ses envies. De ses névroses aussi. C’est l’histoire d’un enfant baigné dans les concerts de punk hardcore dès ses 11 ans, de l’adorateur d’un grand frère calme et bienveillant qui l’a initié aux choses de la vie – entendons par là la batterie, la vie d’un groupe, la composition. Et si le village paumé dans lequel Rémi a grandi ne lui offre pas souvent la possibilité d’aller au ciné entre potes, les longues balades et l’écoute des instrus de 18 minutes de Pink Floyd, Klaus Schulze ou Jean-Michel Jarre peuplent ses songes de weirdo.

À l’instar de sa précédente pochette d’album sur laquelle il pose, traversé par un bug d’image, l’album Chaos ID? tout juste sorti (toujours chez Tigersushi) illustre bien la nature toute personnelle du producteur de musiques électroniques, qui a d’ailleurs collaboré récemment avec Jeanne Added (sur un titre très PC Music). Comme les maîtres Ryuichi Sakamoto (qu’il a d’ailleurs remixé de façon officieuse), Oneohtrix Point Never ou autres Alva Noto, Apollo Noir joue sur le pas de côté. Le beau côtoie le bizarre, la palette des styles électro est large, le nerd épouse le contemplatif. Le passé de la rave côtoie également la musique du futur. Dans Chaos ID? on ne danse pas vraiment, quoique c’est parfois possible. Mais on observe, les oreilles grandes ouvertes. On écoute, les yeux écarquillés.

On vous laisse deviner comme des grand·es si vous devez écouter de fond en comble ce disque. Et si vous aimez les sons bizarres et les mots tordus, on a rencontré Apollo Noir pour une interview grand monsieur. À lire juste au-dessous de cette photo altérée. Bisous.

Apollo Noir - PROMO 1

INTERVIEW
MONOLITHE NOIR

Ton enfance, où tu as vécu, tes premiers pas dans la vie et la musique : dis moi tout.

Je me dis souvent que l’histoire de quelqu’un compte énormément dans sa création et son art. Après on peut s’inventer des personnages, mais on ne peut pas oublier qui on est. En tout cas, moi ça m’a vachement marqué. Je viens d’un petit village en Auvergne qui s’appelle Pont-Astier de mille personnes. Autant te dire que quand tu rentrais de l’école, il n’y avait pas grand chose à faire hormis aller à la pêche, aller dans les bois, faire des cabanes. J’étais un enfant hyperactif et assez désagréable pour ma famille, très speed. J’essayais de canaliser mon débordement d’énergie dans les balades et les copains, mais comme on habitait super loin les uns des autres, fallait que ce soit les parents qui daignent nous emmener en voiture. C’était donc assez solitaire. J’ai un grand frère, et on a toujours été très proches malgré nos cinq ans d’écart. C’est un modèle, un vrai guide pour moi. Déjà il était beaucoup plus calme et raisonné que moi et, comme c’était mon grand frère, il était trop fort et trop grand, ahah. Dans les années 80, les parents, c’est pas qu’ils n’étaient pas présents, mais c’est pas comme aujourd’hui où les parents et les enfants sont comme des copains. Les parents tu les voyais le soir, tu leur faisais un bisou, bonne nuit et c’était tout.

On se rappelle toujours de la personne qui nous a mis dans la musique. Toi ?

Mon frère, justement. Mon père écoutait beaucoup de musique, mais c’est mon frère qui m’a donné cette envie. Vu que j’ai un caractère passionné par les choses, j’y suis allé à fond. D’abord en tant que mélomane : j’écoutais tout le temps de la musique, ça m’accompagnait partout. Ensuite, j’ai commencé à découvrir les instruments de musique, ça a changé ma vie. J’étais un grand passionné de skate, de roller, et j’ai tout arrêté. Fini l’exercice physique. Ça a même dépassé l’école. Je tâtais de temps en temps une guitare, une basse, une batterie, des enregistreurs, ça faisait déjà 2, 3 ans que, dans le village, on montait des groupes de punk. Et enfin vers 16 ans, j’ai eu ma première batterie.

Comment as-tu appris à en jouer ?

Avec mon frère, on a commencé à faire de la musique tous les deux, en groupe, sans cours de batterie. Faire avant d’apprendre. J’ai eu un passage école de musique à 9-10 ans, mais je m’en suis fait exclure. Au final c’était pas plus mal.

T’as cassé un violon ?

On ne touchait même pas un violon. Solfège et chant. Horrible.

Donc le punk à la place ?

Voilà, un groupe de punk rock et de hardcore avec les copains du village. Au début ça m’a permis de découvrir l’instrument, comment on jouait en groupe. Un an plus tard, à 17 ans, j’ai monté un groupe de noise rock. Plus intello, même si il y avait toujours une énergie punk, sauvage. Faut savoir que depuis que j’ai 11 ans, je vais voir des concerts de punk rock et de hardcore, donc je connaissais bien une communauté. Et puis, à force, j’ai voulu faire chose, mais dans le groupe c’était toujours non. Soit c’était trop chanté, trop… différent. Moi je voulais juste faire de la musique, pas être cantonné dans un style.

C’est là que les machines électroniques sont arrivées ?

Pas tout de suite. Même si quand j’étais gamin, j’étais fasciné par les Jean-Michel Jarre, Klaus Schulze que mes parents écoutaient. Mais ça me faisait aussi peur.

Klaus Schulze, quand t’es môme, y’a moyen de paniquer, non ?

Oui. Mais même les grosses phases d’instrus prog de Pink Floyd ça me faisait complètement halluciner. Après, mon vrai intérêt pour les musiques électroniques, c’est arrivé quand j’avais 20 ans, quand je me suis installé à Paris. Comme je ne connaissais personne et que j’avais un tout petit appart, je me suis intéressé à la MAO et aux machines.

On te dit passionné de cyberpunk et de SF, c’est toujours le cas ?

Oui, c’est arrivé sur le tard, à mon arrivée à Paris. Je n’avais vu aucun film de SF avant 21 ans, c’était pas du tout un genre qui m’intéressait. J’ai découvert Matrix, que j’avais raté quand c’était sorti. Et puis 2001 l’Odyssée de l’Espace ça m’a totalement traumatisé. C’était tellement moderne et beau, alors que je m’attendais à un truc ringard des années 60. J’avais l’image du dernier Star Wars. Mais 2001, c’était tellement minimaliste, ça m’a mis à l’envers. Pareil, la littérature cyberpunk, c’est arrivé dans la foulée. Ce que j’adore dans la SF et le cyberpunk des années 80, c’est la littérature et le cinémas des marginaux. Ça parle des modes d’expression dans la société à travers un prisme d’imagination d’un futur. Qu’il soit utopique ou dystopique. Tu peux aller tellement loin dans ce domaine. C’est pas que je n’aime pas trop la réalité mais je la vis tous les jours, donc quand je lis ou quand je regarde un film, j’ai envie de me divertir, ou d’imaginer d’autres possibles. C’est en ça que la SF ou le cyberpunk me touchent. Tout en ayant une puissance politique et sociale.

Peut-on dire que Monolithe Noir est un musicien cyberpunk ?

Non je n’irai pas jusque-là. J’adore mes instruments acoustiques et j’adore les humains, ahah. Après, je fais principalement de la musique seul avec mes machines donc il peut y avoir un côté très technologique. Le cyberpunk me fascine cette forme d’art, mais je ne m’en réclame nécessairement. Par contre punk au sens large, oui. Dans la dynamique de culture de marge, ça m’intéresse.

Dans ton disque, on a de la drum’n’bass, de la rave, de l’idm, du hardcore, de la trance. Ce sont déjà des courants du passé. Tu rends hommage à une période de ta vie ou tu les (re)découvres ?

C’est un peu des deux. Le premier disque que j’ai sorti était un gros lâché prise, c’était hyper free. Là, j’ai pris plus le temps, c’était minutieux tout en gardant une approche plus naïve de la création. C’est mon mode opératoire avec Apollo Noir. Avant de débuter le disque, j’ai eu un an où je n’ai pas fait de musique, j’ai surtout écouté, vu et lu des choses qui m’ont imprégné. Je suis hyper nostalgique. Quand mon frère m’a ramené un maxi de Prodigy, j’avais 11 ans, il était allé en Irlande. Il n’y avait pas encore le premier album qui était sorti, ça m’a fait totalement switcher dans la musique. Je l’ai toujours d’ailleurs. Ça a fait sens d’injecter ces courants musicaux dans cet album et d’être dans un spectre assez large des musiques électroniques, pas que ambient, pas que EBM ou que IDM. Peut-être que je m’ennuie très vite et que je suis incapable de faire un disque d’un genre. Il y a une partie très nostalgique.

Il me semble que les producteurs et les DJs font de plus en plus de sets fournis et variés. Pendant plusieurs années, on a quand même connu ce côté monomaniaque de la techno et la house avec du kick à tous les temps… Qu’en penses-tu ?

C’est intéressant avec la musique électronique actuelle. C’est beaucoup plus ouvert et expérimental. Ça essaie des choses. Mais je ne me suis pas senti dans un exercice de style. Tout s’est fait de façon naturelle, avec l’acquisition de nouvelles machines où je pouvais accéder à des sons plus chimiques ou plus trance, et ça faisait écho à ce que je lisais où ce que regardais, tout en gardant ma patte.

Dans ton disque, il y a même « The Fall », un morceau de R’n’B. Tu t’es définitivement ouvert aux esthétiques ?

Il est sorti tout seul celui-ci. J’ai fait la compo en 10 minutes. Je me suis réveillé un matin, j’avais la ligne de chant dans la tête, les accords sont venus tout de suite. Ça me faisait bizarre de chanter, alors je l’ai fait écouter à ma femme, et elle m’a dit « c’est mon morceau préféré ». Merde ahah. Et plein de gens autour de moi m’ont dit la même chose. Je suis super content parce que j’écoute aussi de la pop, et j’en ai toujours écouté. C’est intéressant de le faire rentrer dans ce disque et de ne pas être enfermé dans une case. Comme je m’appelle Apollo Noir, les gens pensent que je fais de la dark techno alors que je suis même sûr que j’aie un seul titre techno qui dure cinq minutes en autoroute. Ma fille de 5 ans adore Michael Jackson, donc pendant deux ans je l’ai écouté tous les jours, avec Stevie Wonder. C’est peut-être lié.

Crédits photos : Emilie Sauzedde

Pochette de Chaos ID? : Victor Pattyn

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1 commentaire

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Fan number one ! 28.11.2019

Go Appolo Go !

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