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Alban Coutoux : « La Route du Rock ne fera pas la course au gigantisme »

A quelques jours de la 26e édition de la Route du Rock, nous avons rencontré l’un de ses programmateurs. Alban Coutoux, la force tranquille du marin qui a navigué et survécu à de nombreuses tempêtes, aborde cette nouvelle aventure malouine avec sérénité et lucidité.

Cette programmation de 2016, on l’adore mais on a beau chercher, on ne voit pas de très grosse tête d’affiche. Est-ce que tu partages ce constat ?
On partage évidemment ce constat. C’est vrai que depuis trois ans, après Nick Cave, Portishead et Björk l’année dernière (qui malheureusement avait annulé), on était sur des artistes qui allaient plus loin que le rock indé stricto sensu. Après, cette année, on n’a pas eu d’artistes qui correspondaient, de gros artistes qui pouvaient rentrer dans le cadre de la programmation. Donc on s’est dit qu’on n’allait pas faire un gros nom pour un gros nom.

Donc ce n’est pas une volonté en tant que telle. Vous ne vous êtes pas dis «  En 2016, on se passe  de grosses têtes d’affiche » ?
Non, c’est en fonction des opportunités, des choses qu’on a pu ou pas pu avoir. Et voilà, la période est suffisamment riche et excitante et on a vraiment plein de choses à proposer. Après si on peut accueillir une légende comme Portishead ou Nick Cave, c’est sûr qu’on ne va pas hésiter. Forcément. Donc cette année, notre budget artistique est inférieur aux années précédentes, mais ça ne veut pas dire que cela le sera encore les prochaines années.

Certains festivals (comme le RDTSE en 2015) ont tenté de baisser volontairement les cachets artistiques, de ne pas jouer la surenchères des têtes d’affiche, avec comme idée de capitaliser sur le socle de festivaliers fidèles et proches. Avec la certitude de faire moins d’entrées, moins de recettes, mais aussi beaucoup moins de dépenses artistiques.  Est-ce que cela pourrait être une tendance lourde et durable pour des petits « gros festivals » ne voulant pas rentrer dans la surenchère ?
C’est marrant ce que tu dis, car il y a un journaliste qui a récemment dit qu’on était « le plus petit des grands festivals ». Mais c’est vrai qu’on est peut être assis entre deux chaises. Après, nous on est pas du tout dans une course au gigantisme. Je dirais même qu’à l’inverse on a une réflexion justement à privilégier une relation plus proche avec les artistes, avec le public. On est plus dans cette réflexion-là que de vouloir agrandir le festival et entasser le maximum de gens devant une scène. Je pense que le public revient aussi un peu de ça. Après, il y a des très très grands événements en France et dans le monde qui font ça très bien. Mais sur l’esthétique qu’on défend, ça serait pas inintéressant justement de revoir les choses, peut-être, un petit peu à la baisse en terme de fréquentation mais à la hausse en terme d’expérience et de qualité.

On sent que le public est sensible à l’idée de rester sur une échelle un peu humaine. C’est aussi quelque chose qui peut être positif pour les artistes ?
Oui, bah forcément la relation est plus proche, plus directe et c’est vrai que c’est appréciable pour eux quand des groupes jouent comme à la Route du Rock, sur un public qui les attend ou qui est curieux de les écouter.  On a parfois dit que le public à la Route du Rock était un peu statique. Mais c’est parce qu’il est concentré ! Et attentif, justement, aux groupes. On a toujours eu des retours vraiment très très bons des artistes par rapport à la réception du public. Slowdive par exemple, y’a deux ans, sur la reformation, c’était chez nous qu’ils ont fait le meilleur concert. Et il y a plein d’exemples comme ça où les groupes sont surpris et touchés par cette attention.

Vous avez justement un public de fidèles qui vous suit parce que vous avez une identité artistique marquée, l’une des plus marquées en France. Est ce que tu as l’impression que c’est le même public d’année en année, un public qui vieillit ?
Forcément, on a des fidèles qui nous suivent depuis de nombreuses années mais on a aussi un renouvellement du public assez fort. Après, le rock reste vivant et extrêmement excitant donc il y a plein de groupes garage, des jeunes de 18/20 ans qui reprennent le flambeau et le public a le même âge qu’eux. C’est vrai qu’à la fin des années 90, on avait dit « ce qui est génial à la Route du Rock c’est que les artistes, les organisateurs et le public ont le même âge ». Maintenant ça a changé un petit peu mais ce qui est important c’est de rester connecté avec cette jeunesse, que ce soit en terme de public ou de groupe.

Justement, vous êtes un des festivals les plus marqués en terme d’esthetique. Mais depuis  quelques années, on a noté une ouverture à l’électro, notamment dans les fins de soirées au fort. Mais cette année, à part peut être le vendredi, la prog est très très rock. C’était voulu ça aussi ?
Non, il n’y a pas de plan prédéfini et pas de recette miracle pour faire un festival. C’est vrai que l’électronique depuis 99, on en met quand même régulièrement. En 99 avec DJ Shadow par exemple, qui était vraiment surprit de se retrouver chez nous. C’était la première fois qu’il jouait dans un festival estampillé « rock ».  Après, c’est un peu différent parce qu’on est plus sur des artistes live. Par rapport à la configuration du festival, on est pas vraiment un festival purement électronique où les gens viennent que pour danser donc la notion entre guillemets de « spectacle » et « d’installation scénique » est aussi importante dans notre choix et c’est aussi une attente du public, je pense, de voir et d’écouter des concerts que ce soit rock, électronique, que juste avoir que du son pour danser. On est sur cette limite-là avec la Route du Rock. Et après non, dire qu’on va mettre trois artistes électroniques, trois artistes rock et deux artistes connus et quatre inconnus, ça c’est… non c’est pas un schéma pré-établi. Sinon ça ne serait pas drôle !

L’annulation de Björk et la blessure du bassiste de Foals l’an passé. L’annulation de The Avalanches cette année, les problèmes réguliers d’intempéries… Vous êtes une sorte de petit chat noir, mais ça fait aussi votre charme. D’autant qu’on a l’impression que le public voit ça avec une certaine tendresse et compréhension. Il n’y a pas trop eu de haters par rapport à ces coups du destin ?
Non. Après, c’est vrai que quand l’annulation est compréhensible, c’est tout de suite plus simple. Le coup de Björk c’était un peu plus compliqué parce que, nous les premiers, on n’a pas forcément compris pourquoi ça fonctionnait pas. On accueille une trentaine d’artistes, il y a quand même pas mal d’aléas dans tout ça. Et organiser un festival c’est quand même de la gestion de problèmes avant tout, et ça, ça en fait partie.

Le site du fort ne change pas par rapport à l’année dernière, notamment la scène 2. Vous avez enfin trouvé la formule magique ?
Oui, c’est vrai que la scène 2, on a mis un peu de temps à trouver la bonne place. Le fort est beau mais il est aussi assez dur à travailler. Au bout de la troisième fois, on a enfin trouvé la bonne configuration, en gardant vraiment l’enceinte du fort côté concert et tout ce qui est restauration à l’entrée. Cette séparation fonctionne bien. Les deux scènes qui se répondent c’est important. C’est une volonté depuis le début : quand on vient à la Route du Rock, si on veut tout voir on peut tout voir. C’est un principe auquel on ne voulait pas déroger parce qu’on est vraiment fier de la programmation dans son ensemble et on a envie que le festivalier la savoure en intégralité sans devoir faire des choix cornéliens.

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« Pour reprendre une métaphore marine, quand il y a beaucoup de vent, tu réduis un peu la voilure, t’attends que le grain passe. »

D’année en année, il y a de plus en plus de concerts en dehors du fort (La Plage, Nouvelle Vague, Théatre de Chateaubriand…). Quel est l’objectif de ces concerts à la prog’ assez pointue et intéressante ?
Pour les concerts sur la Plage, depuis 2002, le but c’était d’accompagner le public qui allait spontanément à la plage l’après-midi. Et puis c’était aussi un peu pour sortir du fort. On était un peu isolé et on a la chance d’avoir une côte magnifique à St Malo. Là où on fait les concerts, la plage Bonsecours, on est au pied des remparts maloins face à la baie de St Malo, avec Dinart en face, avec la piscine… Le spot est vraiment incroyable.

Et ça plaît aux Malouins ?
Ah oui, oui, oui. On est sur des concerts l’après midi. On a environ une heure et demi de dj sets, une heure de concert. C’est deux heures et demi dans l’après midi, le son est orienté vers la mer donc il n’y a pas vraiment de nuisances. Et puis, le public l’après midi est plutôt bon enfant. Les concerts sont gratuits donc c’est aussi l’occasion d’offrir un peu de cette musique aux gens qui ne connaissent pas, d’avoir un petit esprit, un petit avant goût de ce qu’on fait.

A quel point la ville de St Malo joue dans l’identité du festival ?
C’est vrai que maintenant, au bout de 25 ans, St Malo et la Route du Rock sont intimement associés. Quand on parle de St Malo on imagine tout de suite le bord de mer et aller manger une crêpe. Il y a une tradition vraiment très rock, très indé en Bretagne mais est-ce qu’il y a 25 ans, ça aurait pu se faire dans une autre ville de Bretagne ? Peut-être mais maintenant les destins sont vraiment assez liés entre St Malo et le festival.

Si tu devais citer un festival à l’étranger qui serait proche de la Route du Rock ?
C’est difficile car j’en connais pas non plus énormément. Sur le mois d’août je travaille avec des évènements qui ont l’air géniaux auxquels j’ai jamais pu aller : il y a le Oya Festival en Norvège qui a l’air incroyable et le Green Man en Angleterre qui est juste une semaine après la RDR et qui a l’air super chouette, dans les bois. Les photos que j’ai vues sont vraiment excellentes et sur la programmation, on travaille sur certains groupes ensemble. Spontanément ce sont les deux proches de nous sur lesquels j’irais bien faire un tour.

Au niveau de la typologie du public, connaissez-vous la proportion en fonction de lieu de provenance ?
La dernière étude date de quelques années déjà. On a pour le grand ouest (Bretagne, Normandie, Pays de Loire) entre 30 et 40 %, entre 15 et 20 % venant de région parisienne puis ça se répartit sur l’ensemble du territoire. Pour les Anglais, ça dépend des années mais ça varie entre 5 et 10%. Et sinon, on est sur du 40% de public féminin.

Vous n’avez quasiment jamais de squatteurs, c’est une petite fierté ?
Oui bien sûr. Mais d’un autre côté on s’interdit pas non plus de faire des groupes si on avait vraiment envie de les faire. Par exemple, il y a trois ans on avait fait Dominique A, il avait fait une tournée et quelques festivals en France mais on avait envie de le faire. Et je pense qu’il faut plus faire les choses par envie que par calcul.

Sur l’édition d’hiver : qu’est ce qui a motivé sa création et quel bilan vous pouvez en tirer après 10 ans d’existence ?
C’était un peu frustrant d’attendre un an avant de programmer surtout que les choses vont de plus en plus vite en musique et des groupes qu’on peut programme en février ne sont pas forcément disponibles au mois d’août. Ils peuvent aussi exploser très très vite au point qu’on ne puisse plus se permettre de les avoir. Par exemple MGMT qu’on avait fait pendant l’édition hiver et qui en trois mois était devenu énorme. Donc c’est un peu la petite sœur de l’édition estivale, on garde le même esprit de découverte, sur une esthétique rock indé, qui nous permet de peut être un peu expérimenter, sur un format en salle. Et depuis quelques années on a trouvé le bon cheminement sur cinq jours de festival : avec la Nouvelle Vague, la chapelle St Sauveur qui est magnifique, nos deux soirées à Rennes, Antipode etc… C’est intéressant, ça nous permet de rester vigilant, de travailler vraiment toute l’année, de ne plus avoir de période de creux.

Est ce que tu peux nous expliquer l’articulation entre la Route du Rock et la Route du Rock Booking ? Est ce que ce sont les mêmes personnes derrière ?
Alors oui, ce sont les mêmes personnes en fait. Rock Tympans c’est l’asso qui organise la Route du Rock depuis 1991. Rock Tympans ça a été créé en 86 à Rennes, pour la création d’une radio rock qui existe toujours, Canal B. Le booking, ça va faire cinq ans à peu près. En fait, c’est venu d’un constat très très simple : sur le festival on invitait des artistes qui n’avaient pas forcément de représentants en France donc on s’est dit « on investit sur ces groupes, on les fait venir sur le festival, pourquoi pas ne pas continuer l’accompagnement et proposer aux programmateurs français de faire des dates avec les groupes en France ? ». C’est Pierre et Marin qui s’occupent de ça chez nous, et qui travaillent aussi sur le festival. Le catalogue s’est étoffé petit à petit car ils ont eu la confiance des agents. Des groupes se sont rajoutés et l’esthétique qui est représentée par le catalogue est vraiment en totale adéquation avec celle défendue par le festival donc il y a vraiment une cohérence globale sur l’ensemble.

Comment voit tu l’évolution de la Route du rock dans les années à venir ? Quels sont les pièges que vous allez tenter d’éviter ? Car il y a tout un écosystème qui devient très fragile et vous êtes, comme tu le dis, sur un secteur qui n’est peut-être pas le plus simple à gérer.
Refuser le gigantisme, qu’on ne sait pas et qu’on ne veut pas faire. Sur une période difficile, pour reprendre une métaphore marine, quand il y a beaucoup de vent, tu réduis un peu la voilure, t’attends que le grain passe… Notre volonté c’est de garder l’envie, l’excitation, continuer à exister. Revoir les choses peut-être sur une échelle plus réduite et avoir moins l’impératif de la tête d’affiche, pouvoir continuer à proposer des choses excitantes, c’est pour ça que la Route du Rock s’est créée et qu’on a envie de continuer.

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