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Alain Bashung, réémotion de « Fantaisie Militaire »

Alain Bashung nous a quittés en mars 2009. Une date pas si lointaine mais une éternité compte tenu du vide qu’il a laissé. Pourtant, il fait de nouveau l’actualité en raison de la réédition par Universal de « Fantaisie militaire » dans une version coffret limité. L’occasion était trop belle de revenir sur ce disque géant sorti 1998. Ceci est l’expérience singulière d’une redécouverte de disque.

Il y a deux ou trois ans, je me suis décidé à me plonger dans la discographie d’Alain Bashung. Grand bien m’en a pris. Pendant un long moment, je n’arrivais pas à me fondre pleinement dans « Fantaisie militaire », pourtant considéré comme son œuvre majeure. Peut-être parce que j’avais peur d’être déçu d’un album triplement récompensé par l’imposture que constituent les Victoires de la Musique. Peut-être parce que cette immonde pochette me répulsait, en comparaison avec les autres jaquettes belles et soignées de sa discographie.

En tout cas, un soir de gueule de bois, peinant à trouver le sommeil dans mon lit, la révélation se fit.

Autant les années 80 s’étaient terminées douloureusement pour Bashung, autant les années 90 démarrèrent sur des chapeaux de roue, succès critique et public à la clé. S’ensuivit une longue tournée donnant lieu au sublime live « Confessions publiques ».

Seulement voilà, à la fin de cette tournée, dans son pavillon de banlieue, Bashung tourne en rond et se sent inutile. Après des années au plus haut, les nerfs retombent et la dépression pointe le bout de son vilain nez. N’étant pas homme de concession ou de demi-mesure, il se sépare de sa femme et s’installe à Belleville pour retrouver un peu de ferveur, de grouillement. Mais les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Le quartier est encore largement malfamé et Bashung, au lieu de s’ouvrir à nouveau au monde, se renferme.

Il sait que seul le travail pourra lui permettre de rebondir. Les séances avec son grand ami et parolier Jean Fauque débutent. Au programme, un jeu de ping-pong verbal et littéraire entre les deux compères, méthode qu’ils ont mise en place depuis le début de leur collaboration fin 80 /début 90. Fauque noircit les pages, Bashung valide, modifie, triture, remplace. Bashung est plus exigeant que jamais, Jean Fauque écrit parfois des dizaines de pages d’un texte pour au final ne garder qu’une ou deux phrases. Le Grand Alain cherche à être surpris, la bonne sonorité, la bonne couleur. Couleur qui se veut naturellement sombre et froide, les partenaires n’ayant pas un moral au beau fixe à l’époque.

Dès que les textes sont à peu près aboutis, le processus de création musical débute. Bashung s’entoure largement pour aborder le plus de terrains possibles (Les Valentins, Rodolphe Burger, Ian Caple, le guitariste de Portishead, divers directeurs artistiques, ingénieurs du son, etc). Après deux albums très axés rock, il veut à tout prix éviter la répétition, lui qui a toujours eu de l’urticaire pour les étiquettes. Alors que ce soit à Paris ou au studio Miraval dans un cadre idyllique de la Provence, Bashung se fait exigeant et pousse les différents protagonistes dans leurs retranchements afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.

A l’écoute de cet album ce travail long et fastidieux a payé. Dès le début Malaxe montre clairement la voie de l’album. Bashung prouve définitivement qu’il n’est pas seulement un chanteur mais aussi un interprète au sens noble du terme. Sa voix se fait tantôt ronde et profonde, tantôt dure et minérale.

A l’époque, si le terme existait et si l’intéressé n’était pas déjà considéré comme un des plus importants chanteurs de notre pays, on aurait pu parler d’album de rock indé. La mélodie se fait par l’empilement d’accords de guitares, de notes d’orgue et de claviers, d’arrangements de cordes. Les influences musicales sont nombreuses : rock alternatif, trip-hop, drum’n’bass, world music.

Dans « Fantaisie militaire », la musique sublime le texte, et l’association des deux renforce la musicalité et la poésie. L’exemple flagrant est Aucun express, morceau trop rarement cité. Pour parler d’une séparation amoureuse (sans doute la sienne), le caractère répétitif des couplets est renforcé par de lourdes boucles d’orgue et de cordes. Mais le refrain, dans les paroles et la musique, se fait plus lumineux et envolé, manière magnifique de signifier qu’on ne pourra pas réparer ce qui a été cassé mais qu’il n’y a aucune raison de regretter ce qui a été construit pendant des années.

La faiblesse de cet album réside dans ce qui en fait sa force : la recherche permanente de complexité, la volonté que paroles et interprétation fassent corps. Cela fonctionne formidablement sur des morceaux comme Fantaisie militaire, Sommes-nous ou bien évidemment La nuit je mens. C’est moins le cas pour 2043, Ode à la vie ou Samuel Hall. Dans cet objet protéiforme et mouvant, la simplicité de Dehors et surtout d’Angora a quelque chose de magique et franchement bouleversant.

« Fantaisie militaire » n’est pas un album parfait. Loin de là.

Il gagne en variété et en complexité ce qu’il perd en homogénéité et en spontanéité. Mais il a eu le très grand mérite de renverser des barrières dans la musique française. Dans le pays de la toute-puissante chanson à texte, Bashung en tête et tous les protagonistes derrière, ont montré que ce qui compte avant tout c’est la musicalité du morceau, la recherche d’une texture particulière. Dans cet optique « Des visages, des figures » de Noir Désir semble être un descendant direct de « Fantaisie Militaire ».

Afin de rendre hommage à un tel album (et aussi de remplir un peu ses caisses de plus en plus vides), Universal a décidé de sortir une version collector agrémentée d’un carnet de 30 pages sur la genèse de l’album et de versions alternatives et pré-productions. Ces versions peuvent avoir un intérêt pour voir l’évolution entre la première mouture et la version définitive mais il ne faut sans doute pas attendre à des moments de grâce.

En tout cas, pas sûr que depuis sa tombe du Père Lachaise, Alain Bashung apprécie l’opération. Lui qui a toujours refuser de surfer sur le succès et qui, après 3 Victoire de la musique et un disque de platine, avait décidé de sortir un album d’une beauté froide inégalé, « L’imprudence ».

Un terme qui lui collait à merveille.

Se procurer la réédition ici.

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