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Aides à la presse : l’Etat se fout-il des mag musicaux ?

Alors que les mastodontes type Aujourd’hui en France, Le Monde, Les Echos ou encore Marianne ont réussi, pour le moment, à faire face à la crise grâce aux aides de l’État, la presse musicale se débat pour sa survie sans aucune subvention ou presque. Une situation que beaucoup jugent injuste, et qui pousse depuis des années les titres musique à trouver d’autres leviers pour défricher les différentes scènes musicales.

Commençons par une évidence : nous vivons une époque complexe. Une époque et un pays dans lesquels la défiance envers les médias se fait de plus en plus forte. Et au cœur de cette défiance, il y a la crainte d’une partie des citoyens de voir une presse être subventionnée par l’État, et laisser, de fait, les pouvoirs politiques influencer son contenu et ses orientations. C’est un débat. Mais que les choses soient claires : toute la presse française n’est pas subventionnée, loin de là. Celle qui l’est, c’est avant tout la presse d’IPG (d’information politique et générale), à savoir les médias généralistes tels que Le Monde (5 081 475 € en 2017), Aujourd’hui en France (7 770 562 €), Libération (6 499 414 €), ou encore Le Figaro (5 699 521 €). Les chiffres sont publics, sur le site du ministère. Des sommes astronomiques, surtout quand on sait que la presse musicale, elle, n’y a pas droit, comme toute la presse spécialisée, d’ailleurs. Une situation qui provoque un sentiment global d’injustice parmi les acteurs des titres traitant de la musique. D’autant que si l’on scrute en détail la distribution du pactole, on s’aperçoit sans peine que ce sont les groupes de presse détenus par les milliardaires qui récupèrent la plus grosse part du gâteau. Gonzaï, n’a rien. Tsugi, peanuts. Trax, que dalle. Rock & Folk, nada.

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« Soit il y a des aides pour tout le monde, soit il n’y en a pas » Alexis Bernier, Tsugi

Longtemps, la presse musicale est montée au créneau contre ce drôle de statu quo. « On a fini par laisser tomber parce que ça fait plus de dix ans qu’on voit bien que l’État en a marre de distribuer de l’argent aux médias, avoue Alexis Bernier, directeur de la publication de Tsugi. Certains disent même qu’ils vont les couper définitivement pour les IPG, alors, les donner à un titre comme nous… Le travail de défrichage que l’on fait sur la scène musicale et artistique française, on n’a rien pour ça. C’est deux poids deux mesures, toujours les mêmes qui palpent. Quand tu vois que certains titres sont vraiment sur le fil du rasoir et qu’ils vivent juste grâce aux aides, ça la fout mal. »

Ça la fout mal, certes, mais difficile tout de même d’imaginer les aides disparaître de sitôt. Ce qui est certain, c’est que ça n’est pas l’absence de subventions qui fait le plus tiquer dans le milieu, mais le déséquilibre entre IPG et presse dite « de loisir ». Même chez des groupes de presse indépendants comme So Press (Society, So Foot, Greenroom…), qui en bénéficient dans une moindre mesure : « On se plaint avant tout que ça aille toujours aux mêmes, à des groupes détenus pas des multi-millionaires qui gèrent tellement mal leurs affaires qu’ils doivent être mis sous perfusion par l’État », assène Baptiste Lambert, directeur administratif et financier du groupe So Press. En somme, pour Alexis Bernier, « soit il y a des aides pour tout le monde, soit il n’y en a pas. » Car le souci est bien là : sans les aides, la plupart des titres IPG seraient dans la panade, n’existeraient peut-être même plus. Alors qu’une presse en difficulté comme celle de la musique se débat dans des sables mouvants depuis des lustres, et parvient tant bien que mal à faire le taf.

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« On fait des reportages sur ce qui se passe au Brésil, au Liban, aux Etats-Unis… Est-ce si inutile que ça au débat public ? » Jean-Paul Deniaud, Trax

Le secteur de la musique aux abonnés absents

Ca n’est donc un secret pour personne : la presse musicale n’est pas dans une forme olympique. Du côté de Trax, principal magazine spécialisé dans les musiques électroniques, cela fait plus de vingt ans que le simple fait d’exister relève de la prouesse. Aujourd’hui, les choses vont bien mieux. « On allait voir les différentes administrations pour demander de l’aide, et on a vite compris qu’il fallait être une presse d’information générale pour en bénéficier, se souvient Jean-Paul Deniaud, rédacteur en chef. On a vécu des situations où on a failli disparaître plusieurs fois. En vingt-et-un ans d’existence, les boîtes qui ont détenu le magazine ont successivement mis la clé sous la porte. » Avec les aides à la presse, les choses auraient été bien plus simples, c’est certain. D’autant que Trax met un point d’honneur à ne pas parler uniquement de musique. « On fait des reportages sur ce qui se passe au Brésil, au Liban, aux Etats-Unis… Ça touche à la culture, mais aussi bien au-delà. Est-ce si inutile que ça au débat public ? Est-ce qu’on n’amène pas un public qui ne lirait pas les titres subventionnés vers ces sujets ? On a ce désir de parler de la société en général. Après, il y a débat, c’est certain, est-ce qu’un magazine de bricolage peut prétendre faire la même chose ? Je comprends la problématique, mais est-ce qu’il n’y a pas un juste milieu à trouver ? »

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Ça c’est pour le constat, donc, et le déséquilibre. Mais au ministère de la culture, qui distribue ces aides, une source nous explique qu’il y a une certaine logique à tout cela. D’abord, il est impossible de subventionner tout le monde, cela reviendrait à ouvrir une boîte de pandore laissant le champ libre à une volée d’excès et à d’autres injustices. Mais surtout, le cœur du sujet pourrait bien être ailleurs. « L’éternel problème de la musique en France, c’est que contrairement au livre ou au cinéma, il n’y a pas d’instance spécifique. Le cinéma a le CNC, le livre a le CNL, pour le spectacle il y a le CNV. Mais il n’y a pas de CNM. C’est un vieux sujet, un serpent de mer qui date de vingt ans. Malheureusement, la presse musicale n’est pas soutenue par le secteur de la musique, c’est ce qui manque. Si il y existait un vrai projet de filière, avec des lobbys de la musique qui prêchent pour ses intérêts, les choses pourraient peut-être changer. Beaucoup de studios de musique, parisiens notamment, ont fermé ces dernières années. Ils ont appelé au secours, mais ils étaient seuls. Le ministère peut de moins en moins agir au cas par cas. Si ça ne rentre pas dans le cas d’une aide existante, ça devient très compliqué parce que ça veut dire qu’on traite des cas isolés. » Pragmatique.

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Pas d’aides directes, mais quelques aides quand même

Attention cependant : si la presse musicale ne bénéficie pas des aides à la presse directes, elle a toutefois plusieurs outils à sa disposition. Par exemple, une entreprise de presse est la plupart du temps exonérée de taxe foncière. De même, certains titres peuvent disposer d’une réduction sur les frais postaux. « Un magazine fait 400 grammes et des poussières, résume Thomas Ducres, aka Bester Langs, rédacteur en chef chez Gonzaï. Si je l’envoie par la poste classique, ça va me coûter environ 5 euros, d’autant que les tarifs ont encore augmenté cette année. Là, je suis à 1,1€ ou 1,2€. La différence est énorme quand on vend plusieurs centaines de magazines. C’est la seule chose dont on bénéficie. Là, je dis merci. » Il existe aussi le fonds stratégique de développement de la presse, dont a pu bénéficier le site spécialisé dans la musique The Drone en 2017, à hauteur de 31 212 €, ou le fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse, qui a donné 40 000 € au jeune site d’info et de reportages 8e étage. Certaines entreprises de presse ont aussi une TVA réduite à 2,1 %, ce qui est loin, très loin d’être négligeable.

Pourtant, Thomas Ducres est plutôt du côté de ceux qui ont choisi de ne pas lutter contre l’absence d’aides directes. « Chacun met son curseur où il veut. Je sais que souvent, travailler avec des partenaires privés comme Jack Daniel’s ou Canal +, ça peut être mal vu. Mais je t’emmerde ! La morale, c’est très subjectif. J’ai trouvé mon système depuis des années, et je ne veux pas toucher à l’argent public. Je préfère miser sur notre capacité à vendre ou non un produit en ayant des comptes à rendre aux annonceurs, aux marques, aux gens avec qui je bosse depuis des années, plutôt que d’aller quémander trois francs six sous à des personnes qui bossent dans des bureaux glauques et qui ne comprennent rien à ce qu’on fait. »

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« Souvent, on nous interpelle, on nous demande comment on fait pour s’en sortir. Et bien on fait du brand content, de la pub, des choses moins marrantes mais rentables. » Baptiste Lambert, So Press

Ne plus compter sur les aides où les achats en kiosques

C’est finalement ce que presque tous les titres de presse font, parfois malgré eux. Se tourner massivement vers les acteurs privés quand on a peu d’aides de l’État est logique, presque inévitable. Mais une autre question se pose alors : quid de la confiance du lecteur envers son magazine s’il voit une série d’articles sponsorisée par Canal + ou par Thales ? En fait, tant que les médias seront en mauvaise santé, il y aura ce problème. Si l’État vient en aide à un titre, celui-ci peut être soupçonné par les lecteurs d’être à sa botte. Si ce sont les marques qui lui permettent de garder la tête hors de l’eau, est-ce vraiment différent ? « C’est la parole démocratique qui est atteinte, complète Jean-Paul Deniaud. Si on voulait défendre l’ensemble de ce quatrième pouvoir, on ferait attention à ce que ses différents pans gardent leur crédibilité. Or, le fait qu’une certaine presse soit poussée vers les partenaires privés peut nuire à toute la profession journalistique. En tout cas, ça n’aide pas à la sérénité du débat public. »

En fait, plus grand monde dans le secteur de la presse musicale ne compte vraiment sur l’obtention de ces aides, puisqu’elles semblent être un combat perdu d’avance. Depuis belle lurette, les titres ont fait sans, ont réussi à faire face à la baisse des ventes en kiosques ou se sont créés après cette crise tout en prenant compte des nouveaux modèles d’existence. Résultat, une bonne partie d’entre eux est parvenue à diversifier ses activités, à faire en sorte que les achats par le lecteur et les publicités, autrefois principales mannes financières, ne soient pas les conditions sine qua non à leur survie. Et cela est d’ailleurs valable pour toute la presse qui ne touche pas d’aides massives, y compris So Press (qui a perçu 165 147 € en 2016) : « Si on ne faisait que des magazines, on perdrait beaucoup d’argent, avoue Baptiste Lambert. On fait beaucoup de choses à côté : un label de musique, deux boîtes de production, notre propre régie publicitaire… On peut gagner de l’argent autrement qu’avec les magazines et les aides. Le modèle qui ne tient que sur la presse écrite n’est finalement pas très répandu. Souvent, on nous interpelle, on nous demande comment on fait pour s’en sortir. Et bien on fait du brand content, de la pub, des choses moins marrantes mais rentables. »

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Pas demain la veille

Il y a aussi la possibilité, pour certains, de miser sur la fidélité du lecteur. « Chaque année, je fais des campagnes de fonds, ce qui veut dire que je sais à qui je m’adresse, à combien de personnes, et je sais que l’amour est là, ajoute Thomas Ducres. Je ne veux pas rentrer dans ce système car les subventions correspondent juste au budget marketing que tu récupères avec des marques. C’est le même fonctionnement, tu as une somme, tu fais en fonction, mais dès que tu ne l’as plus, t’es niqué. Même chose pour les labels, certains ne vivent que grâce aux subventions. C’est cool, ça permet de soutenir une scène, des artistes… Mais ça s’apparente à du mécénat finalement. »

Mettons les choses au clair : il n’est pas encore venu le jour où Trax et Gonzaï verront l’État leur refiler des subventions en pagaille, comme il le fait avec les grands titres d’IPG qui ont pignon sur rue et des gros investisseurs qui les financent. Il n’est pas venu non plus le jour où ces derniers ne pourront plus bénéficier de ces aides, puisque comme on nous le confie au ministère de la culture, « la France ne peut pas se permettre de ne plus avoir Le Monde demain. Ce serait un scandale. » Bref, il n’est pas venu le jour où le statu quo changera. La véritable question, pour l’avenir, c’est de savoir comment la presse musicale compte faire face à la crise grandissante des ventes en kiosques. Elle s’aggrave, et il ne faudra vraisemblablement pas compter sur l’État pour venir à leur rescousse.

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1 commentaire

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Pierre Bloch 25.04.2019

La baisse des ventes en kiosques est la conséquence de la hausse des kiosques en vente.
C’est la volonté des grands groupes éditoriaux, soutenus par l’Etat.
Bien décidés à s’affranchir de la loi Bichet (une loi vieille de 70 ans destinée à préserver la pluralité en empêchant les grands groupes de tuer les petits éditeurs), pour obtenir la libéralisation du marché, ils ont :
– depuis 2005 détourné le marché de la vente au numéro par un dumping tarifaire en faveur de l’abonnement, avec les aides de l’état au portage et postage.
– depuis toujours: créé un déficit financier de la principale messagerie (Presstalis ex NMPP) dont bien que clients, ils fixaient les tarifs en leur qualité de coopérateurs gérants.
– depuis longtemps: empêché l’organisation d’un réseau commercial efficace pour obtenir la libéralisation de la commercialisation et étre présents partout, notamment dans la grande distribution.

Les marchands de presse sont donc les premiers à disparaître (au rythme de 1000 par an). Ils seront rapidement suivis par les petits éditeurs.

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